Elle glisse se mêle à la foule, petite princesse perdue au milieu de sang-mêlés, de bronzes et d’humains. Qui pourraient se douter que derrière ses vêtements sales se cache la princesse Yinren. Qui pourrait croire qu’elle est là, parmi eux. Personne. Personne ne pense à regarder devant eux. Et elle, dans sa naïveté ne voit même pas la cible de choix qu’elle peut être pour ceux désirant nuire à sa famille. elle ne voit pas qu’elle pourrait être attaquée, enlevée si facilement. Non, parce qu’elle est discrète, parce qu’on ne peut pas la reconnaitre, parce qu’elle est juste une inconnue au milieu d’autres. Pourtant, ils sont nombreux dans ce territoire à connaitre son visage, ils sont nombreux à l’avoir croisée à l’Académie. Mais elle n’y pense pas. Elle pense à sa nouvelle vie. Celle où elle peut être là, au milieu de cette foule à regarder la scène de ce petit bar où se succèdent des chanteurs. Jamais elle n’avait vu une telle chose auparavant. Une telle simplicité. Ici, les gens cherchaient juste à faire passer un message, leurs émotions. Ici, ils donnaient de la joie à la foule, ils ne cherchaient pas à se faire remarquer dans le but de s’élever par la suite. Ils n’étaient pas là pour se servir de la renommée de la famille face à laquelle ils se trouvaient pour s’en servir. Non. Ils étaient là parce qu’ils aimaient chanter. Parce qu’ils aimaient avoir du public face à eux. Et étrangement, c’était plus beau. Beaucoup plus beau alors que leur niveau était certainement de loin inférieur à ceux qu’elle avait pu entendre au palais des Yinren. Bien que c’était peut-être qu’ils n’avaient pas encore été repérés par ceux-ci ou qu’ils ne s’étaient pas fait mousser.

La foule acclame celui qui quitte la scène pour laisser la place à un nouvel arrivant. Et là, là, la gamine en fuite comprend que rien ne va être simple. Son regard croise quelques secondes celui de la blonde qui lui fait face. Quelques secondes qui lui paraissent une éternité alors qu’elle comprend qu’elle l’a reconnue elle aussi. Comment aurait-il pu en être autrement alors que se tient devant elle Indira Valaeris. Elle se fige, ne fait plus rien. Devrait-elle quitter cette pièce ? Non, c’était inutile. De toute façon, tant qu’elle était sur cette scène, la fille des régents du vent ne pourrait rien contre elle. Alors elle n’avait plus qu’à écouter. Tenter de profiter avant de s’éclipser à temps de façon à ce qu’elle ne la retrouve pas. Ce serait certainement trop tard. Elle savait où elle trainait désormais et elle serait libre de répandre la rumeur. Mais qu’elle assiste à ce spectacle ou pas n’y changerait rien désormais. Il était peut-être temps de fuir ce lieu. Elle n’arrive pas à profiter du show prodigué par la blonde. D’ailleurs, que faisait-elle là ? Que faisait une fille d’une des familles les plus puissantes sur cette scène ? Mais c’est vrai qu’elle se débrouillait bien, très bien même. Elle n’avait pas raté sa carrière. Et son cœur se serre, son cœur de danseuse en devenir, cette voie qu’on ne lui avait pas laissé choisir. Cette voie qui s’était fermée devant elle alors que ses parents avaient fait le choix qu’elle deviendrait scientifique, sans même lui demander son avis. Une belle réussite, il fallait l’avouer. Les dernières notes s’estompent dans l’air et les applaudissements retentissent. Il est temps de partir. Il est temps de retourner retrouver son demi-frère. De retourner dans sa cachette avant que la blonde ne la rattrape et ne la fasse parler. Le ferait-elle ? Après tout, elles ne se connaissaient pas vraiment mais jamais elle n’avait été des ennemies.

