Dissimulé dans un recoin mal éclairé de la demeure familiale, Raeghar patientait, tous ses sens aux aguets. Il aurait tout autant pu se trouver sur un champ de bataille, le corps tendu comme un arc et l’esprit en ébullition. L’ironie de la situation ne lui échappait guère. Voilà qu’il s’improvisait espion sous son propre toit. Il n’aurait pas sut comment expliquer avec précision ce qu’il fichait s’il avait croisé l’un des membres de sa famille ainsi dissimulé dans l’ombre et, bien heureusement pour lui, Jaehaerys Norhalis n’avait pas plus à gagner que lui à se faire surprendre. Raeghar s’était réfugié dans son coin depuis quelques minutes. Il s’était enfoncé dans les ténèbres légères en foulant le sol de sa démarche rendue gracieuse par ses années d’entrainement et attendait désormais que la silhouette familière se profile enfin à l’horizon. Il avait vu large niveau temps, soucieux qu’il était de ne pas commettre d’impairs et il lui fallu attendre un moment avant que, enfin, une silhouette ne se profile dans son champ de vision. L’obscurité de la nuit tombée ne permettait pas de tout dissimuler et une ébauche de sourire vint corner les lèvres lorsque, enfin, elle apparue. Raeghar ne parvenait pas à s’expliquer la raison exacte de la haine viscérale qu’il éprouvait à l’égard de l’adiutor de sa sœur. Il n’était pas homme à éprouver une telle aversion sans raison, mais il y avait quelque chose chez Jaehaerys qui le débectait et cela depuis l’instant où il avait posé les yeux sur elle, le jour où Eurus avait uni de force sa vie à la sienne. A la suite de la cérémonie, Jaehaerys avait posé ses maigres valises dans la demeure familiale et Raeghar avait été bien obligé de s’habituer à sa désagréable présence. Il s’était dans un premier temps évertué à la considérer comme un meuble, mais aucun d’entre eux n’aurait pu lui inspirer le degré d’exaspération que provoquait chez lui la proximité de la fille Norhalis. Le fait qu’Eurus puisse seulement l’apprécier tenait véritablement du mystère pour Raeghar qui voyait en cette fille rien de moins qu’une gigantesque plaie. Cette révulsion naturelle, Jaehaerys l’avait bien sentie et c’est ainsi qu’était née une guerre froide dans laquelle le fils Osoryd comptait bien prendre l’ascendant. Outre le fait qu’il supportait tout juste de se tenir dans la même pièce qu’elle, Raeghar avait pleinement conscience du caractère dangereux de la jeune femme. Elle ne se contentait pas de parader telle une reine oubliée, enchainant les manques de respect avec une insolence révulsant. Non. Raeghar ne sous-estimait pas son ennemie, la jaugeant dès lors qu’il avait l’occasion, dans l’espoir de capturer une information qui lui permettrait de remporter la partie vicieuse dans laquelle ils s’étaient embourbés. C’était ce qu’il avait l’intention de faire ce soir. Sa patiente était effritée et il brulait de confirmer l’intuition qui le rongeait depuis des semaines. Jaehaerys ne le trompait pas. Il s’était trop souvent laissé aller à la contemplation méticuleuse de son faciès pour se laisser berner. Elle dissimulait quelque chose, comme tout un chacun et Raeghar était bien décidé à se repaître de toutes les informations compromettantes à sa disposition.

Ce soir-là, il était en confiance, impatient, mais étrangement apaisé, certain du caractère décisif de ce qu’il s’apprêtait à faire. Il allait se faire spectateur silencieux, glanant des informations dont il savait qu’elles lui seraient utiles à un moment ou à un autre. Il attendit quelques instants avant de sortir de sa cachette, prenant soin de raser les murs tout en conservant une distance qu’il estimait suffisante. Cette mission l’enthousiasmait, trop heureux qu’il était d’agir dans un but précis. Ses blessures dans le dos le réveillaient encore parfois la nuit, mais la douleur s’était passablement endormie et Raeghar était à nouveau friand d’action. Outre une simple envie, c’était là un véritable besoin vital. Il lui fallait s’occuper pour se dépaître même provisoirement des pensées dangereuses qui affleuraient dans son crâne, lui causant des migraines insoutenables. Il n’avait rien trouvé de mieux que de se focaliser sur autre chose pour occulter le souvenir dévorant de Lula, Lula dont il ignorait si elle respirait seulement encore. Raeghar secoua légèrement la tête, comme pour se défaire du souvenir tantôt glacé tantôt brulant de la fille Osanos et focalisa à nouveau sa pleine attention sur la silhouette familière de Jaehaerys. Pressant le pas pour ne pas se laisser distancer, il se fondit dans la nuit noire en silence, le cœur bourdonnant, laissant derrière lui l’enceinte familière de la demeure familiale. Tout son être exultait, friand d’informations compromettantes. Une assurance douloureusement trompeuse dont il ignorait encore qu’elle s’apprêtait à le mener à sa perte.