- Il faut prévoir plus de vivres, et plus d'armes, et plus d'hommes... Marlys est déterminée, le visage dur, presque trop dur pour ses traits fins et son minois délicat, devenant une pâle caricature de ce qu'elle est pourtant bien réellement : une femme de caractère. Elle a beau n'avoir aucune expérience de la guerre, Marlys a néanmoins l'intelligence de savoir répondre au danger et les batailles faisant actuellement rage à Aksana n'ont fait qu'affirmer son instinct de protection, notamment envers sa famille, son clan, son tout. Al'freza est imprenable si la citadelle est bien préparée et surtout, que ses stocks de nourriture sont conséquents. Sur une terre aride comme celle-ci, impossible de faire pousser la moindre végétation alors les greniers doivent être pleins, à craquer et s'il le faut, le palais lui-même deviendra le coffre-fort de ce qui leur sera le plus précieux : la nourriture. Marlys l'a compris, et Darius aussi, avant elle. Le frère d'Ernest, resté à Launondie pour gérer les affaires familiales, officiellement, et préparer leur retraite à Al'freza, officieusement, se part d'un sourire distrait face à sa fille aînée, visiblement née avec la hargne si significative des Swanson. Il sourit, sûrement pas par moquerie, mais par fierté mais également amusement, Marlys a beau réagir comme il faut, sa démesure habituelle est également au rendez-vous, rendant son impatience divertissante. - Marlys... Les hommes sont sur le front et les armes aussi... Mais ne t'inquiètes pas, Al'freza a toujours été très bien armée, même si ce n'est pas évident, au premier abord... Elle hausse les épaules, préférant faire confiance à son père qui, jusque là, ne l'aura jamais déçue ni même trompée. - Mais tu as raison, il faut prévoir plus de vivres et finir les préparatifs, au cas où nous devrions partir plus rapidement que prévu... Leurs regards se croisent, sérieux, lourds, avant de finalement retrouver leur complicité habituelle, plus légère, trop légère peut-être dans les temps sombres enveloppant tout Aksana ou presque. Incessamment sous peu, la retraite sera une question de vie ou de mort et alors que chez les Swanson l'instinct de survie prime sur tout le reste, il était impensable qu'ils ne se soient pas préparés dés la mort suspecte de l'impératrice. - Laisse moi gérer le reste Marlys, j'aimerais que tu restes au palais impérial pour suivre les nouvelles, tu sais quand tu dois revenir j'imagine... Oh oui elle le sait, elle connaît les noms par cœur, ceux dont la mort serait bénéfique, ceux dont elle serait catastrophique. Des noms choisis par Ernest bien qu'à ses yeux, un seul lui importe réellement. D'un hochement fugace de la tête, la jeune Swanson acquiesce avant de prendre le chemin de l'entrée de la résidence Swanson, ayant bien pris soin au passage de remettre sa toilette en place et de s'assurer de son apparence dans le grand miroir doré du hall. Son obéissance est habituelle mais pourtant, Marlys n'a pas vraiment l'intention de suivre à la lettre les consignes de son père. Ses oreilles traîneront bien ici et là, c'est une seconde nature à présent, mais l'objet de son intérêt n'appartient qu'à elle, à elle seule, et à aucun autre Swanson, encore moins Ernest. Après tout, pourquoi se priverait-elle de sauver sa peau, alors que les manigances de sa famille vont bien au delà des plans familiaux, entrant certainement pour la plupart dans une sphère bien plus personnelle. Son rapprochement avec Saeko Oshun aurait pu être feint, n'être qu'une vaste supercherie comme celle d'Idriss, fiasco total par ailleurs mais il n'en est rien, tout du moins aux yeux de Marlys qui a très vite compris que Saeko était influente, voir mieux, puissante. Mais surtout, Saeko est une femme et comme toutes les femmes, elle est parfois sous estimée, considérée comme un simple pion ou un vulgaire utérus, constat ayant toujours révulsé Marlys qui n'aura jamais été élevée dans la faiblesse que l'on attribue si aisément à son sexe. Saeko a été une aide précieuse lors de la nomination du nouveau bras droit de l'empereur, mais il est hors de question qu'Ernest ait à lui seul la part du gâteau, il est hors de question qu'il s'en tire si facilement quand ils ont tous trimés pour obtenir ce rang unique. Parcourant avec aisance les couloirs d'un palais qu'elle connaît presque comme sa poche, Marlys s'arrête finalement face à une porte dont les dorures laissent présager la valeur de ce qu'elles renferment. Conformément au protocole, elle se fait annoncer, certaine de ne pas être refoulée par une impératrice qu'elle a finit par apprécier et  respecter, et dont elle espère que la réciproque soit vraie, notamment compte tenu la proposition qu'elle a à lui faire aujourd'hui. Elles ne sont plus que des femmes à présent, dans les palais, les rues de Launondie, à quelques exceptions près et cette situation a très vite inspiré Marlys, assurée à présent que dans le pire des cas, cette idée fera la différence. C'est donc avec un sourire fier qu'elle s'avance auprès de l'impératrice, respectant tous les usages que l'étiquette lui impose, mais sans jamais perdre son objectif en tête, ce serait mal connaître Marlys que de croire le contraire. - C'est affreusement calme ici, sans les hommes pour se quereller sur tout et rien, non ? Soit elle se fait rembarrer et la partie est finie, soit elle aura vu juste dans l'attitude et le comportement de Saeko et son offre n'en sera que plus solide.

