La lettre lui était parvenue quelques jours plus tôt. Il en avait été tout bonnement stupéfait. Il lui avait fallu prendre énormément sur lui pour garder une expression impassible lorsqu’un homme qu’il ne connaissait nullement lui avait fourré la missive de Lula dans la main. Rhaegar avait refermé son poing sur le mot, tendu comme un arc, le contact du papier brulant sa paume asséchée. Le soir venu, lorsqu’il s’était enfin retrouvé seul dans l’intimité toute relative de sa chambre, il avait déplié le mot, le cœur battant à toute allure. Il avait relu les mots de Lula encore et encore, jusqu’à les imprimer dans sa mémoire avant de se débarrasser du mot à contre cœur. Il ne pouvait pas se permettre de conserver quoi que ce soit de vaguement compromettant, pas alors que le souvenir de sa supposée trahison restait parfaitement claire dans tous les esprits. Rhaegar avait regardé la lettre se consumer, le cœur au bord des lèvres, alors qu’un dilemme prenait naissance dans sa tête. Devait-il accéder à la requête de Lula qui le sommait de le retrouver quelques jours plus tard dans les sous-sols d’Azurite ? Comme toujours depuis sa rencontre avec Lula, le cœur de Rhaegar n’avait pas manqué de s’opposer à sa tête. Alors que la seconde voyait en ces retrouvailles secrètes de la folie pure, le premier demeurait tourmenté. Il avait envie de la revoir. Non. Il en avait besoin. Même le temps d’une poignée de minutes. Il voulait la retrouver, se tenir auprès d’elle, même s’ils devaient passer le temps accordé à se regarder dans le blanc des yeux sans prononcer le moindre mot.

La solitude pesait Rhaegar depuis son retour. Il était chez lui, là où était sa place, mais le théâtre de toute son existence lui semblait désormais inhospitalier, étranger. Comme amputé de toutes ses couleurs. Rien n’y faisait. Il ressentait un vide viscéral au fond de lui. Le manque causé par l’absence de Lula, un manque avec lequel il allait devoir composer. Il fallait qu’il se fasse une raison. C’était ce qu’il s’était maintes fois répété depuis qu’il avait été gracié. Il devait reprendre son existence, l’existence qui l’avait comblé fut un temps. Une existence qu’il aimait. Lula lui avait offert une seconde chance en obtenant cet accord avec sa cousine, la nouvelle reine d’Azurite et il ne pouvait pas se permettre de la gâcher. Alors, il tâchait de faire bon usage du présent offert par Lula. Il s’était appliqué à l’oublier durant les derniers mois, sans pouvoir y parvenir. Il avait pourtant eut beaucoup à penser. Sa vie amoureuse n’était qu’un pan parmi tant d’autres de son existence tourmentée. Il avait d’autres choses à penser, d’autres soucis à régler. Il lui avait fallu s’occuper du cas de Braam. L’affection qu’il portait à son frère aîné l’avait poussé à contrarier encore une fois son allégeance à la couronne. Il avait commis un véritable acte de trahison cette fois-ci, en participant à l’évasion de son aîné. Il n’en éprouvait aucune culpabilité cependant. De la même façon qu’il ne regrettait pas d’avoir secouru Lula lors du mariage impérial, il ne regrettait pas non plus d’avoir permis à son grand frère de recouvrer la liberté. Braam était dans la nature et c’était là tout ce qui importait vraiment. Rhaegar tâchait de se consoler avec cette idée, sans véritablement y parvenir. L’incarcération de Braam n’avait été qu’un problème parmi tant d’autres. Rhaegar avait l’impression de se démener péniblement pour rester à la surface et il n’était pas sûr que retrouver Lula pouvait lui être d’une quelconque aide, bien au contraire. Alors qu’il rejoignait le lieu de rendez-vous avec mille précautions, il se sentit pour l’énième fois submergée par le doute. Il se montrait imprudent. Irréfléchi. Cela ne lui ressemblait pas. Il ne se ressemblait jamais lorsque Lula était concernée de près ou de loin. Cette fille allait finir par avoir sa peau. Il commettait des actes de pure folie pour elle et cela n’avait pas de sens