Hyppolite ferma les yeux, se plongeant momentanément dans l'obscurité. Il se trouvait dans la salle de bain adjacente à sa chambre, allongé dans la baignoire à pattes de lion disposée au centre de la pièce épurée. En dépit de son emménagement des mois plutôt, il se dégageait des appartements d'Hyppolite un caractère très impersonnel. Quelques affaires trahissaient sa présence, mais l'endroit lui apparaissait à la fois beau et austère. Le garçon n'était pas installé, pas vraiment, comme s'il savait au fond de lui qu'il était destiné à partir à un moment ou à un autre. Hyppolite enfouit brusquement la tête sous l'eau chaude, dans un désir violent de se soustraire au monde qui l'entourait. Il se sentait à l'étroit au sein de son propre corps. Là encore, baignant dans l'eau bouillante, ses longues jambes étaient légèrement ramenées sous lui. Il détestait ce qu'il éprouvait. Le sentiment viscéral de ne pas être à sa place. Il avait pourtant cru qu'il lui suffirait de rentrer chez lui pour retrouver un semblant de bien être mais il s'était leurré. Son retour à Azurite ne changeait rien, pas vraiment. La demeure fastueuse n'était plus sienne, pas vraiment. Les souvenirs d'une enfance passée entre ses murs étaient désormais ternis, éprouvés par le laps de temps écoulé. C'est toute une vie qui semblait s'être déroulée depuis que sa famille avait été décrétée comme ennemie à la couronne. Hyppolite maintenait sa tête sous l'eau depuis un peu trop longtemps. Une douleur se réveillait doucement alors qu'il contemplait péniblement la pièce déformée. Son élément passé l’opprimait. Il en avait toujours été ainsi. Il n'avait jamais fait corps avec ce dernier, refusant de le considérer comme faisant intégralement partie de lui. Maintenant que la mutation avait chassé ce pouvoir ancestral, Hyppolite avait l'impression que son élément natal se retournait contre lui, comme pour lui rendre cette aversion scrupuleusement entretenue. A moins que ça n'ait rien avoir avec l'eau. A moins qu'Hyppolite soit l'unique problème. Il remonta brusquement à la surface, crachotant des traînées d'eau traîtresse. Il expulsa l'élément bafoué de son corps tout en regrettant qu'il ne puisse en faire autant avec la maîtrise du sang. Le cœur battant, il appuya sa tête contre le bord de la baignoire, savourant la fraîcheur de ce dernier contre la peau tendre de son cou et parsemant le sol en marbre de gouttes d'eau. Comme toujours depuis des semaines, il se sentait fatigué. Tout son corps le pesait et il crevait d'envie de s'abandonner au sommeil sans vraiment y parvenir. Il avait néanmoins fait des progrès récents dans ce domaine. Depuis qu'il se faisait violence en développant la maîtrise de son nouveau don sanglant, il se sentait nettement plus rassuré. Il mettait toujours des heures à chercher le sommeil en se retournant dans ses draps, mais le sommeil finissait tardivement par l'ensevelir. Ses nuits étaient courtes et saturées de cauchemars en tout genre, mais au moins parvenait-il à goûter brièvement au répit. Avec des gestes lents, il se leva et entrepris de se hisser en dehors de la baignoire. Il attrapa une serviette blanche et duveteuse avec laquelle il s'essuya rapidement avant de la nouer autour de sa taille. Il ne pu s'empêcher de jeter un regard dans le miroir inondé de soleil même s'il savait pertinemment que le reflet renvoyé ne le séduirait pas grandement. Il ne pouvait s'en empêcher cependant. Il avait besoin de se voir, de se rassurer à la contemplation de son visage cerné. Comme souvent, il se trouva l'air vieilli. Des gouttelettes d'eau s'éternisaient encore sur son visage, semblables à des traînées de larmes séchées. Hyppolite poussa un petit grognement plaintif. D'un geste vif, il essuya son