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Chronologie:

chapter one, 2144 ‹ Au cœur de la nuit, le bûcher transperce l'obscurité. L'odeur de bois brûlé et de chair carbonisée est portée par un courant d'air frais, qui fait virevolter les cendres grisâtres. Rassemblés autour du feu vrombissant, serrés les uns contre les autres, le clan contemple le corps de son aînée s'envoler dans les flammes. Déjà, on ne distingue plus qu'une forme noircie, aux contours ondoyants sous la chaleur du brasier. Les yeux asséchés par la fournaise, la petite fille fixe sans le voir l'homme brun qui se tient, seul, de l'autre côté de l'incendie. Tête baissée, les poings enfoncées dans les poches de son long manteau sombre, il refuse de regarder son épouse disparue. La douleur se lit en lui, dans la contracture de ses épaules et la courbure de son cou. Vaincu par la mort, l'homme est incapable de se relever. Comme eux, comme ce clan aux cheveux blonds, il a perdu sa raison d'être. Pour lui, une âme sœur. Pour eux, un soleil. Vive, joyeuse, souvent capricieuse. L'image fausse d'une jeune femme rayonnante, généreuse, efface la réalité. Pourtant, tous savent qu'elle n'était qu'égoïsme et orgueil. Longtemps, ils se sont leurré, ont préféré croire à un mensonge. Il est plus facile d'imaginer qu'elle s'est laissé corrompre par son époux. Lui sait qu'il en va autrement. Il n'a jamais été l'artisan de sa décadence. Au contraire, il a trouvé en elle les échos de sa propre noirceur, un miroir de son âme enlaidie. La petite fille, elle, sait qu'ils se sont complétés. Victime de leurs jeux cruels, elle n'ignore pas que son aînée a été autant que lui l'instigatrice de leur brutalité. Mais elle pardonne. Car depuis sa mort, Cassandre ne peut plus l'atteindre.

chapter two, 2158 ‹ Pliée en deux sur son ouvrage, Bianca rejette d'une main distraite une mèche de cheveux rebelles. Installée devant la fenêtre, elle profite de la lumière du jour pour faire naître sur la soie mille et uns oiseaux. Chatoyants, brodés de fils d'or, de rouges profonds et d'orangés solaires, les oiseaux de feu étirent leurs plumes embrasés sur le délicat tissu. Destinée à une maîtresse du feu, la robe sera bientôt portée à la cour. Du moins, si la brodeuse ne commet pas d'erreur. Apprentie chez l'une des meilleures couturière de la capitale, Bianca espère faire ses preuves, et se faire un nom. Si elle n'a pas d'ambition démesurée, la jeune femme aspire néanmoins à la reconnaissance de son art. Modeste, elle se fie toutefois aux opinions de sa maîtresse, qui voit en elle une créatrice prometteuse. Il arrive parfois à Bianca de la croire. Un raclement lui fait lever la tête et elle découvre Ishtar, à demi allongée sur leur lit commun. La moitié basse de son corps repose sur les couvertures chiffonnées, tandis que l'autre pend dans le vide, à l'envers. Ses deux mains s'appuient sur le plancher abîmé de la chambre, tandis que ses cheveux épais s'éparpillent au sol. La situation déclenche l'hilarité de la blonde, qui abandonne sur l'établi sa broderie. Il lui faut quelques instants pour reprendre son souffle, alors que le sourire d'Ishtar s'élargit de seconde en seconde.  - Mais qu'est-ce que tu fais ? - Se redressant à grand renfort de contorsions, l'adiutor reprend une position plus conventionnelle. - Je m'ennuie. - Le ton trahit en effet la lassitude de longues heures enfermées. Ishtar, au tempérament de feu, ne supporte pas d'être cloîtrée dans un chambre exiguë. - Je suis désolée, tout cela n'est pas drôle pour toi. Pourquoi ne vas-tu pas te promener pendant que je termine ici ? - Le rire qui échappe à la belle brune n'a rien de joyeux. Dans un ultime mouvement, elle s'assoit au bord du lit, ses jambes fines battant l'air. - Et prendre le risque de te retrouver transformée en porc-épic à mon retour ? Tu es trop maladroite, avec ces aiguilles, pour que je te laisse seule. - Elle hausse un sourcil moqueur, mais accompagne ses paroles d'un sourire tendre. Rougissante, Bianca détourne un instant le regard. Elle n'est pas vexée, mais préfère reprendre son travail au lieu de répondre. Cette fois, c'est un air réprobateur qui se peint sur le visage d'Ishtar. - Je ne comprends pas ce que tu trouves à toutes ces fanfreluches. - Elle ne rêve que d'aventures, la rouge. Et si elle aime Bianca, elle déplore souvent sa délicatesse, sa fragilité. - Je ne t'oblige pas à rester ici. Ça n'a jamais été comme ça. - Elle n'élève pas la voix, ne s'agace pas. Elles ont déjà eu mille fois cette conversation, à demi-mots. Chaque fois, Ishtar reproche à Bianca sa douceur. Chaque fois, la maîtresse de l'eau propose à sa protectrice de l'abandonner pour quelques heures. Et chaque fois, cette dernière trouve un nouveau prétexte pour se dérober. C'est presque devenu un jeu entre elles, qui conforte Bianca dans ses certitudes. Car la brodeuse est persuadée que jamais son amie ne la quittera. Peu importe combien de fois la scène se répétera, Ishtar sera toujours là. - Mais oui. Et je suis l'impératrice Camilla. - Sa voix est chargée d'humour, alors qu'elle quitte le lit pour enlacer Bianca et plaquer un baiser sur sa joue. Le sourire de la blonde est timide, quoi que sincère. Elle aime Ishtar comme une sœur, malgré leurs différents, leurs différences. Et elle espère bien que la réciproque soit vraie.

