pseudo et prénom ‹ satan666, gérard. âge ‹ trois ans et demi. comment as-tu trouvé le forum? ‹ je marchais dans la rue, puis je l'ai trouvé par terre. pays ‹ la planète pluton. fréquence de connexion ‹ jamais, je compte déserter dans trois jours. votre avis sur le forum ‹ lequel ? smiley préféré‹ <33333 gif qui décrit le mieux votre personnage‹

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« Dépêche-toi ! » La voix de l’enfant résonne entre les murs suintants et pourrissants. Ses pas, rapides, tapent contre l’écho de ces mots. PAC, PAC, TOI. Derrière elle, le second se veut plus hésitant, plus timide avec cette obscurité pesante. Mais il se doit d’avancer, de poser un pied après l’autre, ou il perdra la vision de sa sœur, elle qui court et rit de ces ténèbres de moisissures. « Dépêche-toi, Tobias ! » Sa voix est chantante, et ici-bas, l’écho qui s’en forme devient spectral. Déjà, il ne la voit plus, n’entend plus que l’éclat de ses pas pressés. Il s’aventure à sa suite, le pas tout de même incertain. Mais il ne peut s’autoriser à rester trop en retrait, ou les ténèbres le mangeront. Le gamin se guide au son que fait sa sœur, si bruyante, si vive qu’elle est. La voilà qui ressort de l’ombre, les poings sur les hanches, le visage grimacé. « Fais pas l’apeuré. Ça fait cent fois qu’on vient ici. » Un jeu, de descendre aussi bas dans les égouts de la ville. Un jeu qui amuse tant cette petite aventurière, et qui traumatise un peu plus chaque fois son pleutre de frère. A chaque retour auprès de leurs parents, Iscah l’entraîne dans les bas tuyaux qui l’amusent tant. Elle en a peur elle aussi, de ces ombres inquiétantes, mais cette peur est ce qui l’excite, et l’adrénaline coule en ses veines dès le premier pas qu’elle pose en ces lieux. Ils explorent les différentes parties des boyaux de la ville, découvrent des vestiges du passé, s’imaginent leurs histoires et celles des gens qui leurs sont liés. Le rire florissant d’Iscah brille si fort qu’il chasse les monstrueuses ténèbres qui, dans leur fuite, emportent la peur paralysante de Tobias.

Les deux silencieux se font face, aussi taciturnes qu’à leur habitude. Tous deux bruns et enfants de la même année, seul le bracelet orange de l’un aide l’inconnu à les différencier. L’un a le nez perdu dans un vieil ouvrage, l’autre observe le monde qui ne cesse de tourner. Devant eux, les plateaux de nourriture s’amenuisent peu à peu. Ils n’ont pas besoin de parler, se plaisent dans ce silence qui est leur et, d’un simple regard, peuvent savoir ce que l’autre pense - ils pensaient la même chose l’instant d’avant. Eros et Tobias se connaissent à peine mais se savent semblables, et cela leur suffit pour partager leurs repas au milieu de cette foule assourdissante. Un havre de calme et de paix loin de ces bavards et tourmentés camarades. « Je t’ai cherché partout. » La voix féminine brise la bulle des garçons, et celui au bracelet de couleur relève la tête. « Je t’attendais pour manger. » Elle a les lèvres pincées, et le regard assombri. Iscah n’est pas contente. « J’ai déjà mangé. » lui répond simplement son frère. Il referme le livre, non sans avoir marqué sa page auparavant. Iscah hoche la tête, ses lippes toujours aussi fermées. Elle tourne la tête et remarque alors la présence du voleur de frère. Elle le dévisage de toute sa hauteur, ce petit noble au visage froid. Elle le méprise déjà.  « C’est toi alors, le Griffith qui a pris mon petit frère sous son aile. » Sa voix n’est pas aussi mélodieuse que d’habitude, plus froide, plus dur qu’auparavant. « Iscah, on est jumeaux… » souffle Tobias de sa petite voix, mais sa remarque n’est pas entendue, ni par l’ami, ni par la sœur. « Tu n’es pas comme je l’avais imaginé. » continue-t-elle, son regard sombre se balançant de haut en bas sur le corps du prince. « Mais bon, je m’y ferai. » Sans un mot de plus, elle s’assoit auprès de son frère, lui dérobant son livre. « Qu’est-ce que tu lis ? » Un regard s’échange entre les garçons, mélange de gêne et d’agacement. L’autre ne dit rien, ce n’est pas son combat à mener. « Iscah -- » « Quoi ? » Elle lève le regard et le plante dans les iris de son double. Elle a cette force, cette détermination qui baigne ses pupilles sombres depuis leur plus jeune âge. Lui a le regard fuyant, apeuré, bien trop timide pour se fixer où que ce soit. « Eros est mon ami. » Il insiste sur le possessif, espérant que sa sœur comprenne d’ors et déjà. « Et il sera bientôt le mien. » lui répond-elle. Elle n’a pas compris. « Non, mes amis n’ont pas à être les tiens. » Il parle doucement, il a peur de la blesser. Peur de déclencher sa colère. Ses yeux s’arrondissent, elle a compris. « On peut faire les choses séparément, maintenant. » continue-t-il, la voix basse et inquiétée. « Mais on a toujours tout fait ensemble. » Ses lèvres ne sont plus pincées, et les ténèbres de ses iris se sont adoucies. Ses joues commencent même à rosir. « Il est temps que ça change, je crois. On est devenus grands. » Il peut respirer de lui-même, elle n'a plus à l'étouffer de sa présence, de sa protection. Il est grand maintenant, il peut prendre soin de lui-même. Elle se lève, sa posture n’est plus aussi droite. Elle jette un dernier regard au noble muet, et tourne les talons. « Tu restes toujours ma sœur ! » tente l’orange, mais Iscah est déjà loin.

Son éclat est si fort qu’il la repère à des dizaines de mètres. Son visage s’orne d’un sourire délicat, et ses iris brillent d’allégresse. Elle est si belle, la divine, et si inaccessible. Elle n’est pas pour lui, et il le sait depuis longtemps, pourtant il ne peut s’empêcher de rêver d’elle à chacun de ses couchers. Elle est entourée de ses amies, se tient sous un vieil arbre. Tobias n’ose pas l’approcher. Ses doigts s’accrochent à l’ouvrage qu’elle lui a prêté quelques jours plus tôt. Il l’a dévoré, il l’a adoré, il s’est plongé dans son monde et a découvert le chemin qu’elle avait déjà emprunté. Il s’est senti plus proche d’elle, il s’est senti à ses côtés, le petit mortel qui pense tenir la main de la divine. Risible illusion. Iscah n’en sait rien, de ses rêves, ou elle se moquerait de frère imbécile. Il est prêt à faire demi-tour, à renoncer à aller la voir, quand le regard divin se pose sur lui. Et elle lui sourit, et il sent ses joues le trahir. Elle abandonne son petit groupe et traverse la cour jusqu’à lui. « Salut. » dit-il timidement, ses iris accrochées si fermement au sol de graviers. « J’ai - j’ai finis ton livre. » Et le bras se lève, et le livre se retrouve sous son nez. « J’ai beaucoup aimé. » Sa voix est si faible qu’il doute qu’elle l’entende réellement, mais le rire léger d’Ariane vient éclore jusqu’à ses oreilles. « Je peux t’en prêter d’autres si tu veux. » « Je ne veux pas abuser. » Son regard sombre s’aventure et se pose hasardement sur son délicat visage. Elle sourit, elle est si belle, et il sent son cœur devenir fou. « Attends-moi, je vais t’en chercher. » Et la divine s’envole, sa longue jupe voletant au rythme de ses pas. Lui ne la lâche pas des yeux, il a peur de la perdre, il a peur qu’elle s’enfuit et ne revienne pas. Il ne voit qu’elle, au milieu de cette cour pleine d’étudiants. Elle est la rose qui éclipse toutes les merveilles de la terre.

