So you can throw us to the wolves, tomorrow we will come back. Leaders of the whole pack. Beat us black and blue every wound will shape us every scar will build our throne. We’ll leave you choking on every word you left unspoken. Rebuild all that you’ve broken and now you know we’ll leave you choking.

Touchant du bout de ses doigts l’ancienne ruine qu’était le château Kemble, Rita arque un sourcil ; si près du but, et pourtant si loin. La moue persiste sur son visage poupon, alors qu’elle fait craquer sous ses bottines des branches et du feuillage mort. Seule, noyée dans cette solitude, mais aussi cette plénitude indéniable, elle s’assit sur la pierre avec désinvolture et regarde au loin l’horizon de sa nation ; de leur nation. L’objectif est fixé, tant fixé que Rita n’arrive pas à s’habituer l’éventualité que peut-être, ils vaincront. Ils gagneront du terrain, des alliances et feront taire la terrible souveraine qui se trouve sur un trône qui ne fait plus réellement de sens. Entre les forces Osanos qui se battent, qui ne font que répandre sang et panique, la gosse ne peut s’imaginer un monde où cette guerre persistera. Où le peuple ne fera rien, où les piliers de cette terre, qu’ils ont si vaillamment pillé ne viendrait pas les rejeter. Faire taire les tyrans, abattre les pauvres âmes en soif de pouvoir. Plus, toujours plus qu’elle entend, qu’elle voit et ça l’écœure. Elle espère qu’elle ne deviendra jamais le reflet de ce miroir si malveillant, qu’elle aussi ne terminera pas par courber l’échine face à l’ambition, face à ce besoin qui vient s’immiscer dans les veines des plus arrogants. Oh, elle le sent dans ses entrailles, ce besoin de gagner, de cracher à la figure cette défaite cuisante, aux pieds de ses nouveaux ennemis. Johann, Merle, tout ceux qui désavantageront leur avancée, sauront connaître le même sort : la mort ou l’échine courbée. Parce qu’elle n’est ni la paix, ni le pacifisme, elle est un cœur en miettes, des bouts cassés, puis recollés. Rita, elle a dans l’âme la vengeance et une vision de grandeur, qu’elle veut offrir aux futures générations. Bloquer cette insatiable roue qui ne s’arrête jamais, ces rouages rouillées, défaits, et reconstruits si maladroitement. C’est mal fait, c’est mal positionné, c’est destiné à se casser la gueule, et Rita, Rita sera leur chute. Elle l’a promis à son sang, à ces gens qui suivent ce mouvement monté de toute pièce ; et une chose que Ria ne brise jamais, c’est sa parole. Elle se lève, prête à conquérir le monde, et se diriger vers le manoir Helleros, ou ses alliés s’y cachent. Parce qu’il y a un allié en particulier à qui elle a besoin de parler, son fiancé. Jamais Rita ne se serait imaginée un jour, sceller son âme à celle d’un autre. Jamais aurait-elle pensé qu’elle se destinerait à une vie de mariage et d’éclats. Mais la décision est stratégique, plus par conviction ou par envie ; qu’elle se dit. Finalement c’est peut-être un mensonge, qu’elle se tient bien de garder pour elle. Parce que Melvyn est différent, différent de tous ces gens qu’elle a côtoyé dans le passé, et comme une brise d’air frais, il vient la fasciner, dans un sens totalement nouveau, qu’elle ne tente pourtant pas de nier. Et pourtant la veille, cette fille est venue la voir, solaire, timide, tout en étant si loquace est venue lui demander de tout arrêter, de tout quitter. Un sourire est venu se muer sur les lèvres de la gosse alors que dans la tirade fragile de son interlocutrice se cachait une fragilité et naïveté sans pareille. O Rita, douce Rita, n’a pas manqué de lui faire comprendre qu’elle n’appartenait pas à ce genre de faction, qu’elle n’était ni dans les querelles d’amour, ni dans les innocences méprisables. Elle a trop vécu, elle a trop souffert, elle a trop saigné, pour se voir amoindri par une blonde sans cerveau, sans âme, sans jugeotte. Une lame de son sabre, un mouvement aurait suffi pour l’égorger, mais le contrôle l’a envahi ; ainsi que la conscience. Tuer l’amante de son futur mari n’était très certainement pas le meilleur moyen de sceller une alliance durable et fiable. Elle a promis à Melvyn une nation unie, une nouvelle ère, et s’il la tempère à sa façon, les pulsions d’autrefois, sont toujours là. Et ironiquement, l’ancienne Rita se serait probablement déjà débarrassée de cet obstacle ; mais elle se sent d’humeur tolérante, une bonté d’une fois ; mais pas d’une seconde fois. Elle entre dans le manoir telle une reine, ses sabres bloquées dans son dos, formant une barricade autour de son corps fin. S’avançant vers le salon principal, elle fait signe à l’un des servants de s’approcher. – Allez dire à mon fiancé, que sa fiancée Rita Kimora l’attend. – Ton autoritaire, mauvais, le pauvre homme courbe l’échine, et dans un tremblement disparaît dans les ténèbres de cette maison qui n’est, et ne sera jamais la sienne.
