Spoiler:

(2132, zunear, demeure des dynerris) Elles roulaient les larmes, avec passion. Elles coulaient intensément et baignaient les joues de cette adolescente qui ployait les deux genoux, impuissante. Le cœur lourd, elle tombait, et son cœur lui se fendait. « Reste. » Des sanglots et ces râles murmurés, faibles armes contre ce silence imposé. Elles peinaient à sortir, ces supplications inutiles. Et la quiétude du frère aîné dominait complètement l'horreur qui émanait de cette gosse, prostrée sur le sol. « Reste avec nous, je t'en supplie. » Ne prends pas les armes, ne laisse pas ton corps se joncher des mêmes cicatrices qui forçaient maintenant père à ne quitter sa couche. « Il vient à peine de rentrer, tu ne peux pas partir si tôt. » Mais il souriait, son frère unique. Il souriait vaguement, pourtant si sereinement que les larmes de sa cadette semblaient sur le point de se taire. Mais pas les images qui se bousculaient dans l'esprit inquiet, celles rappelant toutes les blessures. Les maux des Dynneris. Le tombeau d'une mère, les balafres d'un père revenu en des milliers de morceaux de la guerre. Et surtout pas celles en devenir, celles qu'elle imaginait, créait de toute pièce. Celles d'un futur qu'elle prédisait déjà, pour lesquelles ont la penserait sorcière si toutefois elle n'osait même que les murmurer. Pourtant pas magicienne, seulement habituée. Accoutumée à ne vivre que pour le pire, qu'entre les mains du malheur, enlacée par le démon de la terreur. Ainsi vivaient les enfants de la guerre. Dans la crainte, constante. Ils n'avaient jamais connu que cela, et pourtant combien ne s'y habituaient pas. « Ne te sens pas obligé de prendre sa place. » Elles tremblaient ses mains, si fort, qu'elles peinaient presque à se lover dans celles de l'aîné. « Et qui d'autre ? » Ses jambes elles, manquaient de se dérober lorsqu'il la relevait. Alors elle baissait la tête, ne pouvait soutenir le poids des mots prononcés, moins encore ces prunelles. Menteuses. Ensorceleuses. « Veux-tu vraiment laisser l'ennemi marcher sur nos terres, assujettir nos villes, notre famille ? » Ce n'était plus une enfant, et pourtant elle se comportait comme tel. L'égoïsme l'aveuglait, elle le savait, mais n'en avait que faire lorsqu'il s'agissait de son frère. « Ne crois-tu pas qu'ils nous ont suffisamment pris ? » Mais ce n'était une femme non plus, pas encore. Et elle prouvait là que de si tôt, elle ne le deviendrait. Car comment pour cette enfant accepter de sacrifier son sang pour le bien de simples voisins pourtant aussi innocents. Comment fixer ses iris, tout en sachant qu'il fallait dans sa mémoire les graver, sous peine de ne jamais pouvoir s'en rappeler. Alors elle demeurait fermée. « Je reviendrai vite. » Faisait la sourde oreille. « Aussi vite que possible, je te le promets. » Vivait avec des œillères. « Tu me fais confiance, Ethel ? » Et priait. Oh ça oui, elle priait, passait ses nuits mains jointes et poings reliés. Mais personne ne répondait aux implorations. Pire, seulement le contraire se produisait. Alors que devait-elle faire, supplier l'inverse ? Prier pour qu'on les retrouve le corps parsemé de trous vermeils ? C'est ce qu'elle se risquerait à faire, après des semaines sans nouvelles. Et pour la première fois, l'existence d'un Dieu suprême lui apparaîtrait comme réelle. Aussi certaine qu'il la haïssait, car le douze mars deux mille cent trente-trois, l'ont frapperait à sa porte pour lui dire qu'à jamais, son frère sur le champs de bataille s'était endormi.

