L’inhumaine mettait le pied dans la nation de l’air pour la première fois depuis des mois. Et elle n’arrivait pas seule. Elle entraînait dans son sillage le nouvel objet de toutes ses attentions, le nouvel adorateur qui vénérait sa maléfique divinité chaque nuit. Noircissait son âme sur l’autel sacré la pernicieuse déité. Mance Graylin. Ancien ennemi devenu amant. Obsédé par cette noire tentatrice qui avait autrefois réduit sa précieuse cadette en esclavage. Mais le désir est plus fort que la haine. « Tu devrais aller voir Amara. Je suis certaine qu’elle n’est plus aussi en colère que l’autre fois. Quant à moi, j’ai à faire. » Sourire carnassier qui déforma ses lèvres rouge sang. Son visage était aussi étrange qu’à l’ordinaire. Mutin et félin, il était déformé par le maquillage trop marqué dont elle se peignait chaque jour. Des paupières noires, des lèvres carmin, des pommettes trop rosées. Un véritable carnaval de couleurs antithétiques. Et son excentricité se ressentait également dans sa manière de s’habiller. Robes toujours trop courtes, trop inappropriées, trop exubérantes. Des talons démesurément hauts qui la faisaient osciller à chaque pas. Comme si elle avait besoin de tous ces artifices pour se faire remarquer. Comme si sa réputation de grand sorcière d’Aksana ne la précédait pas déjà. Comme si elle n’était pas ce terrible démon, cette vicieuse créature dénuée d’âme. Pas de limites entre le bien et le mal dans son esprit. Pas de bornes à ce qu’elle était capable de commettre pour parvenir à ses fins, pour posséder toujours plus d’or ou de conquêtes. Mercenaire sans cœur aux dons terrifiants. Orange jusqu’au bout des ongles. Reine des esprits. Marionnettiste hors-pair. Capable de manipuler quiconque passait à la portée de ces doigts invisibles qu’elle étendait perpétuellement autour d’elle. Toujours avide de secrets et de présence dans son esprit désespérément vide. Parce qu’elle ne ressentait rien. Rien de normal, du moins. Tout ce que la Mormont savait faire était de jubiler devant les pires cruautés et d’atteindre de déferlants orgasmes. Alors entendre ce brouhaha confus à l’intérieur d’elle lui donnait l’impression d’être envie. Une énième répercussion de son caractère maléfique. Tout comme sa propension à rechercher perpétuellement la chaleur d’autrui. Pour tenter de réchauffer son corps d’une froideur mortelle. Véritable cadavre dont la dernière étincelle de vie résidait dans ses désirs pervertis et dévoyés. « Je dois passer voir Elvira et rendre visite au prisonnier le plus canon d’Aeristin. » Baiser soufflé sur les lèvres du maître de l’air avant que le serpent ne se mette à se pavaner dans les couloirs impériaux. Comme si sa place ici était légitime. Comme si un sang bleu courait dans ses veines. Alors qu’il n’en était rien. Feyre n’était qu’une femme de rien, une simple mêlée. Et si ses droits d’entrée étaient désormais presque illimités, il n’en avait pas toujours été ainsi. Elle avait gravi les échelons sociales grâce à son immuable ambition et ses talents de suborneuse. Grâce à son aptitude à tout faire. Même les tâches les plus horribles. Torturer des enfants, mettre à mort des aînés, diviser les amants, monter les frères l’un contre l’autre. Tout était possible. Tout était possible si le paiement en valait la peine. Et elle prenait un malsain plaisir à voir les autres souffrir. A les faire souffrir. A semer chaos et désespoir sur son chemin. Un art dans lequel elle était passée maître. Et alors que l’inhumaine se dirigeait vers les cachots, elle sentit une présence autour d’elle. Comme une ombre qui la suivait sans pour autant oser faire le premier pas, pour le moment. Alors la diablesse se retourna et fondit sur l’enfant de l’air. « Antwan Belikov. Quelle bonne surprise ! » Rictus sauvage sur son visage aux airs innocents. Le plus redoutable des pièges. Qui attirait ces inconscients insectes dans la toile la plus dangereuse au monde. Et elle se mit à tourner autour de lui, d’une démarche lascive et dansante. Les dizaines de bracelets colorés cliquetant autour de ses poignets. Parodie de parade amoureuse. Ou bien prédatrice se délectant de la proie sur laquelle elle était sur le point de piéger dans ses serres. « Que puis-je faire pour toi, mon ange ? Parle et tes vœux seront exaucés. » Et elle riait. Riait à en perdre haleine. Parce que les autres l’amusaient terriblement. Trop en prise avec leurs émotions, leurs désillusions et leurs peines de cœur. Elle ne connaissait rien de tout cela. Epargnée, grâce à sa divinité, par les tourments quotidiens. Âme supérieure dans tous les domaines. « Je suis le mauvais génie de la lampe, après tout. »

