prénom, nom ‹ Voilure de simplicité hissée sur les mâts labiles que sont les malheureuses langues l’évoquant, Hans est un quatrain de syllabes qu’on retient pour être la sombre icône d’une malédiction soufflée par vagues et marées de récits. Mais le vieux loup de mer a ce cœur tenace qu’ont tous les Wolffhart et se garde bien de satisfaire son malheur en vaines jérémiades ; si le sel du fatum s’échine à le corroder, il reste un océan de pleurs que rien ne saurait plus troubler. âge ‹ Une soixantaine qu’il accueille avec la sérénité d’un sage. C’est qu’il est surpris d’être encore en vie, le damné, et c’est, non sans une certaine crânerie, qu’il toise la Mort comme on lorgne une ennemie d’antan envers qui la nostalgie point au crépuscule de la bataille. date et lieu de naissance ‹ Il s’est foulé le cou sur les planches noueuses d’un coquiller arrosé par une tempête de l'an 2104. C’était il y a si longtemps qu’il faudrait creuser le sable de sa carne pour deviner les humbles origines de sa venue. Une seule entité se remémore encore la couleur que prirent ses yeux en découvrant ce monde torrentiel et iodé ; celle-ci même qui fendit ses flots pour imbiber les orbes béats du bambin de son sang cérulé. statut matrimonial ‹ De grâce. C’est là toute l'élégie que vous murmurera son douloureux myocarde. Ne lui dites pas qu’il est veuf et que, par deux fois, on lui ravit ses épouses, il ne vous croirait pas. Zeynour escorte ses nuits, elle s’assoit auprès de lui et sourit de bienveillance, et Dehlia, sa belle et unique Dehlia, chante pour lui ses mélopées de sirène engloutie dès que son regard frôle la baille. Des fantasmagories aimées plus que tout autre être de chair. sang ‹ N’en déplaise aux proclamations de ces divins Hommes, il est fait du même alliage que le peuple, un cuivre usé, trivial, frappé par le ressac sauvage qu’est la vraie substance d’un aguarinuien. S’il est vrai qu’autrefois le patriarche répondait aux mœurs bourgeoises que sa classe sociale exigeait de lui, il n’est à présent plus enchaîné à la matérialité prosaïque fédérant les troupiers du panache. Aussi est-ce sans commune mesure qu’il dénigre les saphirs récemment ajustés à sa lignée, autant de joyaux et de glorioles périssables dont pourraient témoigner feu les favoris d’Aguarinui aujourd’hui déchus aussi vite et simplement qu’on se torche le cul.  métier ‹ C’est en qualité de Grand Ingénieur qu’il a vingt-cinq années auparavant servi la régence d’Azurite. Plus qu’un titre, c’était là un engagement personnel ; celui d’épauler les armées guerroyant pour le salut de sa nation. Architecte du chaos s’ignorant copieusement — car loin des belligérances et massacres — il a, plus d’une fois, donné naissance à des armes et navires redoutables. De funestes œuvres qu’il a répudiées à la fin de la guerre pour se tourner exclusivement vers son entreprise de pêche… mais qui ont eu tôt fait de le rattraper, mordant leur créateur au mollet comme une horde de chiens fous alléchés par l’odeur des cruors versés au nom de la Résistance. Il n’est dorénavant plus rien, si ce n’est un traitre, un fugitif levant son majeur aux bobines qui convoitent là son génie, là sa féalité. maître de ‹ Otis, un ostrogoth de prime abord bourru mais particulièrement tolérant envers l’antipathique caractère du Wolffhart, si bien qu’après de longues années à se jauger, une amitié sincère portée par la curiosité de l’adiutor et la pédagogie spontanée de Hans a finalement germé. Libre-penseur d’ores et déjà dérangé par la servilité de l’esprit — quel qu’il soit, le maître a affranchi son quidam aux lendemains du virus, souscrivant sans réserve à la soif de liberté de ce dernier. Otis vogue maintenant dans les eaux du sud où il brigande en compagnie d’autres flibustiers — un train de vie que ne cautionne pas ouvertement le sieur pacifiste mais qui, chemin faisant, commence à repaître certains de ses desseins. élément ou don ‹ Il est l’onde qui panse. Cruel est l’aléa pour celui qui aurait vendu son âme au monstre du destin pour arracher ses femmes des griffes de Pestilence. allégeance ‹ Ni maîtres ni dieux, puisque tous sont fantoches, arlequins et guignols aux pantomimes prévisibles. Après une éternité de latence, noyé par l’abîme de sa neurasthénie, Hans refait surface et contemple l’horizon où les ambitions morfales crapahutent, en se demandant ce qu’il adviendrait de pire si l’on bâillonnait les couronnes et les légions pour rendre aux peuples leur libre-arbitre. Des et si se forment, se structurent, s’amoncèlent, séduisent le misanthrope qui cède des miettes de son exil aux rencontres qu’il fait sous les toits des tavernes, sur les routes côtières, ou dans les chaumières qui l’accueillent lorsque tonne l’orage. compétences ‹ vigilance, survie, charisme. localisation actuelle ‹ Une goélette à deux mâts qui mouille près des côtes de Hsratar. Ses habilités nautiques lui permettent de déplacer son navire sur plusieurs nœuds malgré l’absence patente d’équipage et ce même si la maîtrise de son élément est encore sujette à quelques caprices, mais il fait montre d’une prudence zélée dès que l’empyrée s’obscurcit ; alors, et seulement alors, il daigne regagner la terre, trouvant asile dans quelque cabane abandonnée ou phare inusité. groupe ‹ Dii facientes adiuvant (bénis). avatar et crédits ‹ Jeremy Irons, flotsam.