Rita attend quelques minutes, avant de se prélasser sur un fauteuil, puis des pas retentissent dans la bâtisse vide. Elle se redresse, souriante, vénéneuse comme à son habitude ; Mais Melvyn en a l’habitude, il la connaît, à sa manière. – J’ai eu de la visite hier. – Qu’elle lui dit un petit sourire mué sur les lèvres alors qu’il entre dans la salle. – Blonde, très jolie, un peu frêle, mais surtout très amoureuse de toi Melvyn. Il me semble qu’elle s’appelle Jessamine. – Elle a l’air si amusée Rita, alors qu’elle se retrouve au milieu d’une querelle d’amour. Une femme prête à tout pour cet homme qu’elle idolâtre, demandant si ardemment à la princesse de la Mort, de renoncer à ces fiançailles, à cette alliance naissante. Car Rita ne serait jamais assez bien pour Melvyn, et si dans ces mots se cachent une vérité qu’elle se garde bien d’avouer, la gosse n’a ni envie de renoncer à ce mariage, ni à cette alliance. Et ce ne sera pas un sotte qui lui fera changer d’avis. – Je ne savais pas que tu avais quelque chose pour les blondes aux airs fragiles, tout le contraire d'elle en somme, Dans tous les cas, je crois l’avoir un peu terrifié. – Avec son rictus sur les lèvres, ses deux sabres dans son dos, Rita n’est que ténèbres, et le fait ressentir à quiconque voudrait bien la voir pour ce qu’elle est ; la nuit, le jour, la Mort, et l’obscurité. Cette fille est le contraire d’elle, la lumière dans un trop plein de ténèbres.

Melvyn s'était réfugié dans le bureau de son père, une vaste pièce comportant principalement d'imposantes étagères remplies à ras-bord d'ouvrages reliés et au centre de laquelle trônait un monumentale bureau d'une taille presque absurde. Assis dans l'imposant fauteuil construis davantage dans une optique esthétique que pratique, Melvyn survolait l'un des nombreuses registres, la tête penchée alors qu'il s'appliquait à déchiffrer l'écriture nerveuse de son patriarche, à l'opposée de la sienne, gracile et tout en boucles. Il y avait quelque chose d'insolite dans le fait de s'imprégner ainsi du refuge de son patriarche. Cette pièce lui était étrangère et inconfortable, un peu comme faire l'acquisition d'un vêtement ayant appartenu à un autre, ce qui ne lui était par ailleurs jamais arrivé. Melvyn laissait courir ses doigts sur le papier jauni lorsque la porte s'ouvrit. L'aîné Helleros leva les yeux, s'attendant principalement à se heurter au regard durci de son paternel. Il n'en fut rien cependant. L'homme qui se tenait dans l'encadrement arborait l'air gêné de celui qui craint de déranger par son intervention. Il s'agissait d'un garçon nouvellement embauché et dont l'âge avoisinait celui de Melvyn. Un garçon à la peau dorée dont les mains s'agitaient légèrement d'anxiété. Melvyn tira une satisfaction un tantinet absurde de l'angoisse du servent. La majorité du personnel était plus âgé et employé au service de ses parents depuis de longues années. Certains avaient été témoins de la naissance de Melvyn et les spectateurs respectueux de toute son existence. L'autorité qu'il était sensé leur inspirer était fortement contrariée par le fait qu'ils l'avaient vu trotter d'une pièce à l'autre uniquement vêtu d'une couche plus de vingt ans plus tôt. D'un signe de tête, Melvyn invita le servant à parler. Ce dernier s'exécuta sur un ton légèrement pressant.  « Votre fiancée vous attend, monsieur. » Melvyn ne parvint pas totalement à dissimuler la surprise perçant brièvement dans son regard bleu gris. Rita et lui ne s'étaient pas entendus de se rencontrer ce jour-ci. Oscillant entre étonnement et curiosité, Melvyn acquiesça d'un bref hochement de tête tout en refermant d'une main le registre qu'il abandonna sur le bureau.Il quitta la pièce en passant devant le jeune servant et traversa d'un bon pas le manoir familial jusqu'à la pièce où Rita avait pris ses aises. Melvyn plongea son regard clair dans le sien avec l'assurance impétueuse qu'on ne lui connaissait que trop bien. Sa confiance en soit avait toujours avoisiné l'insolence, sentiment émoussé par l'aura solaire dont il ne se départait jamais. La vision qu'offrait Rita Kimora aurait pu déstabiliser grand nombre de gens. Sa présence était écrasante et les deux sabres qui dépassaient de son dos magnifiaient avec doigté le spectacle articulé autour de sa personne. Elle n'aurait pu être plus opposée à Melvyn, leurs personnalités entremêlées formant un contraste si saisissant qu'il en devenait tantôt fascinant, tantôt effroyablement criard et désagréable à observer. « J'ai eu de la visite hier. » Melvyn arqua un sourcil, l'invitant à poursuivre tout en s'employant à dissimuler la tension naissante qu'il sentait germer en lui. Le sourire qui tordait les lèvres colorées de Rita ne lui disait rien qui vaille. « Blonde, très jolie, un peu frêle, mais surtout très amoureuse de toi Melvyn. Il me semble qu'elle s'appelle Jessamine. » Jessie. Rita arborait un sourire exaspérant alors que les pensées de Melvyn se voyaient brièvement détournées d'elle. La dernière fois qu'il avait vu Jessamine remontait déjà à une poignée de semaines. Il songea à la dernière image qu'il avait d'elle : son corps svelte, couvert de tissu rose et sa longue chevelure blond clair, disparaissant sans un mot derrière la porte de sa chambre. Rita avait désormais la pleine attention de Melvyn. Jessamine n'était pas idiote et pourtant elle avait commis une erreur en allant trouver Rita. Le fils Helleros peinait à seulement imaginer les deux filles l'une à côté de l'autre. La personnalité de Jessamine différait encore plus de celle de Rita que celle de Melvyn et ce qui n'était pas peu dire. « Je ne savais pas que tu avais quelque chose pour les blondes aux airs fragiles. » Il ne broncha pas, les rouages de son esprit s'activant avec violence alors que Rita continuait à s'exprimer, son exécrable rictus comme figé sur ses lèvres. Une beauté glacée, menaçante. S'il avait développé le moindre intérêt pour la peinture,Melvyn l'aurait représentée uniquement avec des couleurs froides quand il n'aurait usé pour dresser le portrait de Jessie que de tons pastels. « Dans tous les cas, je crois l'avoir un peu terrifié. » Melvyn pris place dans un fauteuil disposé de sorte à faire face à celui occupé par Rita. Il dévoila ses dents blanches en un joli sourire qui différait violemment de celui arboré de sa nouvelle fiancée. L'expression de Melvyn était presque rieuse alors qu'il s'appliquait à user de la lumière pour dissiper la brume charbon qui accompagnait pas Rita où qu'elle aille. « L'existence de cette fille te contrarie ? T'attendais-tu à faire l'acquisition d'un virginal époux ? Si j'ai fais ou dis quoi que ce soit qui t'as orientée dans cette idée, tu m'en vois sincèrement désolé » plaisanta-t-il, ces iris bleutés fouillant ceux de Rita, très sombres à contrario. Il désigna ensuite d'un signe de têtes les deux sabres qui émergeaient dans le dos de la jeune femme, telle une promesse sanglante joyeusement exhibée. « S'est-elle montrée si irritante que tu n'as pas pu résister à l'envie de la mettre en pièces ? » Poursuivit-il sur le ton de la farce. Il suspectait cependant Rita d'être totalement capable de commettre ce genre d'exploits, son sourire mauvais accroché aux lèvres. Une vraie tueuse. Le sourire de Melvyn se figea légèrement avant qu'il ne rouvre la bouche, retrouvant le sérieux exigé. « Qu'est-ce qu'elle te voulait ? » L'interrogea-t-il alors même qu'il lui aurait été facile de le deviner seul.

