Un énième jour de marche, dans le froid de l'hiver qui prendrait bientôt fin. Ils n'étaient partis depuis bien longtemps, mais ce voyage semblait durer une éternité aux yeux de Lazar. Il ne cessait de penser à Naerys et à Stratos, à cette armée qu'il aurait déjà dû rejoindre hier ou avant-hier. Et il ne cessait de penser à Diana qui l'avait forcé à tourner le dos à son propre sang, sans même le savoir. Cette femme était la reine des retournements de situation ; c'était à se demander si elle en faisait exprès, si elle faisait en sorte que son entourage ne s'ennuyait pas trop. A ce stade, il ne se rappelait plus vraiment de la raison pour laquelle il avait accepté la proposition des deux jeunes femmes qui marchaient devant lui. Il ruminait depuis qu'ils avaient quitté Azurite, et l'espèce de tristesse étrange qui l'avait saisi quand il s'était rendu compte qu'elle était partie, sans rien lui dire - même pas à lui - s'était transformé en amertume, en colère froide, aussi froide que le vent qui venait fouetter son visage sans la moindre pitié. Il soupire, lourdement, parce qu'il sait qu'ils ne la trouveront pas. Diana n'était pas assez bête pour vouloir disparaître et se faire rattraper avant d’avoir eu le temps de se faire oublier. Il la connaissait par cœur, il savait parfaitement qu’elle avait pris soin à ne pas être reconnue, à ne pas laisser la moindre trace, le moindre indice à qui que ce soit – même pas à lui, vert qui réfléchissait plus vite, même en se remettant encore du virus. Ils ne la trouveraient pas.

Alors qu’est-ce qu’il faisait là ?

Il ignore la réponse que sa conscience lui souffle, lâche un nouveau long et las soupir. Il aimait se rassurer en se disant que le délai qu’il avait accordé à Raya et Lulaa serait bientôt écoulé, et il pourrait retourner auprès de sa sœur, gagner Stratos et se donner corps et âme à la cause qui lui était chère depuis si longtemps. Encore quelques jours, encore deux villages ou trois, et il pourrait faire demi-tour. Laisser les Osanos derrière lui, pour son bien. Oui, pour son bien. Le soleil commençait à peine à se coucher quand quelques lumières lui apparurent à sa droite. Peu nombreuses, elles étaient tout de même signe de vie. Il n’a qu’à le signaler pour que les deux maîtres qui marchaient devant lui dévient leurs trajectoires, et il les suit, parce qu’il n’avait de toute façon rien de mieux à faire.

L’endroit est calme, trop calme. Ils jettent tous les trois des regards autour d’eux. Une seule silhouette se dessine, petite frêle – celle d’un enfant, similaire à celui qu’avait été Lazar autrefois. Il fait un pas vers lui, un seul, mais il suffit pour l’effrayer et le faire détaler. Le mêlé hausse les sourcils avant de dévier son attention vers les deux jeunes femmes. Quel chaleureux accueil. Je reviendrai pour des vacances. Un regard autour de lui, un énième soupir, une main passé sur son visage fatigué. Les quelques âmes visibles semblaient très peu enclines à adresser le moindre mot aux visiteurs qu’ils étaient. Commes apeuré par ces gens qu’ils n’avaient jamais vus. Bon. Est-ce qu’on ouvre les portes en rentrant dedans pour essayer de la trouver, où est-ce que je vais devoir prétendre être civilisé ?

Les paysages d'Aguarini n'avaient cesse de défiler au fil des jours qui sombraient les uns après les autres. Mais l'espoir de la Karstark n'avait jamais cessé de battre en son sein. Elle était intimement persuadée qu'elle allait finir par retrouver Diana. Son amie de toujours n'avait pas pu simplement disparaître sans prévenir personne, en simplement abandonnant ceux qui lui étaient si fidèles. Non, Raya refusait d'y croire, elle refusait de penser que la Osanos avait pu, elle aussi, la prendre de court. C'est ainsi qu'elle avait fait le choix de la retrouver, de suivre ses traces coûte que coûte, laissant Elias et sa solitude de côté. Peut-être utilisait-elle ce prétexte pour fuir leur domicile, pour le fuir lui et elle, fuir ce qu'ils avaient. Mais Raya a besoin de se retrouver, de retrouver ce pour quoi elle a choisi de se battre, ce qui a toujours animé sa vie depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvient. Le pas lourd, la fille de l'eau pose parfois son regard sur la silhouette frêle de Lula puis sur le visage fermé de Lazar. Eux non plus n'avaient eu aucune information sur ce départ précipité, inattendu. Le mêlé n'avait pas été le plus facile à convaincre, et pourtant il était là. Il avait soutenu que cela ne fonctionnerait pas, qu'il s'agissait d'un temps précieux perdu. Mais il était là, et cela ne faisait qu'entretenir l'étincelle d'espoir qui brillait encore dans le regard de la sirène.
Les villages avaient défilé, en vain. Aucune trace de la reine, absolument rien. Le néant. Alors que le silence régnait en maître, le trio arriva dans un nouvel endroit, un de plus à fouiller, un de plus attisant leur espoir d'y retrouver celle qu'ils cherchaient. Mais les lieux semblaient déserts. Il n'y avait qu'un enfant pour les accueillir, mais il semblait effrayé par leur présence. Un mince sourire suivi d'un rire étouffé glissa de ses lèvres à la remarque du mêlé. Raya serre sa queue de cheval, avant de balayer les mèches qui s'étaient frayées un chemin sur son visage fatigué. – As-tu déjà, au moins, prétendu, une seule fois, être civilisé ? Sa question rhétorique était simplement là pour détendre un peu l'atmosphère pesante qui régnait alors qu'ils ne semblaient pas être les bienvenus. Raya ignorait si la présence d'une Osanos et d'un mêlé, peu enclin à la discussion, jouait en leur faveur. Elle, elle était souvent une inconnue, pas toujours compte tenu de la maigre popularité dont elle a jouit pendant toutes ces années de compétition équestre. Elle ignorait s'il était opportun ou non que la rumeur annonçant la disparition de Diana soit répandue. Cela ne ferait que servir Johann et ses sombres projets. D'un pas délicat, la sirène se dirige vers une femme non loin de là. – Avez-vous vu ou parlé à une jeune femme brune, aux yeux clairs, très belle, ressemblant de près ou de loin à la princesse Diana Osanos ? La gorge nouée, Raya s'attendait, une fois de plus, à la même réponse. C'est alors qu'elle tourne son visage vers ceux l'accompagnant avant de bouger sa tête à la négative, un air de désolation greffé sur ses traits fins.