car rien n’allait jamais pouvoir se passer entre eux. Leur amour était condamné. C’était là un combat que Rhaegar n’avait pas l’énergie de mener. Un combat en lequel il n’était plus sûr de croire vraiment. Alors que son esprit s’embrasait, il progressait dans les sous-sols du palais. S’il avait appris des années plus tôt à se déplacer silencieusement, il trouvait néanmoins le bruit de ses pas tout bonnement assourdissant. Il prenait trop de risques. Il avait très bien pu se faire suivre. A cette pensée, la paranoïa déjà exacerbée de Rhaegar se retrouva amplifiée. Il jeta des regards nerveux à droite à gauche et remonta la capuche de son vêtement sur ses boucles brunes, son cœur tambourinant à toute allure dans sa poitrine. Il ne lui était pas aisé de se repérer dans les sous-sols et il se décida finalement à s’immobiliser. Il patientait depuis un certain laps de temps lorsqu’une voix s’éleva dans son dos. « Rhaegar ? » Il ne put s’empêcher de sursauter, quand bien même son prénom avait été soufflé, murmuré. Il se retourna vivement pour se retrouver face à face avec la silhouette reconnaissable de Lula. Pendant un instant, il éprouva un immense sentiment de soulagement, avant que sa tension ne se manifeste à nouveau, tendant son corps. « Tu es venu… » Il acquiesça de la tête. Sa belle éloquence avait toujours tendance à le lâcher misérablement lorsqu’il se retrouvait en présence de Lula. Il y avait quelque chose de sidérant dans le fait de se retrouver ainsi en face d’elle. Il réalisa brusquement qu’une partie de lui s’était véritablement fait à l’idée qu’il ne la reverrait plus. Il avait commencé à faire son deuil de Lula Osanos, quand bien même toutes ses tentatives en ce sens avaient échouées jusque-là. Être à nouveau à son côté, si proche qu’il pouvait aisément l’enlacer, cela lui semblait irréel. « Il fallait que je te vois. » S’entendit-il prononcer et sa voix lui paru lointaine, comme si, en dépit de la proximité de leurs deux corps, il demeurait hors de sa portée. La dernière fois qu'ils s'étaient quittés sur un baiser gorgé d'émotions. Un souvenir que Rhaegar avait emporté avec lui. Une image incandescente qu'il s'était maintes fois repassé depuis. L'envie ne lui manquait pas de recréer la perfection profonde de cet instant, mais il s'abstenu. A la place, il déposa un baiser très chaste et rapide sur ses lèvres. Il se montrait relativement froid, distant, une attitude qu'il n'adoptait guère avec plaisir. Au contraire, il mourrait d'envie de l'étreindre avec force, mais il ne parvenait pas à se défaire de l'intuition que cela n'allait rendre la situation déjà particulièrement difficile que plus insoutenable encore. Alors il se contrôla tant bien que mal, comme il avait coutume de le faire avant que Lula ne libère en lui un torrent d'émotions aussi dévastatrices qu'incontrôlables. Il entrouvrit les lèvres alors qu'une interrogation s'imposait à lui. Comment vas-tu ? Une interrogation ourlée de curiosité sincère, mais qu'il s'abstenu néanmoins de lui poser. Une interrogation de ce genre lui semblait idiote. A la place, d'autres paroles franchirent la barrière de ses lèvres. « J'ai appris ce qui est arrivé à soeur. » L'exécution de Rei. Une nouvelle qui avait laissé Rhaegar mortifié. Non pas qu'il ait été proche de la soeur cadette de Lula de son vivant, car ce n'était pas le cas. Mais il ne pouvait qu'imaginer l'horreur que représentait la peur d'une soeur. Ce sentiment, il espérait bien ne pas le connaître de si tôt. Cette peur de connaître une telle perte l'avait poussé à agir contre le couronne pour préserver la vie de Braam. Cette peur l'avait amené à commettre une trahison et s'il fallait le refaire, il le referait. La famille devait être protégée. « Je suis désolé, Lula. » Désolé pour la perte de sa soeur, mais pas que. Rhaegar était désolé pour tant de choses qu'il en avait carrément perdu le compte. Désolé que la vie soit ainsi. Cruelle. Infâme. Monstrueuse.