(2136, azurite, demeure des osanos) Tout au bout de l'allée, la maigre silhouette d'une femme en devenir se dessinait. Et l'ont devinait sous ce voile immaculé ses traits, mais heureusement à peine son sourire, par l'appréhension crispé. A peine ses craintes, sa peur d'avancer. Pourtant, savamment dissimulée derrière cette allure raffinée se cachait l'enfant. Cette jeune fille provenant d'une famille décimée, celle qui s'apprêtait à faire sombrer dans l'oubli le nom des Dynneris. Dernière héritière, si seule sous ses tonnes de bijoux et pierres. Le regard droit, figé sur la nuque de cet homme qui partagerait sa vie, comme s'il était son repère alors qu'elle ne le connaissait qu'à peine. Depuis toujours peut-être, mais si peu, pas assez profondément pour pouvoir lui jurer amour et fidélité. Pourtant elle le dirait, Je le veux. Elles s'ouvriraient doucement pour le laisser filer, ses lèvres. Parce que père, sous le regard rassurant de l'ami couronné, l'avait décidé. Pourtant il n'était là pour voir son enfant, il s'en était allé le lendemain des fiançailles, l'avait laissée entre toutes ces mains qu'il jugeait bonnes et profitables. Et sous le poids de maintes responsabilités. Être l'ultime serment d'allégeance d'une famille qui s'éteindrait bientôt, là deviendrait, dans quelques minutes, son interminable fardeau. Tu seras heureuse, ma fille. Ses iris n'avaient été que sincérité lorsque sur son lit de mort, il avait prononcé ces mots. Alors elle avançait, prunelles embuées. Sous toutes ses parures, elle rejoignait le charmant. Mais tous ces regards qui l'accompagnaient vers le bien apprécié ne suffisaient à combler ce trou béant dans sa poitrine, qui n'avait eu de cesse de s'élargir, depuis trop longtemps et à jamais maintenant. Alors ces faciès, ils comblaient juste la pièce, pas le vide. Comme leurs sourires. Même leurs rires, ils serraient son cœur. Car s'ils étaient aussi beaux tous, c'est qu'elle avait tant donné pour. Un passé, qui n'existerait plus que dans quelques mémoires qui comme la sienne, n'auraient de cesse de s'effacer. Un présent, comme ce futur qui lui tendait les bras, incertain. Ses mains, elle allait à jamais les lier à ceux qui venaient, par la ferveur des leurs, de rejoindre le sommet. Grâce à ses larmes et combien d'autres. Grâce au sang des fantômes, qui pour faire briller l'étendard Osanos s'étaient fait trouer la peau. Tu seras heureuse, ma fille. Ils martelaient son crâne, ces mots par lesquels elle s'était laissée convaincre. Auxquels elle croyait encore, lorsque son fiancé se retournait enfin pour admirer sa taille, habilement sculptée par un corset qui la rendait si belle, mais ne la laissait qu'à peine respirer. Naïve, elle continuerait à y croire, une poignée de mois, au plus quelques années. Jusqu'à trouver le courage de s'avouer qu'il s'était trompé, papa. Car la main qui soutenait maintenant la sienne, bien vite la laisserait tomber.

(2145, azurite, demeure des osanos) Ce n'était pas la passion, mais une douce désillusion qui s'était épris d'elle au gré des années. Mais ce cri, celui d'un nourrisson qui fendait l'air, à son entente, c'était un tourbillon de détresse qui de la pièce s'évadait. Déboires et déceptions reculaient d'un pas, ils laissaient gracieusement l'espoir les précéder, comme si par sa simple naissance cet enfant, Seren, avait réaligné astres et planètes pour les rendre favorables à celle qui l'avait porté. « Il est magnifique, n'est-ce pas. » Lex se taisait, et pour la première fois, elle n'avait que faire de ses silences constants, de ce gouffre entre eux qui s'élargissait. Sur le moment, elle se surprenait même à le regarder. Et à l'aimer, pour cet enfant. « Petite merveille. » Susurrait-elle, alors qu'elle se sentait exceptionnelle, réalisait combien l'amour pouvait être inconditionnel, absolu et même en si peu de temps, parfait. Alors elle pleurait d'adoration, répondait aux semblant de sourires de l'enfant, malgré que chaque parcelle de ce corps meurtri par l'effort demeurait désarçonné. Elle ne s'était jamais sentie aussi forte. Elle ne s'était jamais sentie aussi faible. Et ses bras bien qu'ils entouraient fermement l'enfant, n'avaient jamais tremblés autant. Parce que cet amour qui l'envahissait semblait dangereux. Parce qu'elle donnerait sa vie sur-le-champs, de la même façon qu'elle tuerait pour le protéger. Alors, elle redevenait cette