« Feyre. » Et le petit oisillon s’approchait d’elle, aussi brisé à l’intérieur qu’à l’extérieur. Elle le percevait instantanément, la grande prêtresse des esprits. Parce qu’en tendant, intuitivement, ses griffes acérées en direction de l’âme de l’enfant de l’air, elle savait déceler ses failles et ses faiblesses. Pauvre Antwan. Trop précieux pour ce cruel monde. Chaviré par des vents contraires. Bouleversé par des tempêtes trop brutales. Sans véritablement personne pour faire écran. Et il ne pouvait rien lui cacher, le Belikov. Pas à elle. Pas alors qu’elle venait à peine de retrouver ses maléfiques pouvoirs. Pas alors que la pernicieuse s’infiltrait dans toutes les âmes alentour, plus durement, plus méchamment. Afin de combler ce vide qui s’était propagé en elle, alors qu’elle n’était plus la terreur d’Aksana. Alors, la terrible minauda, se mit à tourner autour du jeune homme. Parodie de parade amoureuse. Parce qu’elle restait un prédateur, malgré son visage angélique et sa peau laiteuse. Un redoutable prédateur. Cruel. Sanguinaire. Inhumain. Et pour le plus grand malheur du Belikov, Feyre venait de jeter son dévolu sur lui. Il périrait ou deviendrait son nouvel esclave. Les deux seules issues à frayer avec le diable. « Tu te souviens de ce que tu m’as dit l’autre fois ? » Elle passa sa langue sur sa lèvre supérieure, goûtant déjà un jouissif festin. Telle une lumière dans l’obscurité, elle attirait irrésistiblement à elle toute les âmes perdues de l’empire. Tous ces pauvres esprits en proie aux doutes, aux tourments ou aux démons. Parce qu’elle était leur Mère à tous. Créatrice de torpeur et de dévastation. Parce qu’ils savaient qu’elle pouvait les comprendre, voir même les aider, s’ils étaient prêts à y mettre le prix. « Et bien j’aimerais le faire. Il y a des choses – des sensations, que j’aimerais faire disparaître. » Elle laissa échapper un ricanement d’entre ses lippes peintes en rouge. La Mormont se considérait comme plus puissante que tous ces odieux maîtres, comme supérieure à tout ceux de sa race. Reine de sa caste dévoyée, pervertie et avilie. Reine des ombres, des tourments et des obséquieux. Le gamin à la peau pâle voulait effacer ce qui caractérisait son être propre, voulait oublier ses douleurs et ses afflictions. Voulait qu’elle soit sa marraine la bonne fée. Mais à la place, l’oisillon allait se retrouver avec l’engeance la plus diabolique qui soit. Aucune bonté, dans ce corps marqué d’une maigreur frappante. Incapable de charité ou d’abnégation. Rien que le mal et le chaos, à l’intérieur de cette coquille vide. « Quel est ton prix ? » L’orange sentait à quel point il avait besoin de son aide, de ses services. Antwan était fatigué. Terriblement lasse. Ne pouvait plus supporter cette souffrance physique qui pesait comme un fardeau insupportable sur ses frêles épaules. Ne pouvait plus supporter les gémissements languissants de son cœur calciné par de trop nombreuses déceptions. Et il avait besoin de l’oracle d’une noire déité afin de faire s’envoler tous ses soucis, ses tourments et démons. « Mon prix … Je ne suis pas certain que tu sois prêt à le payer, mon tout doux. Tu as peut-être entendu parler de moi, de ma … réputation. Mais toutes les légendes sont en-deçà de la vérité. Tu viens me quémander de l’aide et je suis bien trop généreuse pour te la refuser. » Quelle prodigieuse ironie. Quelle insipide cruauté. Quelle créature détestable. Véritable engeance du démon qu’elle était, la terrifiante Mormont. Prête à tout pour un peu d’or. Pour de la compagnie. Ou simplement pour exacerber les pires côtés de sa personnalité. La torture était son spectacle favori. La cruauté, sa passion favorite. La méchanceté, l’art dans lequel elle était passée maîtresse. « Je veux ton âme, Antwan. Rien de moins. Et c’est un prix bien faible pour retrouver la liberté et la tranquillité, tu ne crois pas ? »