Rhaegar s’applique. Il lui faut déployer des trésors de force pour conserver une certaine distance alors même que tout son corps aspire à enlacer Lula. Il se fait violence de peur qu’un instant de bonheur auprès de celle qu'il aime ne lui rende sa réalité que plus amère encore. Car c’était bien là tout ce à quoi ils pouvaient aspirer, tous les deux. Des moments fugaces, à l’abri des regards. Des interludes charnels, des retrouvailles secrètes et interdites. Une relation de l’ombre. Un secret d’ores et déjà bien éprouvé. Rhaegar n’avait pas envie de cela. Son histoire avec Lula lui apportait autant de joie que de tristesse. Parfois et de plus en plus fréquemment, il s’interrogeait sur le caractère véritable de leur relation. Est-ce que cela en valait seulement le coup ? Peut-être qu’ils s’acharnaient bêtement à s’unir dans un monde qui s’évertuait méthodiquement à les séparer. Peut-être que tout ceci n’était rien de moins qu’une monstrueuse erreur qu'il leur vaudrait mieux écourter. Toutes ses pensées pénibles se télescopaient dans la tête de Rhaegar alors qu’il faisait face à Lula après des semaines de séparation forcée. « J’en avais besoin aussi. » Son attitude la déconcertait. Il le sentait. Elle lui adressa un sourire, jolie tentative visant à le décrisper.  Dans un effort, Rhaegar tâcha de lui rendre la pareille, mais il y avait quelque chose de figé dans son expression faciale. La tension qui émanait de son corps persistait alors qu’il ne parvenait pas à lâcher prise. La réalité extérieure n’était pas dissipée par la présence de Lula, bien au contraire. A vrai dire, la présence de la jeune femme lui était presque douloureuse. Un rappel de ce qu’il ne pouvait pas avoir. Un rappel de ce qu’il avait perdu. Il ne voulait pas l’enlacer. Pas alors que cela ne durerait jamais suffisamment. Ce sentiment, Lula ne le partageait de toute évidence pas. A défaut de pouvoir lui donner ce qu’elle attendait de lui, Rhaegar prononça des excuses. Des excuses pour ce qui était arrivé à sa sœur. Le sourire de Lula disparu, éclipsé par le souvenir d’une sœur qu’elle ne retrouverait jamais. Rhaegar s’en senti presque coupable. Coupable d’avoir abordé un tel sujet. Il n’aimait pas lire tant de chagrin dans les yeux de Lula. Au contraire, il voulait la savoir heureuse. Ainsi, Rhaegar trouverait sa vie beaucoup plus supportable. La pensée de devoir se résoudre à passer une existence sans Lula lui brisait véritablement le cœur, mais il se savait capable d’accepter la situation si seulement il la savait épanouie. « Merci. » Rhaegar ne répondit pas, se contentant à la place de planter son regard dans le sien, comme pour lui transmettre sa compassion. Lorsque Lula se racla la gorge, il se tendit encore un peu plus, les sourcils froncés, redoutant la suite. « Mais je ne suis pas venue pour parler d’elle. » Evidemment. Le ton de Lula était sans équivoque. Elle ne voulait pas parler de Rei, ce que Rhaegar ne comprenait que trop bien. Il respectait son désir de garder sous silence la triste exécution de sa sœur cadette, mais le tournant à venir de leur conversation l'effrayait. Il ne pouvait pas s'empêcher