Ma très chère Laurel,

Je t’écris car je sais que tu n’auras de cesse de t’inquiéter pour moi si je ne te donne pas de nouvelle. Je suis arrivé chez moi hier. Je n’ai pas eu d’autre choix que la fuite, c’était ça ou attendre que Cal me fasse exécuter. Je sais que tu n’ignores sans doute pas ses plans. Je regrette que nous ne soyons plus du même côté, mais j’espère que nous nous reverrons et qu’aucun de nous ne tentera d’ôter la vie de l’autre.

J’ai appris que ta famille avait été anoblie. Je ne pense pas devoir te mettre en garde face au revers de cette médaille. Tu es assez intelligente que pour le savoir. Ce nouveau statut pourrait également faire de toi une cible de choix pour mon père, particulièrement s’il apprend que tu es proche de Cal. Et il l’apprendra, même si ce n’est pas de ma bouche.

Crois-moi, je ne ferai rien pour te nuire.

Affectueusement,
A.G.

Mon cher Adonis,

Je vivais dans l’incertitude de savoir ce qu’il était advenu de ta personne, et ta missive m’apporte un semblant de réconfort, bien que l’état actuel des choses me blesse et me terrifie. Le simple fait que tu sois toujours en vie me permettra néanmoins de dormir plus en paix, ce soir. Et ne craint pas, je n’ai aucune intention de mettre fin à tes jours. J’espère seulement que nous aurons le bonheur de nous retrouver, un jour ou l’autre, de l’autre côté de cette guerre.

Ma famille n’a pas consciente de ce qu’implique ce nouveau statut, mais je ne suis pas aussi dupe. Je serai prudente, du moins, je ferai de mon mieux pour ne pas devenir cette cible qui plairait tant à ton paternel. Mon affiliation avec le nouvel empereur n’est cependant pas le secret le mieux garder d’Aksana… S’il ne l’a pas encore appris, il ne suffira que d’une fraction de jours pour que cette information se rende jusqu’à lui. Et tu n’en seras pas le fautif.

Je ne te demande qu'une chose : soit prudent.

Avec toute mon affection,
Laurel

Ma tendre Laurel,

Ma confiance en toi et en tes attentions envers moi reste inchangée malgré la guerre et nos camps opposés. Je te fais plus confiance à toi qu’à certains Eartanariens. J’ose espérer que cette guerre ne sera pas aussi longue que la précédente, mais je sais que Cal s’accroche à ce qu’il estime être son juste droit comme une sangsue s’accroche à la peau de sa victime. Eartanera est aux Eartanariens, je serai aussi dur sur cette conviction que Cal sur la sienne.

Mon père a d’autres desseins que celui de te nuire, pour le moment. Du moins je l’espère. Je le sais en correspondance avec Launondie pour obtenir une faveur de Cal, en échange d’une faveur qu’il lui fera. En attendant, je t’en prie, fait toi discrète. Je tâcherai d’éviter de me faire tuer à la guerre, ne serait-ce que pour te revoir un jour.

Affectueusement,
A.G.

Mon cher Adonis,

Tu sais à quel point mon affection vous est partagée et que je regrette que les choses se soient ainsi passées. Crois-moi, j’ai plaidé plus d’une fois en ta faveur, mais tu sais à quel point il peut être entêté. Nous nous retrouvons désormais dans des camps opposés, mais ne te méprends toutefois pas, ta cause est noble et je la soutiendrai dans la mesure de mes moyens, si tant cela pourrait apporter la paix tant espérer sur Aksana. Et si de malheur, il devait arriver quelque chose à l’empereur, pourrais-je compter sur ton amitié et ta protection? Je sais que cette demande peut te paraître déplacer, mais ils sont rares ceux sur qui je peux réellement me fier. Nous ne sommes pas ennemis, à proprement parler. Que deux êtres que la guerre à séparer.

J’ai eu vent de ces correspondances, mais j’ignore si ces démarches auront une réelle incidence sur la situation actuelle. Je ferais de mon mieux pour guider Cal vers le chemin de la raison, mais ce serait me demander de réaliser l’impossible que de croire que j’y parviendrai.

Soit tranquille, Adonis, j’ai bien l’intention de survivre à cette guerre, peu importe ce qu’il m’en coûtera.

Il me tarde de te retrouver.

Avec toute mon affection,
Laurel

Laurel,

Tu n’as pas besoin de m’écrire ces mots pour que je le sache déjà. Je te connais, et si Cal s’est révélé être un autre homme que celui que je pensais connaître, j’ai encore confiance en la femme que j’ai rencontré grâce à lui. Ce que je veux est bel et bien la paix, Laurel. Les filles et les fils du feu ne peuvent pas comprendre l’oppression que les autres peuples ont vécu toutes ces années. Vos dirigeants font partie de votre peuple, ils sont légitimes à vos yeux mais non aux nôtres. Mon grand-père a fait une erreur en accordant la gouvernance de ma nation aux Oshun, et je compte bien la réparer. Les Eartanariens ne seront jamais pleinement fidèles à une couronne étrangère, et l’empire est voué à l’échec pour cette même raison. Les filles et les fils de l’air, et ceux de l’eau, ont probablement le même ressenti. Si c’est Eartanera qui est ouvertement en guerre, c’est simplement parce que mon peuple est le moins enclin à se laisser faire de tout Aksana.

Je sais désormais que Cal ne peut être ramené à la raison. Cette pensée m’a longtemps tenu éveillé dans ma cellule de Launondie. Ce n’est plus le cas. L’espoir que ton ami retrouve le chemin de la justice s’est envolé à tout jamais quand il m’a annoncé – le jour de mon anniversaire !! – qu’il allait avoir ma tête.

Je te sais plus intelligente que d’écouter les ordres sans réfléchir à leur signification.

J’aimerais te revoir également. Peut être que ce jour arrivera plus vite que nous le pensons ?

Avec toute mon amitié,
Adonis

Adonis,

Comme tu le mentionne si bien, je ne suis pas à même de pouvoir comprendre, ni même ressentir ce sentiment de coercition qui vous habite. Les conditions dans lesquelles j’ai été élevée ont fait de moi la femme que je suis, et elles m’ont doté de convictions qui ne cessent d’être confrontés à la réalité de notre quotidien. Je ne comprends pas, non, mais je suis toutefois à même de constater que cette paix n’était pas faite pour durer, à mon plus grand désarroi. Nos peuples sont trop différents pour cohabiter sous une même tête couronnée.

Cal reste toutefois, avant tout chose, un être de chair et de sang, et seuls les Dieux savent à quel point nous sommes imparfaits. Son titre d’empereur ne fait pas de lui l’exception, même s’il aimerait prétendre au contraire. Je ne cautionne pas toutes ses actions; je tente de le mener sur la bonne voie, mais j’ai bien peu de poids dans cette équation. Je suis loyale à ce qu’il représente, certes, mais pas dans l’obligation d’être en accord avec chacune de ses décisions.

J’ose espérer que nos routes se croiseront dans un futur prochain. Il me tarde de pouvoir constater, de mes propres yeux, que tu vas bien.

Avec toute mon affection,
Laurel