« Tu ne devrais pas y aller seul. Tu ne devrais pas y aller tout court. » Les beaux traits de Cassian étaient marqués tant par l'inquiétude que par la lassitude d'une conversation déjà eu maintes fois. Ethan s'employa à l'ignorer ce qui n'était pas une tâche aisée vu qu'il s'était planté juste devant lui. « J'ai survécu pendant dix-huit ans sans toi. Je devrais réussir à me maintenir en vie pendant une poignée de minutes par mes propres moyens. » Rétorqua l'enfant du feu avec une pointe d'irritation. Il y avait quelque chose franchement charmant dans l'attitude foncièrement sur-protectrice de Cassian, mais cet adorable trait de caractère n'était pas sans apporter son lot d'inconvénients. Ethan dévisagea un instant son amant. Ce dernier ne cillait pas, les traits tendus. Une lueur de défi brillait dans ses yeux cobalt, comme neuf ans plus tôt, lorsqu'ils s'étaient présentés l'un à l'autre le jour de la cérémonie qui les avaient liés d'une façon que tout le monde pensait alors être définitive. Cassian le provoquait en faisant barrage de son corps, une note de tendresse brute perçant dans son regard comme toujours lorsque ce dernier était braqué sur Ethan. « Je reviens vite. » Ajouta celui-ci sur un ton plus sec, définitif. Cassian était son amant, pas son geôlier. Dans une attentive pour mettre un doux terme à cette confrontation soudaine, Ethan effleura les lèvres du mêlé d'un baiser avant de le contourner pour se diriger vers la porte d'entrée et la ville qui s'étendait derrière.Alors qu'il s'apprêtait à se saisir de la poignée, la voix de Cassian retentit à nouveau derrière lui, colorée d'une note d'inquiétude.  « Tu sais qu'elle ne veut pas te voir. » Ethan s'immobilisa alors que les mots prononcés pétrissaient allègrement son coeur. Il savait que Cassian avait raison, comme souvent, ce qu'Ethan se gardait toujours de reconnaître à voix haute. Hazel. Cassian avait vu juste, bien évidemment ce qui n'avait décemment rien d'étonnant. L'esprit d'Ethan était une porte ouverte au mêlé de même que l'était son coeur. « Cela ne veut pas dire qu'elle ne t'aime pas. » La voix de Cassian était claire et définitive, mais nullement dépourvue de la tendresse qu'il ne réservait qu'à Ethan. Il s'exprimait toujours sur un ton qui suggérait qu'il ne pouvait décemment qu'énoncer des vérités absolues et incontestables. Ethan lui avait toujours profondément envié cette aptitude. Ce calme inviolable dont il ne se départait jamais. « Uniquement que tu ne sais l'aimer qu'à distance. Pour ton bien et pour le sien. Alors ne fait rien de stupide Ethan, s'il te plait. » Cassian disait vrai et Ethan le savait. Hazel avait pris la bonne décision en partant. Cela avait été pénible et effroyablement douloureux, mais sa soeur avait pris une décision courageuse qu'il lui serait sage de ne pas ruiner. Mais Ethan n'était qu'un foutu égoïste. Un être mauvais. Toxique pour les autres et pour lui-même. « Je peux me contrôler. » Et sa voix était légèrement tremblante, manquant désespérément de l'assurance naturelle qu'il enviait tant à son amant. « Mais tu peux aussi perdre le contrôle. » Ce ne serait définitivement pas la première fois. Ethan se mordit la lèvre avant de quitter la résidence sans un mot, laissant Cassian seul dans l'entrée.

Quelques minutes plus tard, l'imposante structure du palais des flammes s'éleva au dessus d'Ethan. Tout du long de son trajet dans les rues de la capitale enflammée, la voix de Cassian avait raisonné dans sa tête comme une insupportable complainte. C'en était tout simplement assourdissant. Sa tête lui intimait de rentrer chez lui, de faire demi-tour, mais ses jambes persistaient à progresser en direction du palais. Il ne pouvait tout simplement pas s'en empêcher. Son regard scrutateur se posait de ci de là en quête d'un visage familier disparu de son champ de vision depuis trop longtemps.