Elle a la tête en feu, les pensées qui bouillonnent alors que l'horizon d'une vie sans homme ou tout du moins sans leur pouvoir écrasant se profile au fur et à mesure que les batailles se dessinent. Cette absence, bien qu'effrayante au regard de quelques individus seulement, a opéré un changement chez Marlys, comme si ce départ l'avait libéré d'un poids, celui de rester à sa place et de croire que le pouvoir était hors de sa portée bien qu'encore aujourd'hui, il ne soit pas question de s'en emparer. Elle pense, jour et nuit, à elle et aux autres femmes restées enfermées entre quatre murs sans autre mission que d'attendre. Mais à quoi bon attendre si tout se passe mal, à quoi bon attendre de devenir à leur tour les victimes de ses duels sanglants ou pire, les instruments d'un pouvoir qu'on leur dérobe. Elles sont là, présentes, pas le moins du monde incapables et si Marlys concède que la guerre est bien leur ennemi du moment, elle vient aussi de se rendre compte que leur pire ennemi a toujours été plus présent, plus mesquin, plus sinueux : les hommes eux-même. Et pourtant elle les aime ces hommes, parfois un peu trop, prenant le contrôle de leur corps, parfois même de leur tête, jusqu'à ce que le jour se lève et que malgré tous ses efforts elle ne soit qu'une petite noble dont l'avis importe peu, une situation qui la révulse au plus haut point mais qu'elle a toujours essayé d'ignorer, sourires et balivernes aux lèvres. Aujourd'hui cependant, Marlys n'a pas envie de se taire, elle n'a pas envie de cacher cette furie en elle et de se laisser marcher sur les pieds. Elle a envie d'agir, de poser ses pions, de montrer sa détermination et de la partager avec celle qui, de toutes, doit se sentir bien seule en cet instant, dépendante d'un homme et d'un seul au moment où elle est la plus vulnérable. Marlys ne doute cependant pas des capacités de la nouvelle impératrice et c'est aussi pour cette raison là qu'elle prend un risque, mesuré, en s'adressant directement à la première femme de l'empire.  A présent aux côtés de Saeko, Marlys suit docilement ses indications, prenant place sur l'un des fauteuils faisant face à l'impératrice qui met, sans le vouloir peut-être, le doigt sur le soucis majeur de leurs vies. - N'est-ce pas le problème ? Nous faire croire qu'ils nous sont aussi indispensables qu'ils le pensent, nous enfermant dans cette dépendance infondée ? Marlys s'octroie une pause, le regard voguant dans le vide comme si la question n'était destinée à personne, si ce n'est ses réflexions futiles. Puis elle reprend, avant que Saeko n'ait pu elle-même offrir sa réponse à ce questionnement qui n'en attendait pas. - Loin de moi l'idée de négliger leur importance, je ne me le permettrais pas. Pourtant, nous semblons si facilement oublier la notre, ce qui me paraît... dommageable. Essayant de sous-peser chacun de ses mots, Marlys tente avec précaution de faire comprendre à Saeko les pensées qui habitent son esprit sans pour autant brusquer cette situation potentiellement dangereuse. Elle n'a en effet pas envie de lui faire croire qu'en bonne Swanson, elle tente de la dévier de son rôle ou de ses allégeances, sa démarche étant bien différente mais pour le moment, la mesure est de mise et Marlys avance à tâtons.