Braelyn s'était surprise à penser qu'elle ne pouvait rater cela pour rien au monde. Il ne s'agissait pas d'un plaisir morbide et macabre de voir la tête du régent de la nation de l'air tomber sur le sol de Greenstall, et encore moins d'assister à la mort de celui qui l'avait enfermée à Launondie, comme par pure et simple satisfaction. Non, là n'était pas la nature de Braelyn Wheatdrop. Était-ce alors par curiosité ? Peut-être. Peut-être voulait-elle voir à quoi ressemblait la fin de la paix. Après tout, l'enfant qui n'avait connu que l'harmonie, incapable de se souvenir des deux premières années de sa vie passées dans le chaos de la Grande Guerre, était désormais plongée dans la violence qui était propre à ce que certain appelaient art, et ce qu'elle appelait infamie. La guerre. Fléau qui s'abattait sur la douce Askana, terre gâchée par la bêtise et l'ambition. Voilà où tout cela les avait menés. Tout cela n'avait encore rien d'officiel, mais Braelyn la sentait arriver, tout comme - elle en était convaincue - la plupart des âmes qui peuplaient l'empire. Elle faisait trembler la terre sous ses grands pas, les surplombait tous de son imposante et menaçante ombre. Elle était juste là, toute proche, susurrant à leurs oreilles, prête à toquer sur les portes de chaque nation - et elle abattrait son poing une première fois une fois Oleg Valaeris réduit au silence.

Elle ne reconnaissait pas l'homme qui se tenait là, misérablement agenouillé sur la place d'une nation qui n'était pas la sienne, qu'il avait trahie et souillée par son péché. Braelyn ne pouvait empêcher les souvenirs de flotter devant ses yeux ; elle revoyait le charmant maître qui l'avait accueillie au sein de son celeste palais pour la fiancer à son fils. Elle se rappelait de ses éclats de rire, joyeux comme il était, des sourires qu'il adressait à sa future belle-fille, des claques amicales qu'il donnait dans les dos de Balian et Derric Wheatdrop. Les deux pieux frères ne se tenaient pas loin de leur fille et nièce, tous deux droits et silencieux, l'air plus solennel que jamais. Il était le propre des Wheatdrop de donner à leurs traits une expression distante, aussi froide que le marbre qui ornait le triste château qu'ils habitaient - et aucun d'entre eux ne dérogeaient à la règle. Mais Braelyn avait la gorge serrée. Elle espérait que personne ne le remarquerait véritablement. Car cet homme était l'ennemi. Cet homme avait tué Isaiah Griffith. Peu importait qu'il l'ait fait de ses mains où non, Eartanera dans son intégralité le blâmait pour la mort du petit prince, que beaucoup chérissait. Pécheur. Mais ce n'était pas tout ce que la jeune femme voyait au fond des yeux d'Oleg Valaeris. Elle ne pouvait faire obstruction de la figure paternel qu'elle le savait être, du mari qui ne rentrerait jamais. Elle tourne le regard vers son propre père, et elle se demande ce qu'il en serait, s'il était celui dont on retirerait la tête. S'il avait offensé les Sept et qu'il en payait les conséquences. Elle lui en voudrait probablement, très fort, de tout son coeur. Mais elle refuserait que sa vie ne soit si facilement résumée par ses crimes, qu'on oublie si aisément toutes les bonnes choses dont il était l'auteur.

Alors Braelyn prie.

Elle prie le Père et la Mère, silencieusement, sans même remuer les lèvres, d'aider ceux qui allaient souffrir de la perte de cet être. Elle prie l'Étranger de le guider comme il se devait, l'implore de ne pas le laisser vagabonder dans l'au-delà pour l'éternité. Car elle sait, Braelyn, qu'il fut un homme bon. Elle sait que de l'autre côté du Royaume, quelque part près des nuages, sa famille le pleure, comme les Griffith avait pleuré Isaiah. Voilà pourquoi elle était venue. Elle était venue pour ceux (ou celui, peut-être), qui n'étaient pas les bienvenus, alors même qu'ils semblaient être les plus légitimes à être présents. Elle écoute son roi prononcer sa sentence, ne le quitte pas des yeux alors qu'il lève son épée. Le soleil d'automne d'Eartanera la fait briller, un court instant. C'est quand elle voit Thomas commencer à baisser son arme qu'elle baisse son regard. Elle le rive sur dix doigts emmêlés. Elle entend la lame s'abattre, le fer briser la chaire et les os, et ses yeux se ferment, lançant un dernier appel à l'Étranger. Il ne se passe rien de plus, et la place commence à se vider. Braelyn Wheatdrop et l'une des premières à s'éclipser.

Elle ne peut pas rester.

Elle a une lettre à envoyer.