(I) Les sciences qui l’émeuvent sont plurielles. Celles dures ont bâti sa renommée dans l’armement, l’ingénierie navale et hydraulique, mais on oublie aussi l’Humaniste que ces vélins célèbres occultent. La littérature, plus encore si elle tend à un raisonnement philosophique, apaise la prestesse mathématique de son intellect qui aurait tôt fait, si pas régulièrement rappelé à l’ordre par ses lectures, de transformer le monde en des chiffres et calculs froids dénués d’âme. Dans les marges de ses travaux, quelques lignes d’un poème dulcifient parfois le propos méthodique des schémas dessinés, un peu de métaphysique pour soigner le trop-plein de nihilisme dont son génie déborde sans cesse.

(II) Il porte la misanthropie comme une cape de pèlerin et ne s’en dévêt qu’à de rares occasions — conséquence tout à fait paradoxale à ses considérations bienveillante et sa lutte contre l’inhumanité. Sa foi en l’Homme est certes éraflée mais c’est avant tout sa mauvaise fortune qui l’a rendu hostile à l’endroit d’autrui ; il est las de s’attacher aux hères pour que le trépas les emporte aussitôt. Midas déglingué qui détruit tout ce qu’il touche, Hans s’est construit un blindage de grogne qui fait de lui un vieux con ordinaire qu’on ne veut pas apprendre à connaître.

(III) Pieux à sa manière, il est un adepte respectueux de l’Ancienne Religion aux sources de laquelle il puise paix et réflexion. Abreuvé dès son enfance par les lallations mystiques des pêcheurs et leurs rituels discrets, il a très tôt développé une fascination pour ce culte qu’une obsession a fini d’exalter ; retrouver les créatures mythologiques disparues. C’est en voulant construire un bâtiment subaquatique capable d’explorer les plus profonds abysses que le jeune garçon a naguère plongé pieds joints dans la science et, s’il n’a jamais trouvé trace des légendaires tortues, il a néanmoins pu découvrir sa vocation. En guise de consolation, une amulette en bois sculptée par son père nage dans le fond de sa poche, talisman dont il caresse la carapace dès qu’au recueillement il s’abandonne.

(IV) De fait, où qu’il aille, quoi qu’il fasse, ses mécanismes le suivent, ses appareils le flanquent, de modestes inventions à des dispositifs vitaux comme celui installé à tribord pour dessaler l’eau de mer, en passant par d'ingénieux pièges aussi bien cachés sur sa goélette que dans les périmètres de ses points de chute. Véritable nuée de cliquetis et rouages, clappements et machinismes, avec laquelle il instrumentalise son savoir dorénavant bohème. Les morveux des villages de sardiniers près desquels il mouille de temps en temps s’amusent à trotter sur les falaises pour entendre les bruissements que les artifices du Magicien chuchotent dans les zéphyrs, se carapatant aussitôt que son gréement apparaît de peur qu’il les transforme, eux aussi ! en engin ensorcelé.