« Mon âme ? J’ai bien peur qu’elle ne vaille pas grand-chose, elle n’a guère d’intérêt dans tes dessins… Mais la douleur est si pugnace que je puis te la céder aisément si tel est ton prix. » L’inhumaine se pourléchait les babines, face à l’acceptation immédiate du jeune Belikov. Ses doigts invisibles étreignaient son âme autrefois chatoyante mais désormais entachée d’ombres, comme cornée par les trop nombreux tourments et déceptions qu’il avait connus. Et l’orange ne l’en trouvait que plus attirant, ainsi abîmé. L’enfant des cieux entrait ainsi beaucoup plus dans ses critères vicieux et dévoyés. L’enfant chétif, aussi blessé à l’intérieur qu’à l’extérieur, retenait son attention mortifère. Malheureusement pour lui. Intéresser la démone en chef d’Aksana n’était jamais bon pour personne. Surtout pas pour ceux qui désiraient marchander avec elle. Car sa magie démoniaque requerrait toujours un prix bien trop élevé. Et l’adorable Belikov allait bientôt le découvrir. A ses risques et périls. Frayer avec le côté sombre était toujours attirant mais pourtant, ô combien dangereux. Surtout lorsque la prêtresse des esprits entrait dans l’équation, toute inhumaine qu’elle était, incapable de faire le bien. Ne semant que chaos et destruction dans son sillage. « Puisque tu es capable de voir ces secrets qui me hantent et la pénibilité qu’ils suscitent chez moi, j’aimerais que tu retires les plus retors d’entre eux. Il y a la jambe certes et puis il a l’autre, celui qui me hante. Ne m’oblige pas à dire son nom, tu le trouveras aisément dans ma tête. Amuse-toi de ces instants volés, transforme-les, enlève ceux qui me sont le plus amers. Mais ne retire pas tout, ils sont aussi ma force. » Elle acquiesça, jubilant déjà de l’orgasme psychique qui allait déferler en elle, lorsqu’elle pénétrerait brutalement dans l’esprit du jeune homme. Qu’elle s’infiltrerait dans les moindres recoins de son âme, jusqu’à prendre possession de lui. Devenir autre, le temps de quelques instants perdus hors du temps. Jouissance absolue de se sentir toute puissante, invincible. De pouvoir jouer avec autrui, de pouvoir insinuer ses moindres désirs dans un corps qui n’était pas le sien. Propager la malédiction et la méchanceté qui était la sienne. Sentir l’âme d’Antwan se mouvoir sur son passage, mêler leurs esprits durant des secondes trop rapidement écoulées. Et combler ainsi ce vide béant qui sommeillait perpétuellement en elle, prêt à l’avaler si elle n’usait pas de ses dons d’orange pour se rappeler qu’elle existait à part entière. Cet éternel besoin brûlant de sentir les mains des autres sur son corps et leurs pensées les plus secrètes dans sa tête. L’impression de vivre réellement en tant qu’être humain et non plus seulement en tant qu’engeance du Malin, incapable de ressentir autre chose que le besoin viscéral de faire du mal à tout ceux qui l’entouraient. « Fais ce que tu as à faire et tu auras l’âme réclamée. Vite. » L’urgence était clairement perceptible dans la voix cristalline du malheureux. Il avait besoin d’aide, voulait oublier, devenir autre et laisser derrière lui les nombreux tourments qui mettaient à mal son existence précaire. Le Belikov voulait débuter une nouvelle vie, délestée de tous ses poids d’antan. Ces poids qui lui étaient devenus trop difficile à porter. Elle comprenait tout cela, la Mormont. Et bien plus encore puisque, dès le début de cette rencontre inattendue, elle avait laissé les pans imperceptibles de son esprit entourer celui d’Antwan. Comme une barrière aux allures protectrices, visant à le protéger du reste du monde. Mais ô combien les apparences pouvaient parfois se montrer trompeuses. « Mon pauvre amour … Quelle douleur pour un si petit homme. Je vais endormir tout cela et alors, l’indifférence succèdera aux démons qui t’assaillent de toutes parts. Ne t’en fais pas, je vais prendre soin de toi. Et garder ton âme parce que, contrairement à ce que tu peux penser, elle est très précieuse. » La terrible s’approcha de l’oisillon, laissant ses ongles effleurer l’épaule du jeune homme. Caresse presque maternelle. Tendre. Incroyable comme Feyre pouvait se montrer presque bienveillante envers ceux qu’elle était sur le point de détruire. Paradoxe qu’elle était. Ses lèvres ornées d’une couleur exagérément voyante se posèrent brutalement sur celles, plus claires, du Belikov. Contact physique concluant l’apothéose de la jonction de leurs âmes. Alors, elle devint Antwan, l’espace de quelques instants. S’appropria les moindres recoins de son esprit, le contrôle de son corps et de son cœur. A mesure que le baiser devenait plus langoureux, ses griffes invisibles s’enfonçaient avec délice dans l’âme de l’enfant de l’air. Habilement, comme la chirurgienne des esprits qu’elle était, elle effaça la pénibilité autant qu’elle le pût.  Gomma quelque peu le souvenir de cet autre qu’il ne voulait pas nommer. La Mormont supprima la douleur et la peine, sans pour autant lui faire oublier ce qui avait causé tout cela. Une fois le travail accompli, la démone recula, avant de poser un regard satisfait sur le minois d’Antwan. « Et bien, mon ange, j’espère que tu es satisfait de mon travail. »