« sing, dance but stay quiet. »

Tu l’aimes, cette sensation quand tu montes sur les planches d’une scène bancale, où tes pieds nus sont au contact du bois. Aujourd’hui tu ne vas pas danser, mais chanter pour ces poivrots, pour ces enfants et ces parents. Tu vas étaler ta voix et tes histoires sur les murs de ce petit bar. Avant de monter tu avais bu un verre, secret d’artiste flirtant avec la débauche. Le musicien qui passait avant toi s’en va et tu arrive comme une fleur sur la scénette. Le sourire radieux et la révérence exagérée, pleine d’humour et de moquerie envers cette étiquette. Tu ne sais pas s’ils comprennent, ou alors c’est inconscient. Tu attrapes ton ukulélé, seule au milieu des regards. Puis, tu commences à chanter et taquiner les cordes de l’instrument. Il en faut peu pour tirer la joie du publique, ton regard se perd dans quelques un des spectateurs. Mais l’un t’accroche bien plus que les autres. Sous le déguisement d’une fille du peuple, tu la reconnais la princesse. Elle sait que tu l’as vu, ça se voyait dans tes yeux que tu l’avais reconnue. Mais tu continues de chanter. Fin du couplet, dernières notes de ukulélé, tu te lèves et finit en révérence. Un dernier sourire, un « merci » du bout des lèvres, alors que le musicien suivant s’approche pour prendre ta place. Tu descends de la marche pour atterrir, non pas dans l’arrière du bar où se cache les autres artistes, mais directement dans le publique.

Ils n’était pas bien nombreux dans la salle. Ça ne t’avais pas empêché de passer un bon moment, excepté qu’il y a cette curiosité qui te pique depuis le milieu d’une chanson. Tu vas droit vers le bar, commandes deux verres de blanc. Une fois les liqueurs en mains, tu te diriges vers Somi qui n’avait pas bougé. Il fallait que vous parliez de sa présence ici, il fallait que tu saches si oui ou non, tu allais jouer la carte de la délation. « Bonjour Somi » si tu ne l’avais jamais vraiment appelé par son prénom autrefois, il fallait se faire discret ici. Alors c’est ainsi que tu allais l’appeler. Tu lui tends le verre, « offert par la maison ». Tu as un air trop malicieux pour qu’il paraisse purement amical. C’est étrange que tu n’arrives pas à le cacher. « Alors, je suppose qu’il faut qu’on parle de quelque chose n’est-ce pas ? » la princesse disparue, dans un sens tu la comprends. Ce n’est pas pour rien que tu écumes les bars et le pays. Tu souhaites n’avoir de compte à rendre à personne. Tu lèves légèrement ton verre, puis en tire une minuscule gorgée.

Regards qui se captent, elles se reconnaissent les deux gamines. Et si l’une des deux reste impassible sur scène, le sang de l’autre se glace pendant quelques secondes. Parce qu’elle ne peut pas être reconnue. Elle ne peut pas rentrer chez elle. Elle ne le veut pas. Elle ferait tout pour ne pas rentrer dans la demeure Yinren et rester auprès de son demi-frère. La vie était beaucoup plus simple et belle à ses côtés. Il était un adiutor mais elle s’en moquait. Il était son sang et elle était prête à tout pour qu’il renie son autre famille pour elle. Elle devait être ce qu’il y avait de plus important dans sa vie. Ils partageaient un père. Ils partageaient leurs gênes et ils seraient liés à jamais. Elle est douée Indira, elle ne pouvait pas lui retirer ça. Elle semblait faite pour être sur les planches, même celle d’une taverne miteuse. Elle brillait sur scène avec son instrument. Elle était belle et forte. Elle savait ce qu’elle voulait. Et un instant, un instant, la fille du feu enviait l’air. L’air et sa liberté. Cette liberté de voler comme elle le désirait. Elle faisait ce qu’elle n’avait pas pu faire parce que le feu de la passion ne l’avait pas assez dévoré. Parce que le feu de son envie s’était calmé alors qu’on lui avait offert ce poste, alors qu’on lui avait dit que c’était ce qu’elle ferait. Et pourtant. Pourtant, elle aurait aimé danser. Elle aurait aimé être aussi sous les feux de la rampe. Elle aurait aimé voir la lueur de joie brillait dans les yeux d’un public alors qu’elle aurait dansé pour eux, quels qu’ils soient, juste pour les rendre heureux. Mais elle ne brillerait plus, cette lueur. Parce que sa vie était trop sombre, elle était trop tourmentait pour apporter de la joie par la danse. Ce serait la douleur qui transparaitrait si elle devait chausser ses pointes un jour. Cette douleur, cette terreur et cette horreur qu’elle avait vues. Celle qui l’accompagnait sans qu’elle ne puisse rien y faire. Celle qu’elle gardait pour elle, dont elle ne parlait jamais, pas même à celui qui l’accompagnait nuit et jour. Cette douleur à cause de laquelle elle s’était renfermée comme une huitre, ne souhaitant pas la montrer à l’extérieur.