Tout semblait perdu. Lula était perdue. Sans elle, elle n’avait plus de raisons de vivre. Diana avait toujours été là dans les pires moments, elle était toujours venue à son secours et elle l’avait toujours rassuré. Elle était la lumière au bout du tunnel. Et maintenant qu’elle était plongée dans la pénombre et l’obscurité, elle devait se débrouiller seule. Seule. Mot qui résonnait dans sa tête et qui l’effrayait au plus haut point. Jamais elle n’oublierait le moment où ses prunelles bleutées ont parcouru la lettre laissée par son ainée. Jamais elle n’oublierait la colère et le désarroi qu’elle a ressentit. Et malgré cette colère, cette rancœur envers sa sœur qui l’avait lâchement abandonné, Lula continuait de la chercher. Elle se devait d’être là pour elle, elle se sentait responsable du départ de sa sœur, même si ce n’était pas du tout le cas. Elle devait la retrouver, il ne pouvait pas en être autrement. Heureusement que Raya et Lazar étaient là. Ils étaient aussi désespérés qu’elle, ils étaient à bout de nerfs à force de la chercher sans obtenir le moindre résultat.

Lula lève les yeux en voyant des lumières illuminer son champ de vision. Il y avait des gens là-bas, des gens qui avaient potentiellement pu voir Diana. Elle s’apprêtait à ouvrir la bouche lorsqu’un bruit de brindille la fait sursauter. Elle se crispe et adresse un regard à ses acolytes. Son palpitant s’accélère, une boule se forme dans son ventre, mais elle disparaît bien vite lorsque Lula découvre la silhouette frêle du petit garçon. Personne n’ose bouger, jusqu’à ce que Lazar se décide à faire un pas vers lui. Echec total, puisque le petit s’enfuit en courant. Quel chaleureux accueil. Je reviendrai pour des vacances. Lula laisse échapper un petit rire nerveux. Elle était fatiguée, épuisée, à bout de nerfs. Tout comme Raya et Lazar. Bon. Est-ce qu’on ouvre les portes en rentrant dedans pour essayer de la trouver, où est-ce que je vais devoir prétendre être civilisé ?  L’Osanos n’a pas le temps de répondre, que Raya lance une réplique cinglante au mêlé, tout en resserrant sa queue de cheval. – As-tu déjà, au moins, prétendu, une seule fois, être civilisé ? Cette fois-ci, son rire n’est plus un rire nerveux. Elle rigole, elle se moque gentiment de Lazar quelques instants avant de se concentrer sur la route qu’ils empruntent. Ils avancent jusqu’à ce que Raya se détache d’eux de quelques mètres pour discuter avec une femme. Pas la peine d’entendre la question qu’elle lui pose, elle la connaît déjà. Le mêlé et l’ancienne princesse restent muets. Le palpitant de Lula s’accélère, elle veut y croire. Elle veut croire que la jeune femme acquiescera et leur donnera –au moins- une piste à suivre. Mais ses espoirs disparaissent lorsque Raya se tourne vers eux en secouant la tête à la négative. Lula s’écarte de Lazar pour donner un coup de pied dans un vieux sot d’eau qui semble abandonné. – J’en ai assez ! On perd notre temps. Jamais on ne la… Elle s’arrête lorsque ses pupilles croisent le regard d’une vieille femme qui les regardent à travers une fenêtre. Elle semble intriguée par les trois visiteurs qu’ils sont, mais elles semblent même les reconnaître. Lula reste figée quelques instants avant de se tourner vers ses deux acolytes. – Regardez là-bas. Dit-elle simplement en montrant du doigts l’auberge au qui fait l’angle de la rue. – Une femme nous observe. Elle a vu qu’on l’avait remarqué et pourtant, elle ne détourne pas le regard. On devrait aller lui poser des questions. Elle n’attend même pas la réponse de ses amis et emboite le pas vers l’auberge où ils auront peut-être enfin une réponse. Malheureusement, la réponse qu’ils y trouveront ne sera pas celle qu’ils voulaient entendre.