tes doigts glissent sur les draps comme la caresse des ailes d'un papillon. légers comme le duvet d'un jeune oisillon. l'homme est parti, emportant avec lui le torrent de son désir et l'argent de ses veines. tu as presque froid. tu es le joyau du boudoir. une pierre étincelante que l'on réserve aux grands de ce monde. argent liquide que leurs coeurs palpitants s'évertuent à faire circuler dans l'ensemble de leurs organismes. mercure étincelant qui les différencie tant de toi, simple mortelle. un cadeau de naissance à laquelle tu n'as pas eu droit. toi, tu es le joyau qui a grandi dans les rues les moins brillantes, les moins belles. comme des diamants, ces pierres scintillantes nées de la transformation du charbon sous la plus forte des pressions. tu aimes croire que tu es le diamant brut qu'ace a trouvé sous ses pas dans une ruelle crasseuse de launondie, un diamant brut qu'il a ramassé et façonné, taillé et poli.
mais tu connais la vérité.
tu n'as rien d'un joyau.
tu es aussi fragile que du verre, au fond. du verre que les dieux d'argent pourraient briser d'une simple pression, s'ils le souhaitaient. ils ne le souhaitent pas. ils paient pour ton temps, ta peau, ta vertu. et parfois, tu te plais à croire que tu as une certaine valeur, au fond. un certain pouvoir. tu te plais à croire qu'un jour, peut-être, on t'arrachera aux ruelles crasseuses pour t'offrir palais et bijoux. tu ne partiras pas. pas tant que tu n'auras pas payé ta dette à ace. dette qui n'existe que dans tes propres pensées. parce que rien que tu ne puisses faire pourra jamais rembourser ta dette, rien ne pourra jamais égaler ce qu'il a fait pour toi. il t'a sauvée, alors qu'il aurait pu détourner le regard. comme tous les autres. tu lui dois tout, et plus encore.
alors peut-être que quand tu seras vieille et défraîchie, quand plus personne ne voudra de l'ancien joyau du boudoir, peut-être qu'alors ta dette sera payée. or, au fond, tu n'es pas sûre de souhaiter qu'elle le soit un jour.
tu t'arraches à tes pensées comme tu t'arraches aux draps froids dans lesquels tu étais enroulée. tu renfiles la robe longue aux nombreux voiles qui dansent à chacun de tes pas. elle ne te couvre certainement pas assez pour t'éviter d'avoir froid, en plein cœur de l'hiver. tu as presque toujours froid. et ça te pose problème. tu as été malade plusieurs jours, peu de temps auparavant - comme jamais tu n'avais été malade. ça t'a paralysée. tu as cru que tu y laisserais quelques plumes. tu n'as pas été rentable. et pendant ce temps, ace souffrait du virus qui a frappé le royaume sans que tu ne puisses faire quoique ce soit pour l'aider. tu n'as pas pu servir la ligue non plus, pendant ce temps-là. une bouche à nourrir. complètement inutile. fragile, quand tu ne veux pas l'être.
tu rajustes tes cheveux éparpillés de la visite de ton dernier client, parce que tu te dois d'être toujours parfaite, d'être digne du boudoir, de la confiance d'ace. les fils qui ornent tes mèches sombres ne sont pas de l'or. les pierres écarlates que tu accroches à ton cou ne sont que du verre teinté.
tu quittes la pièce où tu te trouvais, et presque instinctivement, tes pieds trouvent le chemin du bureau de ace. tu glisses gracieusement, comme si tes pieds ne touchaient pas le sol, et un instant, ton regard accroche le globe lunaire, éblouissant au travers d'une fenêtre. tu restes subjuguée, comme si elle t'appelait, et tu te sens presque flotter. alors tu secoues la tête, petite lambda qui rêve trop, petite avigail de rien, et tu pousses la porte du bureau d'ace, sans t'annoncer. tu ne t'annonces jamais. et tu te laisses délicatement tomber dans un fauteuil face à son bureau, avant de lui souffler un baiser, le regard malicieux. ce n'est qu'un jeu - pourrait n'être qu'un jeu. tu lui es un peu trop attachée. "alors, patron? bonne journée? comment sont les affaires?" ton sourire se fait plus large. c'est toi, son business. t'es sa meilleure fille, après tout.