So you can throw us to the wolves, tomorrow we will come back. Leaders of the whole pack. Beat us black and blue every wound will shape us every scar will build our throne. We’ll leave you choking on every word you left unspoken. Rebuild all that you’ve broken and now you know we’ll leave you choking.

La situation est risible, presque ironique, carrément fictive. Rita fiancée, une douce chimère, un truc auquel elle aurait jamais pensé ces dernières années. Ces années sa vie se résumait à tuer, cramer, étouffer ou encore égorger. A servir un homme qui ne fait que la répugner à présent. C’est peut-être sorti de la fiction, mais c’est la chose la plus réaliste, la plus normale qui lui soit arrivée depuis longtemps, peut-être jamais. Qu’on lui passe la bague au doigt, qu’on lui donne du pouvoir, qu’elle jette une reine de son Piédestal, après tout, la vie est folle, terrifiante, exécrable, mais crever pour enfin obtenir cet objectif tant attendu, elle accepterait, sourirait presque du sarcasme que son destin lui balance à la figure. Parce qu’elle fait quelque chose de bien et c’est bien la première fois qu’elle peut s’en vanter. Qu’elle peut dire qu’elle croit à autre chose qu’à la mort, qu’au sang ; même si celui-ci reste son péché mignon. Melvyn est si différent, des contraires, à l’antipode de ses idéaux, des actes passés, elle trouve pourtant sa proximité et sa présence calmante comme terrifiante. Ca fait du bien d’être apaisé, d’être auprès de quelqu’un qui n’a pas tué, qui n’a pas saigné ou crevé. Elle le verrait presque innocent, si elle ne le savait pas intelligent. Y a quelque chose qui se trame dans sa tête, une ambition démesurée, qu’elle s’étonne pourtant à partager. Parce que finalement c’est ça qui les rapproche, qui les unit, cette fascination, comme cet objectif ; Retourner la terre entière pour le plaisir de le faire et instaurer quelque chose qui aurait toujours dû être. Et elle oublie parfois ce qu’elle a été, ce que l’Autre lui a fait faire, ces actes et ces pensées qu’elle ne pourra jamais effacer. Parce qu’elle a fait une erreur qui s’est multipliée en des centaines de petites conséquences. Allant jusqu’au presque meurtre de sa sœur, tourner les dos à ses cousins, à la terre toute entière. Elle s’est promis de ne jamais tomber amoureuse, de ne jamais refaire ce pas vers la vulnérabilité de ses sentiments. Mais voilà que dans quelques mois, elle épousera un homme, un garçon qu’elle connaît depuis trop longtemps et pourtant si mal. Qu’elle lui promettra fidélité pour la vie, jusqu’à la mort. C’est une nouvelle peur, un truc qu’elle ne connaît pas, ne connaîtra peut-être jamais. Ses parents n’ont jamais aimé, n’aimeront jamais, une mère soumise, un père pire que la crasse, la douceur des sentiments et leur signification n’ont jamais été une partie de son vocabulaire ou sa compréhension. Alors pour le moment elle n’avance pas sereine, ni confiante, c’est une terre inconnue qui s’offre à elle, alors que même si des années durant ils ont réussi à créer un lien, il ne la connaît pas, ne saura jamais ce qu’elle a enduré ou fait endurer. Qui ou quoi elle a saigné pour gagner un peu d’argent. Et ça a quelque chose de bien plus horrifiant, parce qu’il ne la juge peut-être pas pour l’instant, mais au-et-à mesure que le temps s’effilochera, les secrets se dégageront, et Rita sera mise à nue. A nue de ses mensonges et ses secrets, elle qui ne dit jamais rien, devra pourtant partager ce lourd fardeau avec l’homme qui lui passera la bague au doigt. Mais qui aimera Rita, qui voudra la supporter jusqu’à la fin de son temps ? Elle n’est pas facile, ne le sera jamais. C’est une bombe à retardement, une boule de fascinations et d’intérêts absolument terrifiants. C’est une grande bouche, un sarcasme inné, une haine qui ne fait que ravage. Un problème, un nœud qui ne se défait pas, pas même sous la tentation. Alors elle doute, elle doute de cette future alliance, de toutes les alliances faites, parce que les seuls qui sauront l’accepter pour ce qu’elle est, ce sont les siens, car tout comme elle, ils sont pourris de l’intérieur, à leur manière. Et comment ça peut fonctionner de toute façon ? Il n’y a pas de sentiment ni d’émotion dans l’âme esseulée – ou du moins c’est ce qu’elle aime se dire – il n’y a rien d’innocent ou de naïf. C’est la paranoïa, la colère et la rancune qui l’incombent d’un poids énorme. Ce même poids qu’elle se tire à la cheville comme une Martyr. Mais là n’est pas la question, advienne ce qu’il pourra, se dit-elle, elle se doit de vivre au jour le jour et de s’arrêter de penser. Pour au moins quelques secondes. – L'existence de cette fille te contrarie ? T'attendais-tu à faire l'acquisition d'un virginal époux ? Si j'ai fais ou dis quoi que ce soit qui t'as orientée dans cette idée, tu m'en vois sincèrement désolé – Un petit rire s’échappe de la bouche de la sale gosse alors qu’elle lève simultanément les yeux au ciel. Elle ne s’attendait à rien, pas même à un mariage, autant dire que le problème ne vient pas de là. Non le problème qui l’agace, c’est que cette fille, ce rien, cette n’importe qui, se croit permis de venir la voir, la déranger, et lui éduquer les décisions qu’elle a à prendre. Rita ne prend d’ordres de personne, surtout pas par une fille qu’elle ne saurait pas même décrire avec des mots de son vivant. – S'est-elle montrée si irritante que tu n'as pas pu résister