Les larmes qui avaient commencé à couler, à l'instant même où elle avait eu vent de cette funeste nouvelle, n'avaient pas encore tout à fait séché sur les joues fardées de Thyra Oshun quand elle quitta sa chambre. Elle n'eut que faire des regards que les gardes lui adressaient, eux qui était éparpillés un peu partout dans les couloirs du palais des flammes, alors que ses talons y claquent, et que sa fureur s'y répand. Elle n'aurait jamais osé s'aventurer à penser que la première décision de son cousin en tant qu'empereur se porterait sur un sujet tel que celui-ci. Elle n'arrivait pas même à comprendre comment il pouvait se résoudre à ordonner une chose pareille. Thyra, et le palais tout entier, savaient désormais quelle était la véritable nature de sa relation avec l'ambassadeur de la Terre, et le fait qu'il puisse même être chatouillé par l'idée de l’exécuter échappait tout bonnement à la jeune princesse. Elle ne le croyait tout simplement pas. Les larmes sont celles de sa colère, mais aussi un avant-goût de la tristesse qui la gagnerait quand la sentence tomberait. Si la sentence tombait, se disait-elle. Car elle comptait bien convaincre Cal de revenir sur ses positions, et ce, par tous les moyens.

Elle le cherche partout où elle pense pouvoir le trouver. Toque à toutes les portes. Crie son nom pour qu'il lui ouvre. Passe à la porte suivante. Elle ne sait pendant combien de temps elle ère ainsi dans le palais qui l'a vue grandir, à la recherche de ce cousin qu'elle aimait tant, et qu'elle espérait pouvoir reconnaître. Elle était effrayée à l'idée que la couronne qui pesait désormais sur sa royale tête ne lui fasse pas oublier les valeurs qui le rendait si précieux aux yeux de Thyra. Elle finit par perdre patience, et après une énième pièce où le nouvel empereur ne se trouvait pas, c'est en un geste vif et sec qu'elle se retourne vers un garde, plantant ses yeux de glace, trempés par les larmes dans le sien. Où est-il ? Il saurait de qui elle parlait, pour l'avoir entendu hurler le nom de Cal juste devant lui. Il se redresse, se tient plus droit, comme si l'étiquette s'appliquait plus quand elle lui parlait que quand elle se contentait de le regarder. Sa... Sa Majesté est occupée, votre Altesse. Il est réuni avec le Conseil... Elle ne le laisse même pas finir, reprend immédiatement sa marche effrénée, sachant désormais parfaitement où se rendre. Elle n'a que faire du pouvoir, mais elle sait où le pouvoir s’exerce, elle qui vit en son sein. Elle entend le garde la suivre, essayant de copier son rythme, faisant tinter son armure, essayant de la retenir – mais la belle n'à que faire de ses protestations. Elle s'en fichait. Elle se fichait de tout. Elle ne pensait qu'à la vie d'adonis, long fil que son cousin allait couper sans le moindre remords. Elle arrive enfin devant les portes de la salle des éléments, qu'elle pousse de ses deux mains, plus théâtrale que jamais. Les regards des conseillers se tournent vers elle, les voix se taisent. Elle se contente de regarder Cal, droit dans les yeux, lui qui trônent au bout de la longue table. Elle ne lui dit rien. Pas encore. Le garde passe devant elle, affolé, le souffle court. Toutes mes excuses, votre Majesté... J'ai essayé de dissuader son Altesse de vous déranger, je le jure, Votre Majesté, mais... Assez ! Taisez-vous ! La voix de Thyra est stridente, ricoche contre les murs de la grande pièce. Elle sait qu'elle dérange, et c'est tout à fait étrangement qu'elle s'en délecte. J'ai à parler à Sa Majesté. Immédiatement.

