Peut-être tout ceci était-il imperceptible ? Peut-être qu'il fallait savoir y voir, pour y comprendre quoi que ce soit. Peut-être qu'il fallait déjà suffisamment la connaître, au préalable, pour un tant soit peu pouvoir déceler les changements qui étaient survenus en elle. Mais peut-être que la réponse était ailleurs, et bien plus simple. Peut-être que, dans le fond, la majorité des gens se fichait bien de savoir ce qui pouvait bien s'être transformé en elle, tant qu'elle assurait bien les missions qui lui échouaient, et tant qu'elle remplissait bien ses obligations. C'était sans doute un peu abrupte, un peu cruel, mais cela ne pousserait absolument pas Cedraella à s'en offusquer ou à s'en désoler. Elle était issue de la Lignée des K'han, après tout. On lui avait appris très tôt qu'il existait en cette existence nombres de rudesses, qu'il fallait s'y faire, s'y appuyer pour mieux pouvoir rebondir, s'en faire une force pour prendre l'assaillant à contre-pied. Et puis, en toute honnêteté, elle ne vivait pas pour les autres. Elle vivait pour faire honneur aux siens, honneur à son patronyme, à sa lignée. Et, aujourd'hui, pour faire honneur à son roi, ou plutôt à ses monarques.

Mais il n'en demeurait pas moins que, parfois, il lui arrivait de poser l'armure sur le côté, de s'en défaire, de s'en détacher. Car en dépit de tous les titres qu'elle arborait, de toutes les missions qui étaient siennes, elle était également une jeune femme de 25 ans, en passe de fêter un 26e anniversaire qu'elle redoutait. L'échéance se rapprochait, et ... Et elle ne parlait à personne de tout ce qui pouvait bien lui peser. Les gens comprendraient, sans doute. Ou plutôt ils croiraient comprendre. Ils compatiraient, là où Cedraella ne voulait pas du tout devenir un objet d'apitoiement. Alors, en des instants comme ceux-ci, elle s'isolait. Par orgueil autant que par honneur. Le devoir avant tout, n'est-ce pas ? De toute façon, les jardins du Palais étaient assez vastes pour pouvoir y trouver quelque recoin quelque peu dissimulé des regards, en particulier quand le soleil laissait place à la nuit, et que le ciel se marbrait de ces fameuses lueurs enflammées, empourprées, écarlates. Alors, elle se dirigeait sans vrai but précis, plutôt occupée à rebander sa main droite qu'à regarder droit devant elle. Quand on avait comme elle pour métier de se battre, et d'assurer la défense et l'attaque au nom du Roi, les entrainements étaient quotidiens. Ce qui signifiait qu'il fallait apprendre à prendre soin des quelques blessures que l'on avait pu récoler à mesure des années, quand elles étaient mises à l'épreuve par ces efforts hebdomadaires. De toute façon, les environs étaient silencieuses, aucun risque qu'elle ne se fasse surprendre, n'est-ce pas ? A moins qu'elle ne surprenne quelqu'un, et quand elle s'en rendit compte ... Et bien il était trop tard. « Isaak ! » Écarquillant un instant les yeux, elle se stoppa net, et dans son avancée, et dans son rebandage, avant de reprendre quelque contenance. « Mon Prince ... » Il l'évitait, depuis l'annonce de leurs fiançailles, n'est-ce pas ? A moins que ce ne soit plutôt elle. Ou alors, ils s'y étaient mis à deux, sans même se concerter. Quoi qu'il en était, cela ne changeait absolument rien à la situation !