à l'envie de la mettre en pièces ? – Absolument. Mais la colère a mué en pitié, puis en sourire. Le prix des explications à donner si elle était venue à la tuer, lui semblait trop élevé. Fatiguée ou épuisée d’avoir à se justifier auprès de tout le monde pour ses actions passées, elle a préféré faire taire la nymphe par un simple regard glacial. Et des mots, des mots de mise en garde. – Qu'est-ce qu'elle te voulait ? – Tout et rien, mais particulièrement pleurer sur l’homme qu’elle ne pourra jamais avoir. Mais Rita se contente de s’asseoir sur un meuble du grand salon, une table, un truc qui n’est pas fait pour se poser dessus. Un sourire, ou plutôt un rictus se forme sur ses lèvres fines, alors qu’elle vrille son regard sur le visage de son fiancé. – Oh détrompe-toi je trouve ça très rafraichissant. Je n’ai jamais eu la chance de pouvoir me retrouver au milieu d’un triangle amoureux. Tu sais entre deux meurtres je n’avais pas le temps de battre des cils. – Un petit sourire vient se muer sur ses lèvres, reine des glaces, reine du sang, elle n’a jamais été plus perfide qu’en se jouant des autres par les atrocités qu’elle a provoqué. – Je me suis dit que l’assassinat de ton amante ne serait pas exactement le meilleur cadeau de mariage que je pouvais t’offrir. – Qu’elle lui dit en faisant mine de se nettoyer les ongles. – Mais j’ai pourtant hésité pendant quelques secondes. L’innocence incarnée a tendance à me donner des envies de meurtres. – Et elle ne ment pas lorsqu’elle le lui dit. Elle ne supporte pas qu’on vienne papillonner à ses pieds, qu’on la supplie pour quelque chose qui ne fait pas sens. Qu’est-ce que l’amour ? Rien. – Elle voulait que je ne t’épouse pas, que voulais-tu qu’elle me dise d’autre ? – Elle ne feint pas même l’exaspération puisqu’elle est, depuis toujours, ancrée dans ses veines.

S'il s'efforçait d'aborder le sujet sur le thème de la plaisanterie, Melvyn éprouvait une tension certaine à l'idée de la rencontre improbable qui s'était opérée entre Jessamine et Rita. L'image qui se formait dans l'esprit du fils Helleros n'était pas franchement réjouissante. S'il éprouvait un ennui certain face à cette situation particulière, il n'estimait pas non plus avoir à en rougir. Jessamine avait commis une erreur en allant à la rencontre de Rita, c'était indéniable, mais Melvyn n'avait pas à rosir de sa vie amoureuse passée. Jessamine faisait partie de sa vie depuis qu'il était enfant et il n'avait pas dans l'idée de faire de leur histoire un secret. C'était simplement une page de la vie de Melvyn qui, en ce qui le concernait, venait tout juste d'être tournée d'un geste définitif. Conscient qu'il devait libérer Jessamine de l'emprise qu'il exerçait sur elle, il l'avait fermement repoussée ce qui n'avait pas été simple. Melvyn ne voulait aucun mal à son acolyte d'enfance et il n'avait tiré aucune satisfaction dans la façon dont il avait brisé son cœur. Il avait dut se faire violence pour la garder à distance alors qu'elle le dévisageait de ses immenses yeux bleus, à moitié nue et si proche qu'il ne lui aurait pas fallu plus d'une seconde pour fondre sur elle. Mais il l'avait fait. Il avait pris une décision d'adulte en poussant hors de sa vie une fille dont il avait toujours sut qu'elle l'aimait vraiment. Jessamine était très éprise de lui depuis des années et elle n'avait jamais été particulièrement douée pour ce qui était de dissimuler cette affection. Loin de bouder ses sentiments, elle tendait au contraire à les arborer fièrement, comme une emblème. Et Melvyn aimait sincèrement cela. Il avait toujours aimé la façon que Jessie avait de le regarder, comme s'il était sans conteste la personne la plus désirable de ce monde. Elle avait été la première personne en ce monde à l'observer ainsi. Peut-être serait-elle la dernière. La façon dont Jessie l'aimait... C'était le genre d'amour que toute personne sensée aspirerait à trouver. Le bel et grand amour. Une bien tendre image qui semblait presque incongrue en des temps aussi agités. Il y avait des sujets autrement plus importants sur lesquels se focaliser. Melvyn avait des rêves plus grands. Il aspirait à plus. Plus que ce qu'il avait. Plus que ce que Jessamine avait à lui offrir. Elle lui était insuffisante. Une vérité ignoble à articuler mais qui n'en demeurait pas moins une. De son côté, Rita ne ressemblait en rien à Melvyn. Elle était l'inconnue, l'ombre abstraite, étrangère et incongrue. Alors que Jessie disposait d'un tempérament facilement accordable avec le sien, Rita lui était purement et simplement opposée. Sa simple présence dans une pièce suffisait à ternir la chaleur ambiante, créant un contrat brutal avec la personnalité très solaire de son fiancé. Une alliance entre eux semblait presque absurde. Mais la vérité était autre et cela Melvyn en avait bien conscience. Bien qu'ayant une personnalité aux antipodes de la sienne, Rita le comprenait. Elle partageait ses idéaux, son ambition cristallisée. Elle était tout ce que Jessamine n'était pas. « Oh détrompe-toi je trouve ça très rafraîchissant. Je n'ai jamais eu la chance de pouvoir me retrouver au milieu d'un triangle amoureux. Tu sais entre deux meurtres je n'avais pas le temps de battre des cils. » Et là encore, leurs deux mondes étrangers se heurtaient de plein fouet, impact grossier. Rita était faite de sang et de haine.Violente et violentée. Elle avait tué, prenant part à