Des semaines qu'il retardait l'échéance, mais Cal ne pouvait plus attendre. On commençait à s'impatienter à la cour, à questionner ses motivations et son impartialité. Il avait proposé d'échanger la vie d'Adonis contre la couronne de Thomas Griffith, mais ce dernier avait refusé, sans surprise. L'empereur s'en doutait, il n'avait fait ça que pour gagner du temps. Un temps précieux, qui touchait à sa fin désormais. Il avait pris sa décision ce matin même. Son ancien amant allait être exécuté dans quelques jours, ici-même, à Launondie. Un exemple pour tous, de ce qui était fait à ceux qui défiaient l'autorité de l'Empire. Il regrettait cependant que cet exemple doive être porté par le brun. Car même s'il s'efforçait de ne pas le montrer, de le cacher à tout le monde, ses sentiments étaient bels et bien présents. Et rien ne semblait pouvoir les faire s'effacer, pas même le temps, pas même la distance. Imaginer son amant dans sa cellule, dans les sous-sol du palais, le gardait parfois éveillé la nuit. Il l'imaginait, probablement éveillé lui-aussi. Et il devait combattre le besoin urgent de le rejoindre pour l'enlacer une fois de plus. Il désespérait de revoir ce visage qui le hantait, qu'il s'attendait toujours à voir au détour d'un couloir. Le mercredi était devenu le jour qu'il haïssait le plus désormais. L'unique façon de sortir Adonis de ses pensées était de tenir son esprit occupé. Et ces derniers temps, c'était devenue chose aisée, avec la guerre qui prenait de l'ampleur, les décisions politiques qui s'enchaînaient, laissant toujours un goût un peu plus amer dans la bouche de Cal. Mais aujourd'hui, même son entrevue avec le Conseil ne réussissait pas à lui faire oublier le sort du brun, car il était au cœur des discussions. Il avait cessé d'accorder de l'importance au ton particulier qu'ils utilisaient lorsque le nom du Griffith apparaissait dans la discussion, tout comme les regards qu'on lui lançait à la dérobée. Il ne relevait plus, à quoi bon. L'ignorance était la meilleure défense pour leur faire croire à tous que le prince d'Eartenara n'avait aucune importance à ses yeux. On discutait de l'armée, aujourd'hui, et des frontières communes avec Eartenara qui se devaient d'être protégées. On parlait du climat actuel, tendu, des décisions qui avaient été prises dernièrement, et de la façon dont elle avait été acceptées par le peuple. Des sujets sérieux, qui méritaient toute l'attention de l'empereur, jusqu'à ce que les portes de la salle des éléments ne s'ouvrent brusquement. Thyra se tenait dans l'encadrement de la porte, son regard de feu braqué sur la silhouette de son cousin. Il soutient son regard, une expression blasée sur le visage. Un garde sur ses talons, qui se confondait en excuses. La blonde le coupa rapidement, sa voix résonnant contre les murs de la salle. Cal se contenta de lever une main pour faire taire les deux intrus. « Thyra, je te prie de montrer du respect au Conseil. » Son regard ne quittait pas le visage de poupée de sa cousine. « Sors, je te recevrai lorsque nous aurons fini. » Il n'accorda ni un mot, ni un regard au garde incompétent qui n'était même pas capable de retenir sa cousine. La jeune femme s'exécuta après quelques secondes, et les discussions reprirent doucement. Fort heureusement, ils touchaient au bout de leur entrevue, et bientôt les membres du Conseil disposèrent, laissant Cal seul dans la salle, toujours assis au bout de la table, face à de nombreux papiers qui lui donnaient déjà mal au crâne. Son regard glissa à nouveau vers la porte alors que Thyra entrait à nouveau. Il secoua doucement la tête. « Arrête moi si je me trompe, mais je ne pense pas que tu aies été promue impératrice pendant la nuit. » Il ne prit pas la peine de se lever. Son regard était fixé sur la silhouette de la princesse. « Alors la prochaine fois, contente toi d'attendre dehors. » Il n'était pas d'humeur, Cal. Il appréciait énormément Thyra, mais les derniers événements avaient laissé son âme à vif. Sa patience avait atteint ses limites. Il n'en voulait pas à la jeune femme, mais l'agacement qu'il pouvait ressentir vis à vis de tout ce qui se passait dans sa vie ces derniers temps transparaissait à travers son comportement, à travers chaque parole qui franchissait la barrière de ses lèvres.

Très vite, la colère qui rageait dans tout le corps de Thyra s'atténue, bien que toujours bien présente. L'expression de son cousin, qui reste de marbre alors qu'elle interrompait les discussions importantes du Conseil, la dissuada d'insister. Elle ne peut cependant pas s'empêcher de lever les yeux au ciel à l'entente de son ton poser, et de cet ordre idiot qu'il lui balance. Montrer du respect au Conseil. A ces abrutis qui avaient réussi à convaincre Cal de donner lieu à des monstruosités telles que celles qu'il avait ordonnées. Elle décide pourtant de ne pas proteste. Elle soutient le regard de l'empereur encore quelques dixièmes secondes, avant de faire passer le sien sur le reste de l'assemblée, et de tourner les talons et de laisser le garde fermer les portes derrière lui. Le garde était toujours là, immobile. Il a l'air de vouloir parler, mais incapable de prononcer le moindre moi. Allez vous-en. Elle le chasse d'un geste de la main, et il s'exécute, sans avoir oublié de s'incliner en la présence de la princesse. Elle s'adosse contre un mur, croise les bras, lâche un long soupir et attends de voir les membres du Conseil quitter la salle.

Ils défilent tous devant elle quand ils sortent un par un, et il ne lui adresse pas un seul regard. Ils devraient tous s'incliner, au même titre qu'ils s'inclinaient devant les autres. Mais elle n'est rien, ici, Thyra. Rien qu'une autre tête sans couronne mais au sang bleu. Quand elle est assurée que tous sont partis, elle fait de nouveau claquer ses talons sur le sol du couloir, puis de la Salle des Eléments dans laquelle elle n'avait jamais réellement mis les pieds. Elle ne dit rien, bizarrement, elle qui parlait tout le temps. La colère était toujours là. Elle n'arrivait tout bonnement pas à y croire. Cette fois, elle s'empêche de lever les yeux au ciel, préfère être prudente. Non. En effet. Elle n'était pas impératrice. Elle était si loin dans la ligne de succession. Mais elle n'en avait plus rien à faire de leur statut, de leur sang, de cette fichue hiérarchie en laquelle elle n'avait jamais réellement cru. Elle ne voulait pas parler à l'empereur, ce soir. Elle voulait parler à Cal. Je n'ai pas la moindre envie d'attendre que tu demandes l’exécution de quelqu'un d'autre. Ni le temps, d'ailleurs. Elle s'approche de la table où il était assis, les yeux toujours rivés sur lui. Plus elle s'approche, plus elle se demande ce qui lui avait pris. Plus elle avance, moins elle le reconnaît. Elle sent les larmes qui reviennent, et elle fait ce qu'elle peut pour ne pas les laisser franchir la barrière de ses cils. Elle s'arrête alors que quelques pas la séparait encore de la table du fond de la salle, et attends quelques instants pour parler à nouveau. Elle n'irait pas par chaque chemin. Laisse Adonis en vie.