Devant lui s’étend l’ouvrage sacré. Il s’imprègne, en silence, des mots que d’autres ont écrit il y si longtemps. Ces lignes, il les connait déjà, il les apprend depuis qu’il est en âge de lire. Les dieux, il connait à tous leurs noms, et les attributs qu’on leur donne, et les fonctions qu’ils occupent. Il connait l’Histoire de la création du monde dans les moindres détails, et peut raconter les siècles qui en découlent avec précision. De par sa mère, Tobias est un fidèle croyant. Dans ses moments les plus solitaires, il en appelle à la Jouvencelle, ou murmure ses paroles à la Mère. Ses parts d’ombre - peur, agacement, lâcheté - sont rapidement chassées par la présence rassurante des entités. Ses mains se rejoignent sur la table, juste entre son corps et le livre, et ses yeux bruns se ferment. Ses lippes s’articulent en des prières silencieuses, des appels à l’aide et au courage, un espoir d’une fin heureuse et d’un bonheur sans fin. Pour lui, et ses parents, sa sœur également. Pour Eros, le double qui l’attend à l’autre bout du royaume et qui lui a permis de revoir sa famille en ces fêtes. Il prie aussi pour Ariane, sa belle et céleste divinité, celle vers qui ses pensées s’échappent à tout moment. Et la fumée s’empare de ses narines, il toussote. L’odeur du tabac le prend à la gorge, étouffant ses pauvres poumons. « Pourquoi tu continues de lire ça ? » Les yeux s’ouvrent, et Iscah se tient auprès de lui. Elle est assise sur la table de bois et tient une cigarette entre deux de ses doigts. Ses lèvres tracent un large sourire dont s’échappe une moquerie insolente. « Maman nous a assez embêtés avec ça gamins. » Elle tire sur sa tige de cendres, son menton se soulève, et la fumée s’échappe délicatement de ses lèvres rouges, s’élevant vers le plafond et les poutres de ce dernier. « Il se peut que j’apprécie cette lecture, Iscah. » Il referme, agacé, l’ouvrage sacré. « Il se peut que nous ne soyons pas tous comme toi. » A fréquenter les mauvais endroits, sous-entend-il, mais jamais il ne l’avoue. Mais les paroles qu’il pensait réfléchies et blessantes ne rencontrent que le rire de la jumelle. Ainsi, elles n’ont blessé non l’égo de la sœur mais celui du frère, qui se rembrunit au fond de sa chaise. « Ne boude pas, voyons. » Elle descend de son assise et passe sa main dans les cheveux sombres de son cadet. « Je vais retrouver Maman, tu viens avec moi ? » Des volutes de fumée s’envolent vers le siège célestin des Dieux. « Ils n’ont pas besoin de moi. Leur cause n’est pas la mienne. » Son regard se porte sur ce double qui l’irrite, mais pour qui son cœur fond tendrement. Il aimerait qu’elle reste à ses côtés, qu’elle ne suive pas la trace de leurs parents, initiée par leur mère. Ils ne sont pas véritablement comme elle, tant bien même leur a-t-elle toujours interdit de penser ainsi. Mais la vérité est ainsi, et ses enfants ne sont que la moitié d’elle-même. « C’est comme tu voudras. » lâche-t-elle, avant de disparaitre, non sans avoir déposé un baiser sur la joue de son frère.