une guerre dont Melvyn n'avait jamais eut qu'un vague goût. Un parfum acre égaré sur ses lèvres. Rita était pétrie d'expérience. Elle avait vécu bien plus que lui qui avait bénéficié d'une enfance particulièrement paisible et protégée. Si le clan Helleros ne tenait pas franchement du cliché de la famille parfaite et immaculée, l'affection parentale ayant méchamment manquée, Melvyn avait été élevé en prince de rien, dans une opulence presque grossière en comparaison aux habitations voisines à la sienne. La guerre n'était jamais arrivée jusqu'à lui, gardant des airs de fable cauchemardesque. Seaguin était le berceau de Melvyn, une protection qui demeurait encore à ce jour. « Je me suis dit que l'assassinat de ton amante ne serait pas exactement le meilleur cadeau de mariage que je pouvais t'offrir. » Les sourcils légèrement froncés, Melvyn observait Rita en silence. Il lui aurait été facile de se lever de son fauteuil pour anéantir la distance physique entre eux et pourtant, elle n'aurait pas pu être plus loin. Elle n'avait pas l'air d'être présente dans la pièce en cet instant. Elle semblait lointaine, prisonnière d'un passé ensanglanté dont Melvyn était bien incapable de la délivrer. Rita constituait une énigme et il éprouvait le besoin gourmand de la déchiffrer.  « Mais j'ai pourtant hésité pendant quelques secondes. L'innocence incarnée a tendance à me donner des envies de meurtre. » Voilà qui n'étonnait pas Melvyn le moins du monde. « Elle voulait que je ne t'épouse pas, que voulais tu qu'elle me dise d'autre ? » Là encore, il n'avait aucun mal à croire aux propos de sa fiancée. Cela ressemblait fortement à Jessie. Si délicate. E si furieusement entêtée. Trop pour se résoudre à lâcher prise alors même que Melvyn avait fait de son mieux pour la décourager. Il s'était appliqué à réaliser une rupture nette et propre, espérant que le temps permettrait à Jessamine de cicatriser d'une peine de cœur douloureuse mais certainement pas insurmontable. Mais ce n'était pas si simple. Il avait sous-estimé l'énergie que son ex était disposée à déployer pour le conserver lui. Melvyn aurait dut s'en sentir flatté. Flatté d'être aimé si fort alors même qu'il était bien loin de mériter quoi que ce soit de tel. Il n'en était rien cependant. Melvyn ne tirait aucune satisfaction de l'obstination de Jessie. Son caractère entêté était pour le coup plus gênant qu'autre chose. C'était tout bonnement embarrassant.  « Je suis désolé, elle n'aurait pas dut venir t'importuner. » Répondit-il au bout de quelques instants de silence. Il ne tenait pas à conter son passé sentimental à Rita. Il n'estimait pas que cela soit nécessaire. Lui-même ne l'interrogeait pas sur ce qu'elle avait bien pu vivre durant les dernières années écoulées. Melvyn avait la décence de contenir sa curiosité quant à ce qu'il ignorait pour mieux se focaliser sur le présent et le futur. Il aspirait à aller de l'avant. A quoi bon s'attarder sur ce qui avait été fait ? Le passé ne pouvait être défait, mais l'avenir en revanche leur appartenait, page vierge étendue à leurs pieds. Jessie était le passé de Melvyn. Un passé doux, mais révolu. C'en était fini des baisers aux senteurs fruitées, des robes vaporeuses et des fins d'après-midi passées à s'ébattre dans sa chambre. Tout cela était déjà relégué au statut de souvenir. Son alliance avec Rita était ce qui comptait. Elle était son alliée. Une alliée improbable, mais franchement estimée. Une relation précieuse que Melvyn avait à cœur de ne pas contrarier.  « C'est une gentille fille » lâcha-t-il. Une bonne personne. Meilleure qu'eux deux, sans nul doute. Melvyn s'exprimait en regardant Rita droit dans les yeux, d'une voix plate et un brin lasse.  « Elle est juste... » Il cherchait ses mots ce qui était plutôt rare chez lui. Melvyn était un bon orateur. Un garçon qui s'exprimait haut et fort, d'une voix douce, chantante. Il usait de sa langue natale avec doigté, les mots se déversant gracieusement sans qu'il ne manifeste le moindre effort pour les assembler. Il avait toujours pu compter sur son éloquence et voilà qu'elle s'émoussait un tantinet.  « Elle a une idée précise de ce que sa vie doit être et du rôle que je dois y tenir. » Il en avait toujours été ainsi. Déjà quand ils étaient petits et uniquement en âge de mordre goulûment dans chaque seconde de chaque jour, Jessie rêvassait au conte de fées qu'elle n'avait de cesse de brosser dans sa petite tête blonde. Elle s'était toujours emballée quant à l'avenir possible pour eux, embrigadant Melvyn dans une destinée qu'il n'avait jamais considéré comme étant sienne. Sans doute aurait-il dut doucher l'enthousiasme adorable quoiqu'un peu effrayant de Jessamine des années auparavant. Il avait attendu vingt-cinq ans avant de faire voler le rêve édulcoré en éclats. Beaucoup trop longtemps. « Et si je ne lui ai jamais donné clairement mon approbation, je ne l'avais jamais repoussée non plus avant il y a de cela quelques jours. » Il ne savait pas pourquoi il racontait ça. Peut-être car il avait sentiment de devoir la vérité à Rita, même s'il s'agissait d'une version partielle et un brin brouillonne de cette dernière. Ils étaient fiancés après tout. A défaut d'être follement épris l'un de l'autre, il semblait important qu'ils puissent avoir une confiance même fragile l'un en l'autre. « Elle se fera à tout ça. » Après tout, elle n'en avait pas franchement le choix.

