D'un geste leste, Rhaegar arrosa son visage d'une généreuse rasade d'eau. Planté devant le miroir de sa salle de bain, il jeta un regard critique au reflet renvoyé. Il se trouvait l'air maladif, vieilli. La trentaine n'était pas encore atteinte que déjà ses traits se tendaient, ravagés par la tension palpable qui ne le quittait jamais. Le bleu de ses yeux lui paru délavé, virant progressivement au gris, illusion renforcée par les poches sombres qui se dessinaient sous ses mirettes. Il avait l'air de tomber de fatigue. Sa santé semblait déjà fanée, couverte d'une épaisse couche de poussière ternissant tout éclat. Se détournant du miroir, Rhaegar passa une main dans ses boucles épaisses qui auraient eut grand besoin d'être lavées. De façon générale, chaque parcelle de son corps lui semblait grasse, sale. Il avait beau frotter méthodiquement sa peau, cette dernière persistait à lui paraître flasque, embourbée sous plusieurs couches de vase. Une perspective guère réjouissante qui le poussait à éviter méticuleusement toutes surfaces miroitantes. Inutile de s'infliger ainsi la vue de son propre corps quand il avait des problèmes autrement plus urgents à affronter. La guerre faisait rage et si la rotation du monde semblait s'être ralentie avec la propagation du virus, Rhaegar n'avait guère la sottise de se laisser berner par cette grossière illusion. La maladie ne pouvait amener la paix. Si le virus avait commis de multiples dégâts, il s’avérait surtout être une aubaine évidente pour ceux qui n'en avaient pas souffert. L'ennemi pullulait, de nouveaux conflits éclatant chaque jour et Rhaegar brûlait d'y prendre pleinement part. Le temps passé cloué au lit était révolu. L'heure était venue de reprendre le combat. Sourd aux plaintes de son corps, Rhaegar quitta en quelques enjambées ses appartements, vêtu d'une tenue de combat constituée d'un tissu souple et léger, accoutrement somme toute franchement idéal pour s'entraîner. D'une démarche gracieuse et obstinée, il entreprit de prendre le chemin de l'une des vastes salles d'entrainement dont disposait la demeure familiale. Rhaegar aurait pu effectuer le trajet à l'aveugle tant il avait pris l'habitude de le faire. Le temps qu'il passait dans le manoir, il l'utilisait de façon quasi exclusive en multipliant les entraînements. Il travaillait jusqu'à l'épuisement, en partie dans l'espoir de s'effondrer ensuite sur son lit et de s'abandonner à un sommeil dépouillé de rêves. Jusque-là, cela n'avait guère marché, mais Rhaegar n'était pas homme à baisser les bras aussi facilement. La fatigue tirait ses traits et pourtant il progressait d'un pas rapide, l'air foncièrement résolu. Il n'avait dormi qu'une poignée d'heures cette nuit et tout son corps en portait la trace. Il aurait été préférable qu'il regagne ses appartements pour essayer de grappiller quelques minutes de sommeil supplémentaires, mais cette perspective le terrifiait. Il ne l'aurait jamais reconnu à voix haute, mais la simple perspective de se retrouver seul avec ses pensées le rendait incroyablement nerveux. Il avait un besoin viscéral de s'occuper l'esprit. L'entrainement l'y aidait beaucoup. Lorsqu'il se concentrait sur la maîtrise de son don, il parvenait presque à faire abstraction de l'incommensurable bordel qu'était devenu sa vie. Positionné au centre de la vaste salle d'entrainement, les pieds solidement ancrés dans le sol, ses traits tordus par la concentration, il parvenait au prix d'un effort à faire le vide et, durant un instant, il lui semblait presque que rien n'avait changé. Pendant ses moments d'accalmie, il atteignait un niveau de paix presque palpable alors que ses pensées se diluaient de façon momentanée. Tout occupé qu'il était à dompter les éclairs qu'il faisait naître avec de plus en plus de dextérité, son esprit se retrouvait libéré de toutes les chaines qui persistaient à l'entraver. Il oubliait Lula et la profonde souffrance qu'il avait lu dans ses yeux lors de leur dernière rencontre. Il oubliait Braam qui aurait pu être n'importe où à cet instant et qui lui manquait cruellement. Il oubliait le trouble et la souffrance. C'était là la raison de son entrainement intensif. Outre le fait qu'il lui semblait vitale de retrouver la pleine maîtrise de ses capacités, Rhaegar était près à tout pour grappiller quelques instants de sérénité. Ses jambes l'avaient porté tout naturellement jusqu'à l'entrée de la pièce et il fit tournoyer avec assurance la poignée, ne songeant en rien à signaler sa présence au préalable. Après tout, il était encore chez lui. La pièce familière se présenta à lui, vision plutôt réconfortante et il lui fallu quelques instants pour assimiler qu'une personne se l'était déjà accaparée. Le regard de Rhaegar glissa sur la silhouette reconnaissable de son frère cadet avant de revenir s'y poser avec plus d'attention. Un instant, il envisagea de faire demi-tour en silence. Shade ne semblait pas l'avoir entendu et il lui était donc toujours possible de s'esquiver sans plus de cérémonie. Rhaegar avait la certitude concrète que c'était ce que son frère aurait préféré. Shade n'avait guère caché son manque d'enthousiasme lorsque son aîné était rentré gracié des semaines plus tôt. La confiance devait être gagnée, aussi infiniment frustrant que cela puisse être. L'attitude de son frère contrariait grandement Rhaegar, bien plus qu'il n'avait jusqu'alors concédé à l'admettre à voix haute. S'il s'appliquait à garder une distance courtoise entre Shade et lui, il commençait à s'agacer de devoir marcher sur des œufs en sa présence. Dans un accès d'humeur, Rhaegar renonça à fausser compagnie à son cadet et referma la porte en la faisant claquer un peu, révélant bruyamment sa présence.« Alors, tu progresses dans la maîtrise de ton nouveau don ? » Lança-t-il d'une voix sonore en effectuant le trajet pour rejoindre le centre de la vaste pièce. Il s'imposait clairement, peu soucieux de déranger son frère tout en demeurant sur ses gardes au cas où il ne vienne à l'idée à Shade de le prendre pour cible mouvante dans sa maîtrise du feu bleu.