de vouloir malgré lui retarder ce qui lui apparaissait comme étant pourtant inévitable. « Comment vas-tu depuis… la dernière fois ? » Il se mordit impitoyablement la lèvre. La dernière fois. Cela lui semblait si proche et si loin, tout à la fois. Il avait encore le goût de leur dernier baiser sur les lèvres, mais il lui semblait également que toute une vie s’était écoulée depuis ce moment là… Tant de choses s’étaient passées depuis qu'ils s'étaient quittés. « Est-ce que tout va bien ? » Est-ce qu’on va bien ? Question muette qui peine à franchir la commissure de ses lèvres. Le cœur de Rhaegar se serre et il doit prendre sur lui pour ne pas reculer quand Lula s’approche de lui, avant d’attraper sa main. Il se crispe davantage à ce contact alors que la caresse de sa peau fait remonter en lui un indescriptible torrent d’émotions. Il est au supplice, il ploie sous le désir vociférant qu’elle lui inspire. « J’ai l’impression que tu m’en veux, que j’ai fais quelque chose de mal. » Il est en train de l’angoisser de par son attitude froide, distante. Il aimerait la rassurer. Déposer un doux baiser ses lèvres, laisser ses mains s’égarer dans sa chevelure foncée. L’apaiser en lui soufflant que tout va bien. Qu’ils vont s’en sortir, que tout cela leur apparaîtra bientôt comme une période difficile mais révolue. Tout cela cependant, ce n’est rien de moins qu’un mensonge. « Non, je… » Il peine à trouver ses mots. Ces derniers le narguent alors qu’il peine à mettre de l’ordre dans ses pensées tourmentées. Il s’est pourtant maintes fois imaginé cette conversation, mais maintenant que le moment est venu, sa belle assurance se fissure, le laissant vulnérable et mortifié. Doucement, il repoussa sa main, dans l'espoir de réfléchir plus facilement ainsi. Il éprouvait une douleur physique en se tenant ainsi près d'elle sans la toucher, mais c'était mieux ainsi. Il essayait de s'en convaincre. « Je te remercie. Pour l’accord que tu passé. Je n’ai pas eut à renoncer à ma vie et c’est grâce à toi. » Même si tu ne m’as pas consulté. Même si tu as marchandé en mon nom sans même songer à t’inquiéter de ce que je pourrais bien vouloir. Des reproches qu’il garde sous silence, mais qui se ressentent néanmoins dans son attitude peu avenante. « Tu m’as sauvé. » Elle n’avait peut-être pas pu sauver sa sœur, mais elle l’avait sauvé lui, indéniablement. Il avait pu rentrer chez lui grâce à elle, même s’il s’était douloureusement aperçu que l’endroit qu’il avait retrouvé n’avait plus grand chose à voir avec celui qu’il avait quitté. « Mais est-ce que c’était vraiment la chose à faire ? Je ne sais pas... » Et il en a mal de prononcer ses mots. Il en a mal à l’idée de la blesser. Il ne peut pas s’arrêter cependant. Les mots se déversent sans qu’il n’amorce le moindre geste pour les retenir. « Lula, on ne peut pas continuer comme ça. Je ne t'apprend rien. Tu le sais aussi bien que moi. » Même si elle voulait de toute évidence se convaincre du contraire. Il lui fallait admettre que cela ne rimait à rien. Ils se faisaient du mal. Ils étaient en train de mourir à petit feu, prisonniers d'une relation impossible.

