million reasons
You're giving me a million reasons to let you go
You're giving me a million reasons to quit the show

Les émeutes sont loin derrière elles, mais elle sent comme quelque chose qui grouille sous sa peau alors qu’elle parcourt le grand boulevard qui mène jusqu’au chateau des Valaeris. La route n’est pas longue du palais à son hôtel particulier, mais elle ne peut s’empêcher de jeter des regards inquiets autour d’elle, alors que dans son cerveau souffle une voix perfide qui lui rappelle en boucle les événements passés. Autant dire qu’elle ne s’en est pas remise. Et elle a l’amer soupçon qu’elle ne s’en remettra jamais vraiment de leurs corps agressifs autour d’elle. Mais après une semaine allitée, jouant à la morte, puis quelques semaines à sortir toujours accompagnée, et le mariage de son frère, elle a besoin de se dire qu’elle est guérie. Qu’elle est capable. Alors elle fait fi de son instinct de survie qui s’est réveillé, pour avancer un pied devant l’autre vers la haute batisse qui est sûrement l’endroit le plus sûr de la nation de toute façon. Que pourrait-il lui arriver là-dedans ? Mais c’est dans cette rue où elle a vu le sang coulé que sa gorge se sert. Et ce sera pour elle comme une petite victoire, terrible parce que c’est aussi une défaite en quelque sorte, que de réussir à faire le chemin seule sans se retourner. Elle finit par pencher la tête, par relever la capuche sur son visage, se cachant à demi des passants, dans le vain espoir qu’on ne la reconnaisse pas. Les images qui l’obsèdent la nuit se superposent à la réalité, et elle tache de ne pas fixer cet arbre, ce coin de rue, ce trottoir, où elle a vu des choses. Et le temps de s’inquiéter de tout, c’est comme si elle était passée dans un tunel, la voilà devant les grandes portes qui s’ouvrent à sa silhouette familière. Elle est là sous prétexte de voir son frère, de le féliciter encore, de le voir dans ses nouvelles fonctions, de s’assurer qu’il s’y plait ou tout du moins qu’il s’y fait. Mais c’est surtout la vague de sécurité qu’elle recherche, ce doux sentiment qui lui échappe perpétuellement dans cette ville qu’elle connaît pourtant depuis toujours. L’insécurité est un sentiment nouveau pour elle, qu’elle déteste, qu’elle hait de toute son âme, parce qu’il vient lui dévorer les neurones, fait d’elle une chose tremblante. Mais elle ravale sa peur, elle lève le menton, et à part son teint plus livide que d’habitude, rien n’y paraît. Elle aime ce palais, pas autant que la citadelle de Dierinung qui a abrité son enfance, mais elle a passé suffisamment de temps ici pour l’aimer comme une seconde demeure. Il y a quelque chose de familier à monter ses escaliers, à traverser la cour, puis à monter d’autres escaliers pour se trouver sur la terrasse supérieure qui surplombe la ville en contrebas. On y voit au loin aujourd’hui, le ciel dénué de nuages. On y aperçoit les forêts et les lacs. On y respire. Et quand son regard enfin a arrêté de se perdre au loin, il se pose sur une silhouette à quelques pas, une silhouette connue. Ses cheveux blonds, ce corps fin et nerveux. Après la surprise, ce sont des milliers de souvenirs qui reviennent à sa mémoire de cette ancienne amie, qu’elle a cru perdre, qu’elle a perdu. Elle a entendu dire. Elle a cru comprendre que leurs allégeances respectives les éloignaient de manière irréversible. Mais forte d’un désespoir nouveau, comme un sursaut quand on touche le fond, elle va en avant d’elle, prête à la perdre, prête à la reconquérir. « Amara, c’est bien toi ? » Et alors qu’elle prononce ces mots, elle se retrouve à ses côtés et plus de doute. Ce sont bien ses traits. Sa jolie personne. Rayna esquisse un sourire. « Le hasard fait peut-être bien les choses. Tu es bien la dernière personne que j’aurais cru croiser ici. » Pour des raisons plus ou moins compromettantes, peut-être.