petite fille apeurée, juste un instant. Parce qu'au contact de cette peau que la sienne réchauffait, c'était comme si l'épaisse armure qu'elle s'était forgée, en lambeaux s'envolait. Petit être, elles lui rappelaient la peur, ses prunelles de jais qui ne voulaient qu'à peine se laisser admirer. Et il lui rappelait l'enfer, Seren. Il lui rappelait la douleur, et elles redevenaient béantes, toutes les plaies de sa mère. Mais il était cette lueur d'espoir qui l'aveuglait, elle, qui s'était tant murée dans l'obscurité. Et c'était violent, c'était irréfléchi, presque animal cet amour qu'elle lui portait, alors qu'elle avait tant haï cette grossesse, plus encore que la première, parce que cette fois, elle savait ce qui l'attendait. Des mois de calvaires à frôler les bas-fonds. Un regard qui fuirait la chaire de sa chaire, ce sentiment de ne jamais pouvoir faire plus qu'enfanter, qu'elle ne serait jamais véritablement mère. C'était ce qu'il s'était passé avec Merle, fillette pourtant si désirée. Et voilà que pour celui qu'elle redoutait, son cœur s'ouvrait, et laissait s'échapper tant d'amour. Seren, elle souffrirait avec lui, répondrait à ses sourires et ne serait jamais fatigué de ses cris. Elle pourrait l'admirer, encore, et encore, jusqu'à de mémoire pouvoir le dessiner. Et tant pis pour les maux qui avec l'amour venaient, elle les supporterait. Parce qu'elle ne connaissait plus cette saveur, celle du bonheur. Et que pour qu'il continu à faire frissonner son cœur, elle était prête à revivre toutes les douleurs.

(2164, eartanera, forêt de jarskogur) La quiétude qu'avait retrouvée Aguarinui vingt-cinq années plus tôt n'était plus que souvenirs. Des morts, déjà. Tout ce sang versé à nouveau. Ce pays, qui encore, partait en lambeaux. Et les mèches par les mêmes mains avaient été allumées. Celles qui répandaient la terreur hier, à nouveau aujourd'hui. L'impératrice est morte, de bouches à toutes les oreilles le commérage sur les terres s'était répandu. Et ses paupières clauses à la reine, elles avaient été ce souffle qu'ils attendaient, qui avait rallumé les braises en les frôlant à peine. Alors ces bêtes aux esprits toujours maculés des cendres du passé, elles répandaient le double de terreur cette fois. Oshun, il faudrait vivre encerclé par leur déraison, serpenter au travers de leur perfidie. Encore, à jamais disaient-ils. Pourtant, cette fois nulle trêve en devenir, pas plus qu'un semblant de paix, comme jadis chacun au loin au moins percevait. Non, à ce jour, seulement les plus naïfs osaient l'espérer, car aucun contrat ne pourrait être signé. Pas cette fois. Pas par ces âmes revanchardes et déjà trop blessées. Pas par ces obstinés, qui encore se battaient. Cette fois, seulement la défaite d'un ferait courber le buste des autres. Car même durant l'éclaircie, ces oppresseurs, ils n'avaient caché leurs griffes acérées. Assoiffés de pouvoir, toutes ces têtes couronnées. Ils vendaient leurs âmes, pour que leur chevelure, de quelques gouttes d'or soient habillées. « Tes propres enfants te tournent le dos, pendant que mon aînée pactise avec le diable. » Le vent, il s'infiltrait au travers des toiles, mais ne les faisaient frissonner. L'horreur, voilà ce qui les faisaient trembler. Et cette haine par l'ennemi ravivée. Cette folie qu'ils leur avaient implantée. De là venait le désir de vengeance. Le malsain, le puissant. « Et la liste s'allongera sûrement avant la fin. » Johann, ses lèvres, elles prenaient la forme d'un rictus que l'on devinait bourré d'amertume. Mais Ethel, celle qui crachait sa haine, ne faisait que tapoter la table du bout de ses doigts. Pas vraiment de marbre, pourtant trop calme. Surtout remplie d'une hypocrisie inconsciente, car égoïste était la mère, au moins autant que sa chaire, qu'elle condamnait. « Il est hors de question que nous courbions à nouveau l'échine. » Vingt-cinq années de silence, autant de résistance. Elle était fausse, l'accalmie. Aussi feinte que l'embellie qu'ils promettaient. « Quel qu'en soit le prix. » Tant de murmures dans ce camps de fortune. Des discours acides, des promesses. Des épées de Damoclès, au-dessus de toutes les têtes. Car les trahisons des uns n'avaient finalement d'égal que la soif de vengeance des victimes de la première guerre. Rien d'honorable, pas même d'elle qui ne voulait le bien, mais bien leur rendre tout le mal qu'ils avaient déjà fait.