Il se montrait dur, très dur. Il ne l’épargnait pas, en dépit de ses sentiments pour elle. Et aussi absurde que cela puisse lui sembler, il faisait tout cela aussi pour son bien à elle. Il tâchait d’agir dans leur intérêt à tous les deux, de la même façon que Lula avait cru le faire lorsqu’elle avait conclu ce pacte avec sa cousine. Elle avait pensé lui rendre service et en la repoussant aujourd’hui, Rhaegar lui rendait douloureusement la pareille. Elle souffrait pour l’instant, sous le choc des paroles qu’il prononçait, mais plus tard, quand elle aurait digéré tout ça, elle allait comprendre. Comprendre qu’il ne faisait pas preuve de cruauté. Qu’il ne la blessait pas sans raison même si c’était tout ce qu’elle voyait pour l’instant. Il cherchait à la ménager, à les ménager tous les deux. Pour cela, il devait se montrer sanglant. Glaçant. Il aurait dut l’être des semaines plus tôt, avant que leurs vies ne se retrouvent totalement retournées. La stupéfaction de Lula laissera bientôt place à la colère. L’explosion est proche, il le sent. En un sens, c’est mieux. Qu’elle s’énerve. Qu’elle le maudisse. Qu’elle le déteste. Ce sera plus simple ainsi. C’est peut-être même ce qu’il recherche. Défigurer l’amour en haine pour que ce soit plus vivable ainsi. C'est ce qu'il veut. Qu’elle ne soit que haine à son égard. Ainsi, peut-être pourrait-il cesser avec le temps de l’aimer si fort. Il la suit du regard alors qu’elle s’éloigne, s’arrêtant près du lac. A son tour, il jette un coup d’œil à la surface plane. Cela ne lui apporte aucun réconfort. Il peut presque entendre son cœur se fissurer dans sa poitrine, faisant écho à celui de Lula qui ne se porte guère mieux. « Ca fait beaucoup d’informations d’un coup. » Elle ne le regardait pas et il ne l’en blâmait nullement. Au contraire, il lui en était reconnaissant. Il était évident que cette conversation déjà incroyablement périlleuse le deviendrait d’autant plus s’il devait la regarder dans les yeux tout du long. « Cela m’a semblé être la meilleure solution. Une vie où nous pourrions être du même côté, où nous pourrions cesser d’être des ennemis. » Oh, il voulait bien croire que ses intentions étaient parfaitement pures. Pour tout dire, il n’en avait jamais douté. Lula avait sincèrement cru lui rendre service avec cet accord. Il la considéra néanmoins avec stupéfaction alors qu’elle continuait à regarder ailleurs. Qu’elle complote pour le faire gracier, c’était une chose, mais comment pouvait-elle s’imaginer que cette vie pourrait le satisfaire ? Comment pouvait-elle croire que c’était là la meilleure solution ? Un accord qui leur interdisait d’être ensemble, voilà ce qui avait été négocié. Et Rhaegar ne pouvait se satisfaire d’une vie qui ne soit pas passée auprès de Lula. « Malheureusement tu n’as pas l’air du même avis. » Tout juste. « Qu’est-ce que ça veut exactement « on ne peut plus continuer » ? » Elle voulait l’entendre l’énoncer clairement. Elle voulait l’entendre de sa bouche. Que leur relation n’avait pas d’avenir et qu’à défaut de pouvoir être auprès d’elle au quotidien, il préférait encore tirer un trait sur leur semblant d’histoire. Des paroles qu’il n’avait encore jamais prononcé à voix haute car cela le terrifiait. Durant les dernières semaines, il avait pourtant essayé de se résoudre à l’idée que sa relation avec Lula était dépourvue d’avenir. Il avait fait de son mieux pour s’occuper l’esprit, pour l’oublier. Il se battait contre ses propres sentiments avec toute la hargne qui l’avait toujours caractérisé. Et c’était une guerre effroyable dans laquelle il n’avait de cesse de perdre du terrain. « A quoi tu t’attendais, Lula ? » La froideur véhiculée par son ton s’effrite. La douleur imprègne sa voix, une souffrance sourde qui l’ensevelit à l’idée de ce qu’il s’apprête à faire. « Cet arrangement me sauve peut-être, mais il me condamne aussi. Il nous condamne. » Ne le voyait-elle pas ? Comment pouvait-elle sérieusement se figurer qu’ils pouvaient vivre ainsi ? Il avait envie de la secouer comme un prunier pour lui faire comprendre que tout était fini entre eux depuis déjà quelques temps. Peut-être même que cela s'était fini avant d'avoir le loisir de commencer. « Comment veux-tu qu’on reste ensemble alors que je ne peux même pas prononcer ton prénom en public sans crainte ? Tu ne vois pas que ça ne marchera jamais ? » Pourquoi devait-il le lui expliquer ? Pourquoi ne pouvait-elle pas comprendre cela toute seule ? Pourquoi fallait-il qu’il prononce ces mots qui lacéraient jusqu’à la moindre parcelle de son cœur ? « Regarde la vérité en face, Lula. Toi et moi, on ne pourra jamais être ensemble. » Car cela ne tenait pas qu’à eux. C’est le monde entier qui aspirait à les séparer. Et il allait toujours l’aimer. A jamais. Mais tout ça, il fallait que ça s’arrête. Ils ne pouvaient pas continuer ainsi. Même si c’était atroce de se quitter de cette façon. Il supportait à peine de la regarder et pourtant, Rhaegar persistait à l’observer de loin, le cœur au bord des lèvres et prêt à s’écraser à ses pieds.