chapter three, 2165 ‹ Les voiles blanc dansent, agité par un courant d'air invisible. Étendue sur les couvertures, à peine vêtue d'une combinaison de coton blanc, la courtisane lit. Un bras au-dessus de la tête, jouant distraitement avec les draps, son attention toute entière se concentre sur le récit dont elle s'abreuve. Une évasion bienvenue, un court instant de répit. A peine libérée de son client, Bianca ne dispose que d'un moment pour elle. Ensuite, il faudra à nouveau se lancer dans la danse. Rejoindre ses compagnes au salon, adopter les poses lascives qui séduisent les hommes. Feindre l'indifférence, pour susciter l'intérêt. C'est probablement le plus difficile. Faire croire que tout ceci ne l'atteint pas, qu'elle est ici par choix. Alors qu'elle n'est rien d'autre qu'une esclave, assujettie par un contrat abject. Prisonnière de désirs étrangers, elle ondule sur commande, gémit  à la demande. Dans ces moments, il lui arrive de comprendre Ishtar. Liées par le hasard, unies par la fatalité, les deux femmes n'ont eu d'autre choix que de composer avec la situation. Si Bianca s'y est mieux adaptée, certaine de sa position, ça n'a pas été le cas de son adiutor. Pendant toutes ces années, elle a feint la docilité, a enfouit le feu qui grondait en elle. Et à la première occasion, elle a filé sans demander son reste. Pour la courtisane, à peine remise de sa longue maladie, la nouvelle a été difficile à entendre. Longtemps, elle s'est refusée à croire que son amie de toujours l'avait abandonnée. L'amitié qui les attachait l'une à l'autre n'aura pas suffit à convaincre l'ex adiutor de rester aux côtés de sa compagne affaiblie. Égale à elle-même, Bianca n'en tient pas rigueur à Ishtar. Au regard des deux années écoulées au sein du Boudoir, la jeune maîtresse ne peut que comprendre les sentiments qui ont dû agiter la rouge. Quelles qu'aient été les raisons qu'elle avait de partir, elles étaient nécessairement justes. Distraite de sa lecture, la blonde referme le livre, avant de le cacher derrière la tête de lit. Au même instant, trois coups ébranlent la porte close de sa chambre. - Bianca ? Qu'est-ce que tu fous, bordel ? On t'attend, en bas. - La voix chaude du gardien porte, même à travers le bois. Aussitôt, la jeune femme quitte le lit pour se précipiter devant sa coiffeuse, cachée par un paravent. - J'arrive, Akil. - A la va-vite, elle arrange ses cheveux, les parent de plumes et de bijoux. Un instant plus tard, elle a enfilé une longue robe de chambre transparente, qui cache suggestivement sa nudité. Ouvrant la porte à la volée, elle fait face à l'homme chargé de leur protection à toutes. - Je suis prête. - Prête à affronter la réalité d'un quotidien qui la débecte, mais qu'elle supporte en silence. Un quotidien où son sang, autrefois de peu d'importance, n'a désormais aucune valeur et ne mérite plus que d'être souillé chaque nuit.

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