Azurite réunit aujourd’hui une foule immense sur sa place. La patinoire du festival d’hiver attire, chaque année, jeunes enfants et plus grands. L’odeur des marrons chauds envahit l’espace, et les rires mutins font échos aux sourires de chacun. Tout le royaume s’est déplacé pour célébrer l’arrivée de l’hiver. Iscah et Tobias marchent côte à côté. Ils ont, l’un comme l’autre, obtenu une journée loin de leur maître pour passer le festival de leur nation en famille. Leurs mains armés de leurs patins, ils s’approchent de la glace installés pour l’occasion. Tobias glissera avec aisance, et Iscah tombera à plusieurs reprises. Elle pestera devant son regard espiègle, et tous deux passeront une après-midi avec les enfants qu’ils furent. Mais on les empêche d’avancer d’avantage, la foule est trop importante : il faut attendre. Et alors qu’ils discutent de leurs dernières aventures, on bouscule Tobias, et il tombe au sol, et l’homme s’enfuit avec le sac du maladroit. « Au voleur ! » crie-t-il, alors que sa sœur l’aide à se relever. « Il a pris mon sac ! » Des soldats, non loin de là, entendent l’appel à l’aide de leur citoyen, et courent à la suite du détrousseur. Iscah, attrapant par la main son frère, se jette à leur poursuite. La troupe arrive dans une ruelle écartée, et le gamin des rues est rattrapé. « Il fait moins le malin, le gamin. » Le sac est retourné, et les affaires gisent au sol. « On l’embarque. » Un des soldats d’Aguarini maîtrise le voleur, et le fait avancer de quelques pas. Celui-ci se débat, tente de leur dire quelque chose. « Attendez, attendez ! » s’époumone-t-il. « Lisez le journal, lisez le journal ! » Un carnet git lui aussi au sol, parmi la poussière et les débris de la ville. Le journal de Tobias, là même où il écrit ses pensées. Et il comprend, l’orange, et il se fige aussitôt. Le gamin a eu le temps, avant l’arrivée des soldats, de lire les dernières pages. « Iscah, ils ne doivent pas lire le journal. » murmure-t-il à l’oreille de sa jumelle, paniqué. Elle ressent la peur de son frère, et sans lui demander la raison de sa frayeur, lève le bras. Mais il est déjà trop tard, et le soldat a déjà le regard attrapé par les mots couchés sur le papier. « Hé ! Ce sont les affaires de mon frère ! » Elle s’avance, la grande, tente de détourner l’attention des secrets de Tobias. « Rendez-les lui. » Mais personne ne l’écoute, et les secrets sont dévoilés. « Arrête-les aussi. » ordonne le soldat à son camarade. Il a finit de lire, et le carnet se referme dans un claquement sec. « Ils sont affiliés à des rebelles. » Iscah comprend alors les secrets que renferme le journal de son frère, elle comprend les rebelles dont il s’agit. Elle comprend qu’ils doivent fuir, fuir avant qu’il ne soit trop tard. Elle se retourne et attrape le bras de son frère. D’un geste de la main et à l’aide des débris environnants, elle bloque les soldats de l’autre côté de la ruelle. Cela leur laissera le temps de fuir. « Cours, imbécile. » aboie-t-elle au peureux. « Retrouve-moi au terrain de jeux. » lui intime-t-elle, avant de décamper. Il comprend vite Tobias, qu’elle a crié cette indication assez fortement pour que les autres l’entendent. Il comprend qu’ils iront fouiller les différents parcs, les terrains de jeux de la ville. Il comprend qu’il doit retrouver sa sœur dans les égouts.