Il se montrait odieux. Alors qu’elle s’était bien certainement attendue à des retrouvailles autrement plus chaleureuses, voilà qu’il s’acharnait véritablement à lui briser le cœur en lui expliquant en long et en large la simple vérité. Car il n’inventait rien. Il ne faisait qu’énoncer des faits, des faits dont elle avait forcément conscience mais qu’elle était jusqu’alors parvenue à refouler dans un coin reculé de sa tête. Il crevait l’abcès, même s’il aurait certainement pu y mettre plus de délicatesse. Il lui faisait du mal, peut-être plus que nécessaire. Il n’en tirait pas la moindre satisfaction, bien loin de là. Au contraire, il en avait physiquement mal de la blesser ainsi, mais il ne pouvait pas reprendre les mots qu'il avait prononcé et il n’était par ailleurs pas certain d’en avoir envie. Car c’était la chose à faire. Il en avait la certitude quand bien même une petite voix persistait à s’élever à l’intérieur de sa tête, l’insultant avec véhémence pour ce qu’il était en train d’infliger à la femme qu’il aimait. Cette petite voix parvenait à percer le flot bruyant de ses pensées, inondant son crâne d’insultes qu’il tâchait d’ignorer. Je fais ça pour nous. C’était ce qu’il répétait, encore et encore. Je fais ça pour nous, je fais ça pour nous, je fais ça pour nous. Elle allait le détester maintenant et avec le temps et la distance imposée, cette colère allait tranquillement prendre le pas sur tout ce qu’il y avait eut entre eux deux. Aussi pénible qu’il soit, l’éloignement forcé allait leur être profitable. Ils allaient parvenir à cicatriser, loin de l’autre et, un jour, sans qu’ils ne l’aient vu venir, ça n’allait plus faire si mal que ça. Ils allaient avancer, emprunter des voies différentes, s’éprendre d’autres personnes, quand bien même Rhaegar ne croyait pas en ce dernier point. L’idée de s’imaginer auprès d’une autre femme suffisait à lui filer la nausée. Non. Lui voulait juste retrouver son existence passée. La vie qui était sienne avant que Lula n’entre dans la danse. Libéré de leur relation véritablement néfaste, il allait pouvoir rendre à son univers toute sa cohérence. C’était ce qu’il se figurait du moins, l’imbécile. Le caractère définitif de ses propos avait déverrouillé quelque chose, il le voyait bien. C’était une chose de formuler ses mots dans sa tête, mais maintenant qu’ils raisonnaient entre eux deux, leur portée douloureuse brulait tout sur son passage. « Je pensais qu’on arriverait à vivre avec. Nous avons bien réussi à nous voir ce soir, qu’est-ce qui nous empêche de recommencer ? » A ses mots, Rhaegar secoue la tête. Car ce n’est pas ce qu’il veut. Ca ne sera jamais suffisant. Ca lui convient peut-être à elle, mais ce n’est pas son cas à lui. « Non. » Un seul mot qui ne saurait être davantage porteur de sens. Son ton est définitif, sec. Il ne veut pas d’elle dans ces conditions. Il ne la veut pas à moitié, par intermittence. Ca fait simplement trop mal. « Tu es proche de Cal, d’après ce qu’il m’a dit. J’ai pensé que tu aurais pu essayer de le convaincre de nous laisser une seconde chance. » Elle est au bord des larmes. Ca lui déchire le cœur de se savoir ainsi unique responsable de la peine qu’elle éprouve, mais Rhaegar ne peut pas s’empêcher de lui lancer malgré tout un regard incrédule. Elle s’est bercée d’histoires édulcorées. Cette histoire comme quoi il pourrait