So you can throw us to the wolves, tomorrow we will come back. Leaders of the whole pack. Beat us black and blue every wound will shape us every scar will build our throne. We’ll leave you choking on every word you left unspoken. Rebuild all that you’ve broken and now you know we’ll leave you choking.

Rita elle a jamais vraiment eu le cœur à devenir une femme, à se marier, à rire ou à pleurer. La glace dès son enfance, on lui a pas donné la chance d’aimer, de rire, de mentir, d’être capricieuse. On lui a jamais rien offert sur un plateau d’argent l’opportunité de se hisser vers le bonheur. Elle a dû construire un empire, se prenant des gifles, des claques, des coups, et s’encombrant d’obstacles terribles. Alors cette situation, aussi futile soit-elle, n’est que la prémisse d’un futur qu’ils auront à partager, lui et elle. Des fiancés, des futurs mariés, et ça laisse un goût étrange dans sa bouche, un inconnu plutôt amer, comme doucereux. Parce que les inconnus elle ne les connaît pas, impulsive avec un semblant calculateur, elle est toujours restée dans sa zone de confort, tuer pour gagner de l’argent, rester cruelle pour ne pas avoir à sentir. Mais cette histoire, ce mouvement, ces nouveaux objectifs, ça la rend empathique, ça la rend humaine et y a quelque chose, un truc à cette idée-là qui la dérange, comme la démange. Parce que qui est Rita quand elle est normale ? quand elle se mouve dans un monde où on ne la dépeint pas comme un monstre ? qui est-elle vraiment si elle se laisse prendre au jeu, si au final elle arrive à atteindre ce vers quoi elle tend ? et même si elle ne veut pas se l’avouer ça la terrorise. Ça la terrorise plus que d’égorger quelqu’un, que d’ôter une vie. Ce semblant d’une vie qui aurait pu être sien depuis maintenant longtemps, si les facteurs de son enfance n’étaient pas venus entraver sa destinée. Elle a envie de serrer les poings, tourner les talons et s’en aller, courir, prendre ses jambes à son cou et tout quitter, tout abandonner. Et puis oublier, parce qu’il n’y a que dans le déni qu’elle baigne pleinement. Mais ça serait trop facile, ça serait bâcler ces mois de travail, ce serait s’oublier encore une fois. Elle s’est réinventée, à l’aide de Melvyn, à l’aide de leur mouvement, de leurs idées politiques, d’un combat enfin trouvé. Un combat qui fait sens, mais qui fait si terriblement peur. Elle voudrait se confier, en parler, mais ça serait montrer la vulnérabilité, accepter qu’au final elle n’est pas le rocher qu’elle voudrait représenter. Ça serait prouver faiblesse et angoisse, et ça ça la dépasse encore, parler, se confier. Ce sont des choses qu’elle a annihilé, qu’elle a complètement effacé de sa cervelle, de sa tête, de son âme. Parce que Rita n’est pas n’importe qui, elle n’est pas une fille comme toutes les autres, elle est pire, elle se voudrait être la Mort. Mais finalement, peut-être qu’elle est comme tout le monde, qu’elle reste une gamine, une gamine qui attend, qui attend qu’on la sorte de sa cage d’horreurs et de terreur.