Elle attend la fin de la chanson et elle quittera le lieu. Avant qu’elle finisse son spectacle, avant qu’elle n’ait l’occasion de la rattraper. Elle ne faisait pas confiance à la fille de l’air. Elles étaient trop volatiles, trop instables, soufflant le chaud puis le froid. Et elle n’aimait pas ça. Elle aimait ce qui était gravé dans le marbre. Elle aimait les choses fixes, les choses sur lesquelles on pouvait compter jour après jour. Il était comme ça, le griffith qu’elle pleurait encore. Elle était aussi comme ça, la Griffith. Mais les Valaeris, elle s’en méfiait. Ils étaient comme l’eau. Ils ondulaient en fonction des moments et des possibilités. « Bonjour Somi » Il y a cette voix qui la retient. Que faisait-elle là ? Pourquoi n’était-elle plus sur scène. La fugitive se retourne pour faire face à l’ennemie du jour. A celle dont elle se méfiait alors qu’elle ignorait tout de ses intentions. « Indira. » Salutations polies. Elle est heureuse de ne pas avoir entendu son nom prononcé. Elle n’était qu’une simple paysanne. Rien n’aurait pu montrer un seul instant qu’elle appartenait à cette famille qui régnait sur le feu depuis que les Oshun avaient pris le pouvoir. Pourtant, sa stature, son vocabulaire, rien ne collait avec l’image qu’elle voulait avoir. « offert par la maison. » Elle prend le verre tout en restant méfiante. Il y a cette lueur qui brille dans le regard de l’autre. Cette lueur dont elle ne sait quoi penser. Cette lueur qui pouvait être annonciatrice d’une tempête  à venir. « Alors, je suppose qu’il faut qu’on parle de quelque chose n’est-ce pas ? » Il y a ce verre qui se porte à ses lèvres. Elle boit quelques gorgées de la boisson. Certes ce vin n’avait rien à voir avec les délicieux nectars qu’elle pouvait boire lorsqu’elle était encore au palais, mais il était le bienvenue. « Tu as un réel talent, tes parents doivent être déçus de ne plus pouvoir en profiter. » Réponse à côté alors qu’elle tente d’orienter la conversation, de prendre le contrôle sur cette situation qu’elle n’a clairement pas. Il fallait qu’Indira comprenne où elle voulait en venir. Car il ne faisait jamais bon de s’opposer au feu qui brulait chez Somi Yinren, elle le savait mieux que quiconque.

« sing, dance but stay quiet. »

Ici, dans ce bar miteux comme dans a rue, tu étais chez toi. Autant que si tu étais dans la maison familiale à Aesterin. Ces lieux et ces coutumes du peuple, tu les avais assimilé et dompté. La petite princesse du feu devant toi, tu devinais qu’elle ne devait pas connaître grand-chose de l’ici-bas. Il y avait quelque chose de presque plaisant à savoir que tu pouvais la dénoncer sur un coup de tête. Il y a toujours quelque chose de plaisant à avoir plus de pouvoir que quelqu’un. Qu’est-ce qui t’empêcherait de hurler que Somi Yinren se trouve dans un bar en habit de souillon. Rien, tu pourrais même y être poussée par la rancune des années passé. Ta peur du feu n’est que trop violente et elle s’en est bien moquée. Des remarques désobligeantes, une enfant les retient. Toujours trop jeune pour faire une complète différence entre bien et mal, tu te complets dans l’apparence de la maturité quand tu tiens ce verre de blanc à la main. Sourire coquin qui se devine sur le coin des lèvres quand elle prononce ton prénom. Tu n’as pas peur et tu fonces dans les flammes d’une discussion qui s’annonce difficile. À peine entames-tu le sujet que déjà elle le contourne. Elle ne s’échappera pas si facilement la fille du feu. Elle est dans l’œil du cyclone, un faux pas et c’est la misère pour elle. Le feu de toutes les passion n’y pourrait rien.