obtenir quoi que ce soit de Cal… C’est ridicule, grotesque. Il s’abstient de prononcer ses mots à voix haute, ayant tout de même cette décence, mais il n’en pense pas moins. Peu importe l’amitié qui a pu exister entre Cal et lui, il ne dispose pas du poids nécessaire pour obtenir quoi que ce soit de son empereur. Lula s’est réfugiée dans des illusions, trouvant en ces dernières un confort illusoire. Et voilà qu'il en reviens à Rhaegar de la ramener brutalement sur terre. « J’ai pensé que tu le ferais pour nous. » C’est donc ainsi qu’elle voit les choses. Comme un abandon pur et simple de sa part. Comme s’il baissait les armes sans même avoir essayé par tous les moyes d’obtenir ce qu’ils désiraient tous les deux. Ca le touche, Rhaegar, d’autant plus qu’elle n’en a pas fini avec lui. « Encore une fois, j’ai dû me tromper. Tout comme je me trompais en pensant que tu m’aimais. » » Et elle ne peut décemment pas être sérieuse. Non. Elle cherche simplement à le blesser de la façon dont il vient de le faire. Une espèce de vengeance pour l’anéantir. Il ne veut pas voir les choses autrement. Il ne veut pas croire qu’elle pourrait penser ces mots. Penser sérieusement qu’il ne l’aime pas, ou pas assez. Car c’est faux. Il n’a jamais aimé personne comme il l’aime et c’est là tout le problème. Elle plante son regard dans le sien et comme il l’avait espéré, la haine prend déjà lentement le pas sur tout le reste. Et il en a connu des regards noirs. Il est familier à la violence, familier à la haine. Ca ne le touche même plus. Mais il n’est pas sur un champ de bataille, ou du moins pas sur ceux auquel il a été préparé tout au long de son existence. La guerre est toute autre, transportée en ces lieux souterrains et l’aversion qu’il lit dans le regard de Lula le tétanise un instant. Il est comme sonné quand elle le contourne, mettant de ce fait fin à leur conversation. Il pourrait aisément la rattraper. Refermer sa main sur son bras, la forcer à lui faire face. Lui dire qu’elle a complètement tort. Qu’il l’aime. Trop même. Beaucoup trop. Qu’il veut se battre pour elle, mais qu’il ne voit guère d’issues, rien que des culs-de-sac. Il ne bouge pas cependant. Il ne se retourne même pas, laissant son regard se perdre dans le vide alors que la douleur ravage son corps, lui donnant une envie furieuse de se laisser tomber sur le sol avec l’espoir que le contact de la pierre froide lui remette les idées dans l’ordre. Il reste debout cependant. Son corps lui semble soudain très lourd, ankylosé. C'est la peur qui le cloue encore sur place alors qu'il prend conscience de ce qui viens de se passer. De ce qu'il viens de faire. Il ferme un instant les yeux, préférant une obscurité à une autre, laissant le doute s'immiscer avec force derrière ses paupières closes. Qu'est-ce que tu as fait ? Il tâche de faire le vide, de se concentrer sur sa respiration et sur les battements de son coeur. Comme dans son enfance, lorsqu'il peinait à s'endormir, son esprit étant en proie à des pensées trop nombreuses, il essaie de se calmer. Quelques secondes s'écoulent avec qu'il ne renonce, rouvrant brusquement les yeux sur le vide laissé par Lula. Il fait volte-face, avec une certaine brusquerie, l'air totalement perdu, toute carapace glacée éventrée. Son regard n'embrasse cependant que l'obscurité. La silhouette de Lula s'est déjà évanouie.

fin du rp.