Iscah est à ses côtés. Elle efface par sa seule présence la peur qui tord ses entrailles. Mais elle ne lui tient pas la main. Elle ne le regarde pas. Des capuchons recouvrent leurs têtes, ils sont là incognito. Ils auraient dû partir depuis longtemps, ils auraient dû être loin. Mais Iscah comme Tobias ne pouvaient se résoudre à partir. Pas encore. Sur l’échafaud, le bourreau acère sa lame. Et bien vite, on les faits entrer. Il a été facile de les retrouver, leurs noms étant écrit clairement dans le journal du fils. « Damaris et Howard Estermont, vous êtes accusés de rébellion contre l’Empire. » Le père a l’air fatigué, et la chevelure de la mère a perdu de sa brillance. Les iris des jumeaux cherchent à rencontrer celles de leurs parents, de croiser encore une fois leurs regards protecteurs qui les rassurera. Une dernière fois, avant le baiser de la Mort. Ils se tiennent droit, ils n’ont pas peur. Tobias a peur, il est effrayé. Ils regardent devant eux, ne baissent pas le regard vers la foule qui s’est accumulée pour voir leur chute. « La sentence qui a été décidée est la mort. » Le temps se ralentit, alors que les corps des parents sont allongés, leurs têtes posées méticuleusement sur le bloc de bois déjà ensanglanté. Tobias, s’il en avait le courage, écarterait tous ces mécréants et se précipiterait aux pieds de l’estrade. Il s’immiscerait dans l’esprit des vilains, et changerait leurs décisions. Il libèrerait ses parents, les sauverait de la Mort qui les attend. Mais le bruit sourd de la lame le réveille de ses rêveries, et les têtes aux yeux éteints roulent au sol. Tobias n’est pas courageux. Iscah n’a pas détourné la tête, elle a tout vu, et les larmes mouillent ses joues rouges. Ils n’ont pas sauvé leurs parents, ils sont restés muets, ils n’ont pas quitté l’ombre qui les cache. Et les orphelins sentent, l’un comme l’autre, une faille se déchirer au sein de leurs poitrines. Le vide et la colère emplissent la sœur, la culpabilité et le chagrin s’emparent du frère. Côte à côte, jamais ils n’ont été plus éloignés l’un de l’autre.

« Où vas-tu ? » « A la maison. » « Mais -- » « Quoi ? » La sœur se retourne, le regard en feu. Elle lui fait peur, à Tobias, et il recule d’un pas. « Papa et Maman sont morts. Ils ne viendront plus chercher la maison. » Et elle tourne les talons, et elle disparait dans la brume d’Azurite.
Tobias ne la retrouve que dans le petit salon qu’ils habitaient autrefois, là même où leurs parents furent arrêtés il y a quelques jours. Iscah s’active à faire un sac. « Qu’est-ce que tu fais ? » Elle lève son regard d’encre vers lui, il est si dur, si impénétrable. « Je rentre auprès de Mance. » Elle range un pull dans le sac, se retourne pour attraper d’autres affaires. « Tu devrais en faire autant. » Tobias s’approche de sa sœur. Sa main se pose sur la table en bois, et ses pensées sont assaillies par les souvenirs heureux de son enfance. « Rentrer auprès de Mance ? » Elle le regarde. Elle le trouve débile. Elle lui dit. « T’es débile, ou tu le fais exprès ? » Elle ferme son sac, elle est pressée, elle ne veut plus être entre ces murs. Iscah veut fuir, loin, si loin de cette tendre enfance qui n’est plus que vestiges. « Rentre chez ton maître. Construis ta vie là-bas, ne reviens pas ici. Il n’y a plus rien ici. » Elle ne le regarde plus, elle s’active à ses affaires. « Il y a toi, ici. » Il veut y croire, Tobias, qu’ils continueront à être une famille, tous les deux, malgré l’absence écrasante de leurs parents. Iscah s’arrête, et elle lui fait face. Ses lèvres ne sont pas rouges, ses cheveux n’ont pas été coiffés. Elle qui autrefois était si charmante, la