(V) Moins habile avec sa langue qu’il ne l’est avec une plume, il lui arrive encore de buter sur certains mots dès lors qu’une émotion forte, ou tout simplement la fatigue, poissent son palais. C’est qu’il est un ancien bègue à la rémission douteuse ; et son corps est trop étroit pour contenir le déluge de pensées dont il est le triste refuge. Triste, oui, frustré, même, comme une grande et belle caravelle transportant les secrets du Monde que l’on aurait amputée de ses voiles. Piètre orateur, donc, lorsque vient l’heure de s’exprimer face à ces foules si imprévisibles, si versatiles, en rien semblables à l’algèbre, l’algorithme, ou la géométrie disciplinée de ses plans.

(VI) Les distances physiques — et politiques — qui l’éloignent de ses enfants, ainsi que la pudeur sans pareille de ses sentiments, contraignent le vieil homme à coucher sur papier la tendresse qu’il leur porte. Elle se meut avec retenue mais est pleine de bonté et, quand elle devient, dans la flache d’un paragraphe, particulièrement farouche, ce n’est pas pour blesser, jamais. Hans est simplement trop vrai pour enfouir sa sincérité sous monts de contorsions sémantiques. Trop aimant, aussi, pour soumettre son fils et ses filles à ses opinions, goûts, valeurs ; leur épanouissement, aussi étrange et abstrus puisse-t-il être, est le seul avenir qu’il leur souhaite.  

(VII) Cinoque, c’est ainsi qu’on le dit. Sous ses dehors déjà peu amiables, d’étranges tocades flétrissent son crédit et inquiètent les bien-pensants. Hans cause peut-être peu, en présence des vivants, mais il est de suite plus loquace lorsque sa solitude vient le retrouver. Son interlocutrice la plus estimée s’étend à perte de vue et ronfle de plaisir sur les rivages agrestes mais, au contraire de ce que l’on pourrait croire, ça n’est pas à la mer qu’il s’adresse tout à fait. C’est au trésor qu’elle protège, sa première épouse, qu’il voue ses affectueuses phonations, un mensonge ou un déni qu’il chérit avec folie. Sans ce doux simulacre, l’époux ne pourrait vivre ; puisque c’est de sa faute, il en est intimement convaincu, si Dehlia n’a pas pu triompher des affres l’habitant, si Dehlia a succombé, si Dehlia s’est tuée en jetant ses espoirs dans l’encre noire de l’océan.

(VIII) L’acquisition d’un adiutor n’a été faite que pour deux raisons. La première était explicitement claire et n’attendait du subalterne que ce pour quoi on l’avait formé, protéger son maître. La seconde et non des moindres voulait répondre à la curiosité insatiable du scientifique pour qui ce lien intrinsèque entre deux êtres fascinait la logique cartésienne. Las, Otis, frappé par la malchance de son sire, n’a que trop mal réussi à abriter Hans des dangers dressés devant eux — tant et si bien que c’est à Jeremiah, l’adiutor d’Hedda, qu’a été confiée la périlleuse mission de sauver le poissard. Le prodigieux arcane qu'est la symbiose maître / adiutor n’a pas, non plus, été percé, et, à ce jour, l’étude du Wolffhart a piètrement avancé. Au contraire de la confiance mutuelle que les deux camarades se portent désormais.

(IX) Ils trouent sa face, contagionnent les torrents de ses rides, et abandonnent dans son sillage l’effluence troublante qu’est le tabac froid. Ces cigarillos qu’il suçote comme des friandises ont aggravé le caractère de sa voix qui racle les esgourdes de ronrons incisifs ; jamais le majestueux briscard n’apparaît-il sans une tige accrochée au bec. Même pauvre, sans le sou, il préférera toujours à un bon repas chaud le vertige consolateur de ses clous de cercueil.

(X) Yeux noirs. Billes d’araignée. Ses binocles fumés préservent ce regard si souvent cloîtré dans l’ombre et devenu photosensible, deux verres obscurs montés sur une armature d’acier derrière lesquels il observe, en toute impunité, le monde et sa faune. En l’absence de toute protection, d’intenses migraines le saisissent et le clouent quelques heures après l’exposition intensive. Un inconfort singulier qui a développé chez le Wolffhart une marotte non moins étrange ; s’acoquiner avec la sorgue, sortir dès que la lune est haute et que ses rais, eux onctueux, éclairent sa marche. Et quand bien même l’astre ne lui serait-il pas amical, c’est aidé d’une lanterne qu’il guide ses pas à travers la nuit, sorte de créature folklorique qui hante les campagnes d’Aksana.