Palais Swanson

L’ombre et la lumière. Deux entités si différentes, et pourtant si complémentaires. Sans l’une, n’existait pas l’autre. Et sans elles, le monde ne serait pas ce qu’il était. Ces deux essences cohabitaient de même dans le Swanson. Tantôt obscur, tantôt brillant, il jonglait entre deux natures qu’il ne contrôlait pas toujours, mais qu’il parvenait malgré tout à équilibrer sans réel souci. Aux yeux de tous, il était le cadet Swanson, le bon petit soldat des Oshun, obéissant à la couronne, fidèle à leurs principes. D’un autre côté, il était le violent petit dernier qu’on avait rejeté, agressé, délaissé, et qui se vengeait, qui laissait désormais exploser tout ce qu’on lui avait fait subir. La nuit, le jour. Chimères qui apparaissent et disparaissent à leur gré, en un cycle régulier. Et Idriss les maniait, les contrôlait, apprenait à les connaître sous toutes leurs facettes.  Du moins, il savait qu’il le pouvait, après l’avoir découvert à plusieurs reprises, pouvoir qu’il assimilait avec le temps, l’entraînement, la patience. Faible consolation, pour un feu qu’il tentait d’apprivoiser une nouvelle fois, ses capacités largement diminuées depuis le fléau du virus qui s’était abattu sur eux. Ironie d’une existence qu’il a vécu plus souvent dans l’ombre, la lumière lui était plus aisée, plus familière que ce feu qui l’avait vu grandir. Mais il ne perdait pas espoir le Swanson, il s’était persuadé qu’il le retrouverait, qu’il reconstruirait cette partie de lui-même. Parce qu’elle lui était presque vitale, elle le définissait. Il était le feu qui animait son être entier.

Allongé sur son lit, son regard était fixé sur son bras qu’il levait en l’air, les pensées focalisées sur les flammes dansantes entre ses doigts agiles. Pas grande difficulté de côté-là apparemment. Une grande inspiration, et il mit plus de forces dans ses gestes, plus de ferveur dans sa foi en son pouvoir. Le feu grandit, lentement, enfla pendant quelques secondes tandis qu’il le faisait se mouvoir, avant de s’éteindre complètement. Un juron franchit ses lippes, tandis qu’il serrait la mâchoire. Jamais il n’aurait failli, quelques semaines plus tôt. Jamais le feu ne se serait éteint, sans ce maudit virus qui lui avait sapé toutes ses capacités, sa confiance en son pouvoir. Il s’en voulait, se maudissait, se sentant pathétique. Était-il le seul à être dans cette situation ? Il n’en avait aucune idée, et ne préférait pas en parler de toute façon. Exposer ses faiblesses n’était clairement pas son but premier, et il préférait de loin garder la situation la plus secrète possible. À Saeko peut être, il pourrait en parler, il pourrait sûrement lui expliquer ce qui le tourmentait au plus profond de son être. Parce qu’il savait qu’elle ne le jugerait pas, qu’elle tenterait de le comprendre. Enfin, il ne voulait pas non plus l’ennuyer avec ses problèmes, l’impératrice avait sûrement d’autres préoccupations bien plus importantes, et il le comprenait. Il soupira, les yeux perdus dans le vague, errant sur son plafond. Il devait réessayer une nouvelle fois de raviver la flamme. Et il le referait encore, jusqu’à obtenir ce qu’il voulait. Ce n’est probablement pas de la détermination qui lui manquait. Le bras une nouvelle fois en l’air donc, l’autre replié derrière sa tête, il s’apprêtait à faire apparaître l’élément tandis qu'une silhouette débarquant en trombe dans ses appartements l’empêcha d’aller plus loin. Ce ne serait probablement pas aujourd'hui qu'il ferait des progrès.

« Idriss ! » Se redressant instinctivement, il découvrit sa cousine, Lycoris, agitée d'une respiration saccadée. Elle venait de courir jusqu’à sa chambre, quelque chose s’était produit. Il s’inquiétait, il ne se rappelait plus la dernière fois qu’il l’avait vu dans un tel état. « J’ai… Je… - » Il se leva, descendant de son lit, s’approchant d’elle à la hâte. Les sourcils froncés, il essayait de comprendre, de savoir quel était le problème. Mais sans mot, il ne pouvait pas deviner. « Les flammes, elles étaient… - » Ses flammes ? Quelque chose était-il donc arrivé à son élément ? Il voyait son corps se secouer, ses yeux s’humidifier, et cette vision le rendait anxieux. Ne sachant d’abord quoi faire, il finit par la prendre dans ses bras, naturellement, d’un geste inné. Il n’en avait pas vraiment l’habitude, mais ça ne semblait pas si difficile que ça. Encore tremblante, il la serra contre lui, osant approcher sa main de sa chevelure de feu pour la caresser. Adoptant un rythme régulier de sa main, il espérait l’apaiser, la calmer pour qu’elle réussisse à lui expliquer la situation. « Je suis là Lycoris. Tout va bien. » Sans se détacher d’elle, attendant qu’elle le fasse par soi-même une fois qu’elle se sentirait mieux, il laissa couler un léger silence, le temps qu’elle puisse remettre ses idées en place. « Est-ce que tout va bien ? Raconte-moi, je t’écoute. » Une oreille attentive, une épaule sur laquelle s’appuyer, c’est ce qu’il lui proposait, ce qu’il lui avait toujours offert. Il n’était peut-être pas parfait, mais il faisait de son mieux, et il avait toujours essayé d’être présent pour elle. « Qu’est-ce qu’elles ont tes flammes ? Tu peux m’en parler ? » Il essayerait de comprendre, de l’aider même s’il n’était pas sûr de pouvoir lui apporter toutes les réponses. Ses propres flammes étant défectueuses, il espérait au moins pouvoir calmer ses peurs, ce serait bien la moindre des choses.