cigarette pendant à ses lippes vermeilles, ne ressemble plus à grand-chose, si ce n’est une furie endeuillée. « Il n’y a plus rien pour toi ici, Tobias. » répète-t-elle durement. « Mais, Iscah -- » Elle jette son sac au sol, un bruit sourd étouffe ses premiers mots. « --oi  qui les as tué. Toi et ton stupide journal ! Il fallait vraiment que tu écrives leurs noms ? Et les missions auxquelles ils participaient ? » La furie a les yeux rouges, et ses bras bougent en tout sens. « C’est de ta faute, Tobias ! » Elle insiste, elle appuie sur les mots. Elle laisse sa colère prendre le dessus. « Ne dis pas ça. » murmure le frère, la tête baissée. Les mots qu’elle prononce, il les a déjà entendus : c’est lui-même qui se les assène la nuit, lorsqu’il ne trouve pas le sommeil. « Pourquoi je n’ai pas le droit de dire ça ? Pourquoi je n’ai pas le droit de dire que tu es responsable de la mort de nos parents ? » Elle s’avance vers lui, la furie enragée. « Grandis, gamin ! Assume tes erreurs ! » Elle lui attrape le visage de ses griffes abîmées, forçant le jumeau à regarder son double dans les yeux. « Tu es le seul responsable de la mort de notre famille. » « Arrête ! » Il crie, et s’aperçoit que leurs joues à tous deux disparaissent sous les pluies salées de leurs prunelles tempétueuses. Il sent ses forces l’abandonner, il sent les monstres des ténèbres se refermer sur eux. Il sent la connexion mentale des jumeaux se mêler dans une étreinte enflammée. « C’est facile pour toi de dire ça, tu as toujours méprisé le gamin que j’étais, n’est-ce pas, Iscah ? Tu étais jalouse de moi, parce que j’avais des amis, et que j’étais bon en cours, et toi tu te ratais à chaque matière ! » Les mots coulent tel le flot des mers, et la jumelle encaisse sans un mot. « Et maintenant tu as une excuse pour laisser parler ton mépris. Et maintenant tu ne rêves plus que d’une chose, mettre fin à ma vie, comme mon erreur a mis fin à celles des parents ! » Il libère son bras de l’emprise de sa sœur et s’écarte d’elle. « Fuis, va retrouver Mance. » Il tourne les talons et regagne la porte. « Je sais que je suis fautif. Je sais qu’ils sont morts à cause de moi. Je ne dors plus la nuit, et jamais je ne retrouverai le calme en moi, à jamais tourmenté par leurs morts. » Il lance un dernier regard à celle qui fut autrefois sa précieuse moitié, et il sent les fils de l’esprit se rétracter alors qu’il franchit la porte de la demeure.

La maison n’a pas changé, et ressemble encore à celles de ses vieux souvenirs. Seule l’absence de la famille Estermont est venue troubler les murs de l’endroit. A l’intérieur, les meubles sont intacts, si ce n’est la couche de poussière qui s’est accumulée depuis la dernière venue des jumeaux. Les fleurs ont fané avec le temps, et la pièce dégage une odeur de renfermé. Tobias laisse glisser ses doigts sur la grande table. C’est ici qu’il a vu sa sœur pour la dernière fois, là qu’ils se sont dit leurs vérités. Jamais il n’avait pensé prononcer les mots qui furent énoncés ce jour-là, jamais il n’avait cru pouvoir tirer un trait sur son reflet. « Je t’avais dit de ne pas revenir. » Sa voix siffle dans le silence de la pièce. Tobias se retourne et découvre alors sa sœur au pied des escaliers. « Iscah -- » C’est un souffle qui s’échappe de ses lèvres, et qui s’éteint lorsque l’homme se heurte au vase. Iscah se tient toujours à l’autre bout des escaliers, mais son bras est levé, et son bracelet bleu brille sous les rayons tardifs du soleil. « Tu n’es plus le bienvenu ici. » Elle s’avance, alors qu’il est encore à terre. Du sang tâche ses mains, coupées ici et là par le verre brisé. « Attends, laisse-moi