Au coeur de la vêprée, Anders descend lentement le chemin vers les vélums noircis, tendus à l’occasion d’un trouble effrayant. Dans la colonie, il plane l’empyreume suffocant d’une engeance alarmante. Et lorsqu’il atteint le plateau hospitalier (qui s’étalait comme un panorama angoissant du haut de sa propre guitoune) il parvient alors jusqu’aux tympans du chef de longs râles d’agonie, des soupirs éreintés, peinant à être exhalés. Une chaleur accablante transpire des abris, où des Mêlés, à l’intérieur de ces coquilles égrotantes, subissent lentement les sévices d’un germe inédit.
S’il appréciait habituellement le calme, ce silence morbide qui s’était établi ici déplaisait à Pollux. Mais pas autant que les murmures d’affliction qui se faisaient entendre aux quatre coins de la zone. Le prodome de cette propagation avait été d’abord synonyme de buffet festif ; là quand les Maîtres s’affaiblissaient, regagnait alors les bancs de l’armée une nouvelle voracité fiévreuse, prête à les débusquer et les dévorer. Mais l’exaltation, petite flamme fougueuse, fut terrassée par les vents des premiers malades du camp. Les corps meurtries avaient été réunis pour faciliter les rondes d’inspection, et, outre les Lambdas qui déambulaient entre les vélums, portant bras chargés des collations, des draps galeux et divers souillons, Anders ne croisa personne. Quelques pertes avaient déjà été déplorées et l’endroit revêtait de façon inquiétante l’aspect d’un ossuaire.
Mais devant l’angoisse et le tourment grandissant de ses recrues, Anders persévérait dans une accalmie singulière.

Car, au fond de lui, ce malheur lui avait permis d’extirper un vicieux avantage. Si les Mêlés se retrouvaient victime de cette immondice, un fait restait indéniable : les Maîtres, aussi, s’étiolaient et courbaient leur échine devant ce virus. Odieuse réflexion que de considérer cette infortune comme synonyme de dure félicité, mais là résidait la vérité.
Un joli ascendant leur avait été donné. Mais chaque chance implique des conséquences.

Finalement, après des minutes qui lui parurent des heures, ses pas s’arrêtent devant une tente, de laquelle luisait une faible lumière. Une silhouette écarta les pans de toile pour se révéler et Anders, le regard interrogateur, ne reçut comme piètre réponse qu’un léger hochement de tête, signal d’une terrible négation. Sa main se pose sur l’épaule de la Lambda qui se retire, et il pénètre enfin dans le seul cocon malade qu’il visitera ce soir.
L'intérieur est spartiate. Des draps pliés sont disposés sur une table de fer, juste à côté de bouteille d'eau distillée. 
En face, dans le coin, Yerim git sur un lit de fortune, et des couvertures en bataille flattent ses défroques. A sa droite, la lumière connaît quelques soubresauts et accentue l’atmosphère pénible qui règne ici, et, à sa gauche, une cuve rouillée vient  d’être rigoureusement lavée. Malgré tout, quelques relents têtus continuent à odorer l’oxygène.
Anders, la mine dure comme à son accoutumée et à peine arrivé, s'abstient de parler et ne pipe mot, pour coller le dos de sa patte contre le front blanc de Yerim.

La surface est incandescente.

Ca a l’air d’aller mieux.

A ces mots vides, automatiques, il laisse sa lourde carcasse tomber sur la chaise, à quelques centimètres de la couche. Le chef croise les bras un instant, et prit d'un sentiment de malaise, il commence à entreprendre de mouiller un linge grisâtre d’eau de mer fraîche, recueillie par la Lambda à peine sortie et déposée sur une table de chevet de fortune. Dans sa piètre action, le coryphée sent le regard de Yerim sur lui mais, inconsciemment, il se rend compte qu'il avait évité de le croiser.

Non, en fait, je plaisante. T’as vraiment une sale gueule.

Le tissu s'étend sur le haut de la figure du gosse.
Anders n'avait nul doute que Yerim se remettrait, mais, sans se l'avouer véritablement, il s'était déjà offusqué d'avoir pensé à quelques terribles prédictions doublées d'un si, synonyme de condamnation, mettant à mal sa sérénité affichée.

Mais Yerim ne pouvait pas partir.
Après tout, il était son bras droit.