Un rire fuit d’entre tes lippes. « Merci, ne t’en fais pas pour eux, ils en profitent bien assez lorsque je suis rentrée. » le ton employé est peut-être trop joyeux face à la sériosité que cache cette conversation. Mais tu es une spécialiste des faux semblants. « Mais, et toi alors ? Ne manques-tu pas à tes parents ? » tu reprends une gorgée du précieux vin, habitude mauvaise qui est de finir son verre bien trop vite. S’il en reste encore dans le verre, ce n’est que pour peu de temps. « Il me semble qu’ils te cherchent. » menace quasiment non dissimulé, tu sors les crocs et les griffes. Tu te pares du bouclier qu’elle t’a donné. Sa présence va animer ta soirée comme il faut, ton adiutor quelque part dans le bar doit t’attendre, et bien il t’attendra. Boulet non désiré auquel tu cherche à échapper à chaque fois qu’il cligne des yeux. Tu adresses encore ce sourire de démon à la Yinren, le défi dans le regard. Ce n’est pas parce que tu te sens d’humeur à rendre service aux régents du feu que tu insinues la possibilité de dénoncer Somi. C’est par simple amusement, petit diable au visage d’ange, tu n’attends rien de plus. À la fin de la soirée, tu décideras de son sort, mais le résultat sera sans doue positif pour elle. Tu ne gagneras rien à dire où elle se trouve.  

Elles se jaugent du regard les deux gamines. Et même si elle n’en montre rien, elle a peur Somi. Parce qu’elle sait qu’Indira peut lui prendre ce qui compte le plus pour elle et qu’elle risque de ne pas hésiter. Elle ne l’aime pas et elle le sait. Alors peut-être qu’elle tient sa revanche. Parce qu’en lui volant cette liberté si chère à son cœur, elle condamnerait la fille du feu à une lente mort au bras d’un homme dont elle ne veut pas. Elle l’envie, elle et sa liberté. Elle rêverait de pouvoir être libre de danser comme elle le fait. Elle en avait rêvé de cette vie. Pas dans un bar miteux certes, mais d’une vie d’artiste. Elle aimait la danse, elle en aimait toutes les formes et elle l’avait pratiquée souvent. Alors maintenant, elle aurait aimé pouvoir faire comme elle. Mais elle n’avait pas eu le choix qui avait été laissé à la Valaeris. Non, elle avait été nommée scientifique et elle ne s’était pas défilée face à son destin. Elle était le feu et le feu n’était pas le vent. Le vent restait libre quand le feu devait toujours être maitrisé. Le vent restait toujours libre quand le feu pouvait être maitrisé. Parfois avec difficulté mais il pouvait toujours être défait.

Alors elle attaque. Elle change de sujet, tourne autour du pot alors qu’elle sait très bien ce dont la blonde veut lui parler. Elle a beau avec son sourire et un visage de poupée, elle se méfie la Yinren. Parce qu’elle sait qu’elle peut mordre. Parce qu’elle sait qu’elle a eu l’avantage à l’instant où elle l’a reconnue. « Merci, ne t’en fais pas pour eux, ils en profitent bien assez lorsque je suis rentrée. » Sourire, ton gai. N’importe qui pourrait croire à deux amies qui se retrouvent. Pourtant, c’est une évidence que cette conversation n’a rien de cordial. La menace est belle et bien présente même si elle arbore un sourire angélique et qu’elle sirote doucement son verre de vin. « Mais, et toi alors ? Ne manques-tu pas à tes parents ? » Evidemment. Plus de possibilité de se défiler pour la fugitive. Elle était prise au piège de cette conversation dont elle ne voulait pas. Elle reste silencieuse, se contentant de prendre une gorgée de sa boisson, attendant la suite. Car elle va venir, elle n’en doute pas un seul instant. « Il me semble qu’ils te cherchent. » Il y a son regard qui s’assombrit quelques secondes à ces dernières paroles. Elle le sait qu’ils la cherchent. « Encore faudrait-il qu’ils sachent où chercher. » Simple constatation. Jamais ils ne leur viendraient l’idée que la poupée Yinren pouvait se cacher dans les bois, sous des vêtements crasseux et dans un village mêlée aux humains et mêlés. « Mais je pense qu’ils ont suffisamment à faire par ailleurs pour s’intéresser à moi. » Comme par exemple finaliser les fiançailles de son ainée, peut-être même commencer à penser au mariage entre Saeko et l’héritier de la couronne d’Askana. Elle était la fille qui pouvait disparaitre, elle était la cadette après tout.

Il y a le regard sombre qui se plante dans les yeux clairs. « N’espère pas une récompense de leur part, je sais de source sure qu’ils n’en ont pas promis. » Elle le saurait si c’était le cas. Parce que si c’était le cas, cela ferait bien longtemps qu’elle serait de retour au château. Mais il semblait évident qu’ils lui laissaient le temps de faire son petit caprice avant de la rappeler au château. Peut-être parce qu’ils pensaient qu’elle avait envie de revenir. Peut-être parce qu’ils n’avaient pas compris que ça n’avait rien d’un caprice d’enfant mais que pour la première fois, la gamine avait pris une décision d’adulte.