Dans la vie, y'a ces opportunités qui se présentent d'elles-même, ces présents d'un destin qui, à l'aube d'une journée maussade, se fait plus clément que la veille. Et, lorsque vous savez reconnaître l'unicité de ces chances, vous comprenez que ces lots de consolation ne se refusent pas, jamais – surtout lorsqu'ils ont la gueule blafarde d'Azriel Vestrit, et qu'ils attendent patiemment que vos foudres s'abattent sur leurs existences pathétiques, insignifiantes, mais si plaisantes à détruire, à marquer du fer rouge des douleurs inoubliables. Incroyable, non ? Il n'aura fallu qu'un pur et délicieux hasard pour réunir les deux jaunes sous le même étendard, sur les mêmes terres sableuses de Stratos, au croisement de deux destinées contraires qui se recoupent une seconde fois, dans le cœur d'une guerre muette, imperceptible à l'un et évidente à l'autre. Un fin sourire étira les lippes félines de Jaehaerys, mauvais. Elle ne se lassait pas de jubiler de ce retournement de situation ; le Vestrit, blessé, qui venait trouver refuge et prêter sa force à l'armée de pollux, juste sous son nez. C'était presque trop beau pour être vrai, comme s'il venait de lui-même lui offrir l'occasion de se venger du petit contretemps qu'il avait été, au mariage. Ça n'avait pas été compliqué de le soustraire à l'infirmerie ; deux gros bras, une seringue subtilisée plantée dans une veine saillante, un sourire charmant et quelques mensonges fielleux. Se faire passer pour une vieille amie, prétendre l'utilité d'une bonne rasade d'air frais, d'un moment de retrouvailles intimes. Et maintenant, grâce à l'incapacité d'une bande d'infirmières, il était entre ses dextres meurtrières, dans le sous-sol d'une vieille baraque abandonnée, à sa merci. Là, sur une gigantesque croix de bois suspendue au plafond par de robustes câbles, touchant à peine le sol, il était cloué par quatre dagues, une dans chaque main, dans chaque pied, cerclé à la taille d'une ceinture le maintenant stable sur la structure. Presque un peu trop biblique, pour cet enfer minimaliste où régnait en maîtresse la mêlée.

Elle claque sa joue dans l'espoir de le réveiller, plusieurs fois, sans succès. L'exhalation contrariée d'un soupir de mécontentement brise le silence grinçant de la pièce maigrement éclairée par une lumière blafarde ; même dans les vapes, cet emmerdeur réussit à lui taper sur les nerfs ! Enchaînée aux imperceptibles frissons d'une impatience fanatique, l'assassin roule des yeux, se laissant choir sur une chaise, en face de sa grandiose œuvre. Pourtant, la faire attendre ainsi, dans l'expectative joyeusement cruelle de jouer avec l'audacieux qui s'était mis en travers de sa route, des mois plus tôt, valait certainement tout ce qu'elle lui infligerait ensuite. Des douleurs au delà de l'imaginaire, les marques indélébiles de son souvenir, impérissable dans ses chairs et sa psyché. Le temps s'écoule, lentement, ostensiblement, jusqu'à ce qu'enfin ses paupières papillonnent, s'ouvrent à demi sur un regard d'obsidienne. « notre belle au bois dormant se décide enfin à ouvrir les yeux, merveilleux ! » qu'elle lance en se levant, guillerette, plongeant son regard noisette dans celui, confus et à moitié hébété, d'Azriel. Elle ne savait pas ce que contenait la seringue qu'elle avait planté dans son cou, mais ç'avait été, de toute évidence, très efficace. Il mettrait un peu de temps à reprendre entièrement et pleinement conscience de la situation sans issue dans laquelle il se trouvait, de ces douleurs préliminaires au creux de ses mains et de ses pieds. « ça fait un bail, pas vrai ?  » questionne t-elle sans attendre de réponse, une fois certaine que l'autre est assez lucide pour comprendre les mots qui s'échappent de ses lippes recourbées dans un trop grand sourire. « enfin, je suppose que tu auras bientôt une perception très différente du temps » qu'elle glousse, caressant délicatement les outils soigneusement exposés à la vue du jaune. Torture, voilà tout ce que ces éléments, disposés un à un devant le Vestrit jusqu'aux iris embrasés de la démone, indiquaient, à peine subtils.