En dépit de son état de fatigue avancé, Raeghar n’était pas parvenu à s’assoupir de toute la nuit. Il était resté immobile dans son lit, silencieux dans l’obscurité de la pièce familière. Son regard était resté rivé sur le plafond alors que son imagination s’emballait, le laissant en proie à une paranoïa tout bonnement éreintante. Il fallait qu’il s’en aille. C’était ce qu’il s’était répété, sans arrêt, le cœur battant, la main refermée sur le manche d’un couteau glissé sous son édredon. Bien sûr, il n’avait pas la moindre envie de partir. Outre son dilemme mental quant à sa fuite imminente, Raeghar avait été assailli d’images horribles. En tant que guerrier, il avait le cœur plutôt bien accroché. Ses parents s’en étaient assurés, lui inculquant une enfance auréolée de feu et de sang. Il avait grandit en se faisant conter des récits de massacre et avait à un moment ou à un autre finit par se persuader qu’à l’âge de vingt-neuf ans, il était désormais immunisé. Bien sûr, il n’en était rien. Il y a des choses auxquelles on ne s’habitue tout simplement jamais. Les images du mariage royal tournaient en boucle de la tête de Raeghar alors que son esprit mordant refusait obstinément de sombrer entre les bras de Morphée. A aucun moment il n’avait réussi à réellement s’assoupir, demeurant toujours dans un état de semi-conscience, cauchemar et réalité se mêlant l’un à l’autre en une litanie morbide. Dès qu’il commençait à s’endormir, ses méninges s’emballaient de plus belle et le visage de Lula avait tôt fait de s’imprimer à lui, l’arrachant à nouveau à toute brume ensommeillée. C’était bien sûr son visage à elle qui l’obsédait, comme toujours. Outre le danger qu’il courait en restant ainsi à la portée de ceux qui pourraient le jeter au pied de la couronne d’un instant, c’était le fait de ne pas savoir ce qui était arrivé à Lula qui rendait véritablement Raeghar dingue. Il voulait croire qu’elle était forcément vivante. Qu’elle avait survécu, car il ne pouvait pas en être autrement. Raeghar avait d’ores et déjà trop perdu, il ne pouvait pas la perdre elle aussi, pas alors qu’il venait de ruiner son existence pour la sauver. Se pouvait-il que son sacrifice n’ait servi à rien ? Il ne restait plus que quelques heures avant que le soleil ne s’élève quand Raeghar s’était enfin décidé à quitter son lit. D’un geste brusque, il avait repoussé ses draps humides et avait pris le chemin de la salle de bain adjacente à sa chambre pour se débarrasser de la pellicule de sueur qui recouvrait jusqu’au moindre centimètre de sa peau. Tout du long, il avait gardé à portée de main une arme, sursautant au moindre bruit. Il ne sentait pas en sécurité et doutait de retrouver un jour ce sentiment somme toute bien illusoire. Il avait sacrifié sa vie pour Lula, rien de moins. Une vie qu’il aimait. Tout ça pour elle et peut-être pour rien.

Une alternative à laquelle il ne voulait pas songer. Une pensée qu’il s’efforçait de repousser dans un coin reculé de son crâne sans succès. Sa conscience le malmenait, broyant son crâne, lui donnant un effroyable mal de tête. Il ne pouvait pas se permettre de se poser jusqu’à ce que ce sentiment étourdissant passe. Il pouvait presque la sentir, cette lame placée sous sa gorge toute disposée à lui lacérer le coup. Harald Swanson tenait le manche de cette arme, mais pas que. C’était ce qui rendait la situation si dangereuse : Raeghar n’avait pas la moindre idée du nombre d’ennemis avec lesquels il lui fallait désormais compter. Il aurait tout aussi pu se faire arrêter dans l’instant, par une personne peut-être très proche de lui. L’incertitude menaçait de le rendre fou. Il ne pouvait pas vivre ainsi, dans cette pression constante. Il avait promis à Lula de la retrouver dans une poignée de jours, en admettant qu’elle ait survécu et il savait que c’était la bonne solution. Il lui fallait être raisonnable, de la même façon qu’il l’avait toujours été avant que Lula ne fasse une entrée remarquée dans sa vie. Dans l’état de stress dans lequel il se trouvait actuellement, Raeghar en arrivait presque à regretter de s’être un jour retrouvé fiancé à Lula. Si ce n’était pas pour elle, il ne serait pas dans cette situation. Bien sûr, il ne le pensait pas vraiment, pas alors que la simple idée de la perdre le rendait véritablement malade. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait pas se permettre de trop penser à elle. Il ne pouvait pas perdre son temps, pas quand ce dernier lui était compté. Il lui fallait préparer son évasion et pour cela, il y avait des personnes avec lesquelles il devait s’entretenir. Des personnes qu’il se sentait tout simplement incapable de laisser derrière lui. Alors même que Braam aurait pu sembler tout indiqué, Raeghar lui ayant toujours accordé une confiance aveugle, ce fut vers Eurus qu’il se tourna. Outre le fait qu’il se sentait capable de tout pour et avec elle, il gardait encore une certaine rancune envers son frère aîné. Braam lui avait menti et l’aveu de ses doutes quant à sa dévotion au gouvernement avait causé un énorme choc à son cadet. Le goût amer laissé par la révélation n’était pas tout a fait passé, ressentiment qu’il n’éprouvait pas à l’encontre d’Eurus. Avec elle, il pensait savoir assez bien à quoi s’en tenir. D’une démarche un brin fébrile, Raeghar pris donc de bon matin le chemin de la chambre de sa sœur, au risque de l’extirper d’un sommeil qu’il lui enviait. Tout son corps était tendu alors qu'il progressait dans les couloirs qu'il avait arpenté tant de fois, une lame fichée dans sa ceinture. Le moindre bruit suffisait à le faire sursauter, trahissant son état avancé de nervosité. Ce fut avec un soulagement tout relatif qu'il arriva devant la porte de sa soeur à laquelle il tapa doucement. Le regard rivé le battant, il réussi à patienter quelques secondes tout au plus avant de tourner la poignée. Il entrouvris la porte et glissa la tête dans l'embrasure, embrassant rapidement la pièce du regard. « Eurus ? »