– Je suis désolé, elle n'aurait pas dut venir t'importuner. – Un petit sourire continue pourtant à se muer sur les lèvres de la terrible. L’importuner était devenue une chose courante depuis qu’elle avait rejoint le monde des vivants. Ce légume qu’elle avait été pendant tous ces mois à servir une entité qu’elle ne souhaite à présent que tuer. Mais être dérangée, ça voulait dire exister, ça voulait dire être une version réinventée d’elle, et quelque part, quelque part c’était un peu flatteur, presque rassurant. – C'est une gentille fille – Un rire s’échappe de la bouche de Rita, alors qu’elle sait, elle sait exactement quel genre de fille cette innocente est ; ce genre de fille qu’elle a appris à mépriser par simple jalousie. Et si le déni vient frapper dans les cordes, elle ne peut mentir qu’au monde, mais pas à elle-même. Parce qu’elle envie Jessamine pour ce qu’elle ne sera jamais, parce qu’elle l’envie pour ses ambitions, sa bravoure et cet amour. Un amour qu’elle n’a pas connu, ou du moins pas quand elle était elle-même. Parce que d’une certaine façon, Rita elle l’a aimé ce roi qu’elle ne reconnaît pas, ce roi qui l’a manipulé à ressentir quelque chose qui lui était inconnue. Mais à présent, à présent qu’elle se souvient, ce n’était que des mensonges. Alors elle envie la sincérité de la naïve, ses sentiments et sa vie, sa naïveté. – Elle est juste...– il cherche ses mots, il cherche probablement la sortie d’une entrevue qu’il n’avait probablement pas anticipé. Et ça amuse Rita, ça l’amuse même beaucoup de le voir se justifier pour quelque chose qu’il n’a pas réellement provoqué. Alors le rictus balance sur ses lèvres, alors qu’elle s’amuse à sortir une dague et l’aiguiser ; pour le troubler peut-être davantage. – Elle a une idée précise de ce que sa vie doit être et du rôle que je dois y tenir. – Elle peut comprendre, à mi mesure. Elle y voit une certaine volonté de défendre ce que Jessamine croit être sien, et si l’idée lui est proche, elle ne peut pourtant pas la comprendre entièrement. A quoi bon se battre pour quelque chose qui ne lui revient pas ? à quoi bon se jeter dans un combat déjà peine perdue ? parce qu’elle ne connaît peut-être pas Melvyn comme elle le voudrait, mais il semblerait attiser par son ambition, par un mouvement qui est le leur, et dans cette alliance qu’ils ont creusé, ce mariage est primordial. Et Jessamine peut essayer, tenter, mais elle ne saura probablement jamais convaincre l’homme d’abandonner ses convictions et les alliances qui les mèneront tout deux vers la victoire. – Et si je ne lui ai jamais donné clairement mon approbation, je ne l'avais jamais repoussée non plus avant il y a de cela quelques jours. – Rita arque un sourcil, elle ne juge pas lui, mais bien cette situation. Cette sorte de dispute qui n’a pas lieu d’être, si chacun restait dans ses tranchées, si chacun respectait le présent, et non pas le passé. Et elle ne veut en rien entendre les arguments de l’homme qui deviendra son mari. S’il l’aime, qu’il l’aime, s’il la hait, qu’il la haïsse, cette fille qui ne sera jamais sa promise, cette fille que Rita ne deviendra jamais. – Elle se fera à tout ça. – Elle n’a de toute façon pas le choix. Rita soupire, lève les yeux au ciel, range sa dague menaçante et se tourne vers le garçon. – Pourquoi tu te justifies ? Ce n’est pas à toi que je reproche quelque chose, mais bien à elle. A moins que tu te sentes coupable Melvyn ? – Elle marque une pause. – Si tu souhaites poursuivre ton aventure avec elle, fais-le, que bien m’en fasse, mais dis-lui de ne plus venir me voir, j’ai d’autres choses à faire. – Elle ne s’encombre pas d’un ton amical, au contraire, il est froid, prudent, il est Rita, il est cette roche incassable, ce mur impénétrable. – Comme par exemple mener un mouvement, parce que c’est là que repose tout nos espoirs. Cette fille ne me dérange pas tant qu’elle ne vient pas ternir nos ambitions, alors occupe-toi d’elle, et fais-la taire. – Elle inspire, expire, parce que c’est montré l’automatisme, parce que c’est être l’iceberg avant d’être l’humaine. – Je suis désolée, si ça semble froid, mais c’est juste que.. ces situations ou plutôt cette situation – qu’elle dit en les montrant tout deux du doigt. – qui me rend un peu confuse. – c’est nouveau, une terre inconnue qui n’a jamais rien eu de rassurant.

Il prenait la peine de se justifier auprès d'elle alors même qu'il ne lui devait rien de tel. A moins qu'il ne pense autrement. A moins qu'il ne ressente le besoin de lui expliquer les travers de cette histoire passée qui devait le rester pour ne pas contrarier l'avenir qui se préparait. Melvyn n'avait pas honte de son histoire avec Jessamine. Si elle n'était clairement pas faite pour lui, elle n'en demeurait pas moins une fille charmante et il n'avait en rien à rosir de la relation qu'ils avaient entretenus jusqu'à récemment. Non, il ne s'empourprerait pas à la pensée de ce qu'il avait partagé avec elle et l'attitude provocante et mordante de Rita qui s'amusait à aiguiser l'une des dagues de son impressionnant arsenal n'y changerait rien. A l'heure actuelle cependant, cette histoire prenait une tournure passablement handicapante. S'il aurait pu s'en sentir vaguement flatté dans d'autres circonstances, l'obstination de Jessamine à préserver une flamme d'ores et déjà éteinte constituait une gêne qu'il lui fallait écarter. Il avait cru s'être montré suffisamment ferme lorsqu'il l'avait plaquée voilà une poignée de semaines, mais visiblement cela n'avait pas suffit. Il allait lui falloir reproduire l'exercice en s'assurant cette fois-ci que le message était parfaitement clair et ce même s'il devait la blesser grossièrement dans le processus. Une situation inconfortable dont il devait se dépêtrer seul et vite. Alors qu'il achevait de parler, il scruta l'expression de Rita qui semblait à présent plus blasée qu'autre chose. Blasée par lui; par Jessamine, par la situation ou simplement par la vie. Il