te parler. S’il te plait. » Il recule, place les mains devant lui en signe de défense, mais la féline continue d’avancer. « Tais-toi ! » Elle s’agenouille auprès de lui, et sa main s’aventure près des bris de glace. « Tu avais raison, tu m’as ouvert les yeux la dernière fois. » Ses doigts se ferment autour d’un morceau de verre. « Je n’ai plus qu’un désir, » Elle le chevauche, un sourire sur ses lippes. « et c’est de te tuer. » Il comprend, alors, la lueur animale qui habite les iris de sa sœur. Si anormale, elle est le fruit des crachats du frère. Il se rappelle avoir senti cette connexion entre les deux, mais ne s’était pas attardé dessus. Peut-être alors n’aurait-il pas entré l’esprit de sa sœur. Peut-être ne l’aurait-il pas pourri avec des idées nées de sa colère et de son deuil. Iscah se penche, la main armée s’approchant dangereusement de la poitrine de son frère. Rapidement, il cherche un moyen de s’en sortir. Ses mains fouillent autour de lui, et tombent sur un vieil ouvrage sûrement jeté au sol lors de l’arrestation. Il l’attrape, et avant qu’il ne soit trop tard, frappe sa sœur avec, qui tombe mollement au sol. Il s’écarte, encore sous le choc de ses retrouvailles. Sa peur le fait se relever, et il fuit, loin. Il n’aurait pas dû revenir en ces lieux. Ou il aurait dû la laisser le tuer, et supprimer ainsi la lourde culpabilité qui hante son cœur.

Il est en mauvais état, tient à peine debout. Son corps a changé, son visage aussi. Une barbe lui a poussé, et ses joues se sont creusées. Il partage avec sa sœur son petit nez. Il a emprunté le regard dur de son frère. Il n’est pas comme eux, pourtant. Plus bruyant, plus agité. Il ne connait ni le calme, ni le silence, et les regards se tournent tous sur lui dès qu’il daigne apparaitre. « Moi ? » Il est surpris, d’abord par la venue du prince, puis par sa demande étrange. « T’entraîner ? » Il le regarde, les yeux ronds, n’ose croire ce qu’il entend. « Je t’ai vu t’entrainer avec une épée. » « Claymore. » La correction est instinctive, machinale, il ne s’en rend pas compte. « Quoi ? » « Mon épée. Ça s’appelle une claymore. » L’autre hoche la tête, s’arrête un instant. Tobias voit bien dans son regard qu’il se fiche de cette information. « Je ne sais pas entraîner. » Il se résigne, il n’est pas bon. Il ne l’est plus. Seul l’échec vient enluminer sa vie depuis des mois. « Tu sais te battre. » Le prince insiste. Adonis a toujours été têtu, ne lâchant jamais une affaire qui l’intéressait. « Ce n’est qu’un passe-temps, juste un moyen de m’éclaircir les idées. » D’oublier la culpabilité qui pèse sur ses épaules et enserre son cœur d’un étau de fer. Ses parents, Iscah, tous ont disparu, par sa seule et unique faute. Il est seul, dans une nation qui n’est pas sienne, auprès d’une famille qui n’est pas sienne. « Tu es doué, c’est tout ce que je vois. Et je veux que tu m’entraînes. Je veux savoir me battre. » Si Iscah avait été là, si elle avait été elle-même, elle aurait ri au nez du prince. Tobias n’est pas un combattant, il sait à peine parler plus haut que les battements de son cœur. Il n’est pas celui qu’il faut. Son regard se porte jusqu’au prince, ce dernier attend la décision de l’orange. Il ressemble à sa sœur, aussi déterminé que la divine. Il l’aime, sa belle, mais n’est qu’à ses yeux l’adiutor d’un de ses cadets, le faible qui refuse d’utiliser ses pouvoirs. « C’est d’accord. » Il entrainera Adonis, lui montrera les techniques qu’il a apprit dans les bouquins. Il deviendra le mêlé fort et courageux qu’il n’a jamais été, et il attirera le regard de la princesse sur lui. Il attirera son amour sur sa personne.