Et tout à coup, au détour d'une rue, elle apparu. Ethan en fut momentanément estomaqué, le souffle coupé par une vision dont il avait presque fini par se convaincre qu'il n'y goûterait plus jamais. Hazel lui semblait irréelle. Une silhouette fantomatique dont il n'aurait pas été surpris qu'elle ne soit rien d'autres qu'une création de son cerveau, un mirage surgissant devant lui avant de s'évanouir sans un mot, sans une trace. Il n'aurait pas dut éprouver ce choc cependant, cette sensation brutale. Car, après tout, ses rondes autour du palais n'avaient guère d'autres buts que celui de la voir. Il s'était convaincu qu'il n'aurait même pas besoin de lui parler. Qu'elle n'avait même pas besoin de remarquer sa présence. Qu'il pourrait se contenter de l'apercevoir pour s'assurer qu'elle était bien portante. Et il savait ce désir égoïste. Stupide même. Tu ne sais l'aimer qu'à distance. Cassian avait raison. Ethan le savait et Hazel aussi. Ils l'avaient appris de la manière forte. Elle en avait pris conscience avant lui, ou du moins l'avait-elle reconnu en premier. Bon nombre d’événements avaient eut lieu depuis qu'Hazel avait laissé Firekiro derrière elle. Des mois étaient passés depuis qu'Ethan avait trouvé la lettre qu'elle lui avait adressé. Une missive dont il connaissait encore à ce jour l'intégrité du contenu. Il lui était facile de remonter le temps jusqu'à ces instants alors qu'il faisait fasse à sa sœur. Il lui était aisé de se remémorer l'amas d'émotions qui l'avaient submergé alors qu'il lisait la lettre, le cœur battant et les mains agitées de tremblements. Il avait lu et relu les mots des dizaines de fois, jusqu'à ce qu'ils se mélangent et se confondent sous ses yeux, réduisant les dernières paroles d'Hazel à un gribouillage d'encre privé de tout son sens. C'était Cassian qui était parvenu à interrompre sa lecture frénétique. Sous la pression de ses doigts fins, il l'avait aidé à lâcher prise, s'emparant de la feuille froissée qu'il avait subtilisé à son attention. Cette lettre avait finie dévorée par les flammes, réduite à un amas de cendre. Ethan l'avait regardé brûler en silence, blotti contre Cassian avec l'impression d'avoir été amputé d'une part de lui.

Si les mots avaient péris, grignotés par les flammes, leur souvenir était resté, ancré dans la chair tendre d'Ethan. Tous les efforts du monde n'auraient suffit à taire le souvenir d'Hazel et le sentiment de culpabilité féroce qui pétrissait férocement le cœur dès lors que quelqu'un daignait prononcer son nom. Il n'en voulait pas à Hazel, car comment aurait-il pu ? Sa fuite n'était rien de moins qu'un acte de courage, une bravoure qui lui manquerait toujours. Un acte motivé par la peine, par la colère et par l'amour, aussi malmené eut-il été par la main brutale d'Ethan. Une décision courageuse et déterminante que celle prise par sa sœur, une volonté qu'il aurait voulu honorer. Mais voilà qu'à nouveau il se dégageait un chemin jusqu'à elle. « Arrête-toi là. » Il lui obéit, il s'immobilise. Il ne fait pas mine de vouloir l'approcher davantage alors qu'il crève véritablement d'envie de rompre la distance entre eux deux. Pour toute réponse, il l'observe. Son cœur se serre à la vue des larmes qui roulent sur sa joue, larmes dues à sa présence, à cette proximité qu'elle a fuit. Tu sais qu'elle ne veut pas te voir. « Qu'est-ce que tu viens faire ici ? » Elle a peur de lui. Il ne peut pas l'en blâmer. Ce sentiment, il le connait trop bien. « Je suis ici pour mon travail. » Sa voix est plate, contraire aux palpitations furieuses de son cœur. La demi-vérité franchit prudemment ses lèvres. Son poste et la guerre ont joués un rôle majeur dans son emménagement au sein de la capitale enflammée, mais ses promenades aux abords du palais n'ont nulle autre raison qu'elle. Une attitude de malsaine contre laquelle il s'efforçait de lutter sans y parvenir pleinement, ramené en permanence à la faiblesse qui le caractérisait. Monstrueux, lâche, égoïste. Ethan ne manquait jamais d'adjectifs pour se définir.