n'aurait sut le dire. Sa fiancée demeurait pour lui une énigme, un mystère dont il ignorait totalement s'il saurait seulement le résoudre un jour. « Pourquoi tu te justifies ? Ce n'est pas à toi que je reproche quelque chose, mais bien à elle. A moins que tu te sentes coupable Melvyn ? » Coupable de quoi ? D'un passé qu'il ne pouvait en rien altérer ? Il était incapable de revenir ce qui avait eut lieu, pas plus que Rita elle-même. Aussi douée soit elle pour écarter les nuisances qui se dressaient sur son chemin, elle ne pouvait guère tailler en pièce les dernières années, ce qu'elle regrettait assurément pour des raisons qui n'avaient strictement rien à voir avec la vie sentimentale dissolue de Melvyn. « Si tu souhaites poursuivre ton aventure avec elle, fais le, que bien m'en fasse, mais dis-lui de ne pas venir me voir, j'ai d'autres choses à faire. » Comme toujours elle s'exprimait d'un ton glacé, dépourvu d'émotions. Une nouvelle fois, Melvyn fut frappé par la multitude de différences qui subsistaient entre sa fiancée et lui. Si leur but était commun, raison même de l'alliance qui les unissait à présent. Pour tout le reste, Rita lui était infiniment étrangère. Alors qu'il avait le don d'anticiper chaque réaction de Jessie, il avait toutes les peines du monde à ne serait-ce que rayer l'épaisse carapace dont Rita ne se débarrasserait jamais. Allait-il en être toujours ainsi ? Même après des années de mariage, demeurerait-elle toujours cette fille froide, rongée par un passé sur lequel il ne pouvait que spéculer ? Et pourrait-il vivre ainsi ? Pourrait-il se satisfaire d'une telle relation ? Est-ce que cela allait lui suffire ? Les doutes ne manquaient pas. Les questions virevoltaient sous son crane sans qu'il parvienne à y trouver réponse. Mais s'il doutait du devenir de cette union, il n'éprouvait en revanche aucune forme d'indécision à l'égard de Jessamine. S'il ne s'était décidé à mettre fin à cette histoire que récemment, une part de lui avait en revanche toujours sut qu'il ne pourrait jamais lui donner ce qu'elle attendait de lui. En dépit de leurs similitudes, leurs visions du monde resteraient toujours incompatibles. Jessamine aspirait à un quotidien doux et paisible. Une existence paisible, suite de journées heureuses et teintées d'insouciance. Un charmant programme dans lequel Melvyn ne pouvait pas se projeter. Ses rêves étaient autres et il était bien incapable de les abandonner. « Comme par exemple monter un mouvement, parce que c'est là que repose tous nos espoirs. Cette fille ne me dérange pas tant qu'elle ne vient pas tenir nos ambitions, alors occupe toi d'elle, et fais la terre. » Melvyn acquiesça sans mot dire tout en acquiesçant de la tête en silence. Jamais il ne détourna les yeux de Rita, comme dans l'espoir de discerner la moindre faille chez elle. Comme pour humaniser cette fille qui déployait de gros efforts pour gommer toute trace de faiblesse de sa personne. « Je suis désolée, si ça semble froid, mais c'est juste que.. ces situations ou plutôt cette situation » du doigt, elle se désigna avant d'en faire autant avec lui, englobant par ce geste l'union entre eux deux « qui me rend un peu confuse. » Au moins le reconnaissait elle, ce qui avait le mérite de constituer un pas en avant. Melvyn hocha légèrement la tête, affirmant par ce geste qu'il comprenait. Et c'était vraiment le cas. Il percevait son malaise et ne le lui reprochait guère. « Je sais. C'est également mon cas. C'est nouveau pour moi aussi. » Il était plus à son aise pour ce qui était du côté humain, c'était franchement incontestable, mais il n'en était pas moins effrayé par tout ce qui se tramait, Rita étant comprise dans le lot. Quand bien même il ne comptait pas l'admettre, Rita l'intimidait. Elle représentait à elle seule un monde que Melvyn n'avait jamais pu que très superficiellement effleurer. Il se savait incapable de comprendre tout ce qu'elle avait vécu quand bien même l'envie ne lui manquait pas d'essayer. « Je vais m'occuper de Jessamine, mais tu vas devoir apprendre à user de plus de patience. » Si le ton adopté par Melvyn demeurait ferme, il différait néanmoins fortement de celui de Rita. Aucune trace de froideur ne venait glacer ses propos. Il s'exprimait d'une voix posée qu'il n'avait jamais eut à travailler, une voix qu'il était aisé d'écouter sans se buter et dont il usait en permanence. Si Rita ne manquait pas d'expérience en ce qui concernait l'art de la guerre, Melvyn lui lui préférait celui tout aussi crucial de la parole. « Je m'assurerais qu'elle ne devienne pas un problème, mais nous ne parlons pas d'un insecte, d'une nuisance qu'il te serait facile d'écraser avec le talon d'une de tes chaussures. Nous parlons d'une fille avec un cœur. Alors je ferais ce que je peux, tout ce que je peux, mais il y a des gens qu'on ne peut pas contrôler aussi simplement. » Et il savait comment Rita avait coutume de procéder. S'il n'aurait surement pas osé prétendre qu'il savait ce qu'elle avait pu faire par le passé, il en avait néanmoins une certaine idée. Il y avait du sang sur ses mains. Des vies arrachées. Des existences volées, violemment écourtées. Une femme devenue arme de destruction entre des mains qui n'avaient pas manqué de la briser. Car elle était brisée, il le sentait. Forte sans aucun doute, surement la personne la plus forte qu'il ait jamais rencontré, mais aussi détruite. Est-ce que Melvyn trouverait un jour le courage de l'interroger à ce sujet ? Il n'en savait trop rien. Les questions s'agglutinaient sans qu'il ne les prononce, les gardant pour lui. Il ne pouvait s'attendre à ce qu'elle confie à lui, pas alors que rien ne lui semblait moins naturel que de se s'adonner à ce genre de choses. « Enfin, considère que c'est réglé, j'en fais mon affaire. » Il en avait assez d'aborder ce sujet. Que pouvait-il dire de plus ? Rien alors inutile de s'attarder davantage. « Je t'offre quelque chose à boire ? » Lui ne cracherait pas sur un verre.