visage avant de jeter un nouveau coup d’œil à son reflet. Son regard était d'un marron terne, peu engageant, fenêtre ouverte sur son humeur maussade. Hyppolite détourna les yeux, las de sa triste contemplation. Il entrepris d'un geste rapide de sécher un peu sa chevelure dégoulinante avant de quitter la salle de bain et l'illusion de sérénité qu'il n'était pas parvenu à y trouver. Revenu dans sa chambre, il jeta un coup d’œil à son lit, partagé entre envie et anxiété. Il avait passé des heures à s'entraîner et son corps en portait la marque. Il se heurtait de plein fouet à la peur que lui inspirait la force sombre qui se déployait en lui, un exercice éreintant mais nécessaire. C'était terrifiant, mais cela avait aussi le mérite de lui offrir une certaine diversion. Lorsqu'il s'entraînait, il était trop concentré pour penser à quoi que ce soit d'autre. Tout occupé qu'il était à la maîtrise tortueuse du sang, le monde se dissolvait momentanément sous ses yeux. Il oubliait presque sa solitude alors qu'il s'efforçait de dompter ce nouveau pouvoir terrifiant. Ces derniers jours, il avait passé la majeure partie de son temps seul. Il croisait des visages et leur adressait des sourires courtois, mais cela s'arrêtait là. Il se renfermait sur lui-même, muselé par la guerre qui persistait à faire rage au delà des murs du palais. Les informations extérieures lui parvenaient sans mal et il les écoutait d'un air désincarné. Le regard d'Hyppolite dévia de son lit  au secrétaire en bois sombre relégué dans un coin de la vaste pièce. Il s'y était assis quelques jours plus tôt pour répondre à la missive de sa sœur, Lula. Alors même qu'elle le suppliait presque de la rejoindre pour se mettre avec elle en quête de leur aînée, Hyppolite avait refusé. Il avait passé des heures à rédiger sa réponse et avait eut l'envie furieuse de la ré-écrire à l'instant ou cela lui était devenu impossible. Une partie de lui avait eut sincèrement envie de rejoindre sa sœur. Elle lui manquait et Diana lui manquait également. Bien que leurs rapports se soient sérieusement dégradés, Hyppolite pensait toujours beaucoup à la plus âgée de ses sœurs et à ce qu'elle pouvait bien faire. Il n'aurait que difficilement pu se sentir plus éloigné d'elle, physiquement comme émotionnellement et si cette situation le peinait, il ne voyait pas non plus comment y remédier. Il n'avait plus le sentiment de connaître Diana, plus vraiment et il ne se voyait donc pas se lancer à sa recherche. A quoi bon quand elle était disposée à partir et à laisser tout le monde en plan derrière elle d'un jour à l'autre ? Gorgé de frustration, Hyppolite jeta sur un fauteuil couvert de tissu sa serviette immaculée et vint se planter devant sa garde-robe. La journée était loin d'être finie. Le soleil se déversait dans la pièce par le biais des hautes fenêtres, offrant une vue douce et colorée d'Azurite. Une jolie vision qui l'invitait à sortir, mais il n'avait pas le cœur à ça. Il envisageait plutôt de reprendre son entrainement, ou peut-être d'essayer de faire un somme. Il fourra son pouce dans sa bouche et commença à mordiller son ongle alors qu'un dilemme de bien maigre importance s'imposait à lui. Une poignée de secondes s'écoula avant qu'il ne tranche. Il enfila un pantalon en lin et rejoignit son lit en quelques enjambées. Écartant d'une main les draps, il se glissa dans la literie soyeuse et tâcha de s'abandonner à ce confort. Il ferma les yeux, appréciant la chaleur douce de l'astre solaire et s'efforça d'invoquer par l'esprit des images rassurantes, issues d'un temps dépassé. Le sourire de sa mère. Le rire de Saeko. La main de Diana, emprisonnant délicatement la sienne. Des souvenirs édulcorés, à la saveur devenue douce-amère. Le présent n'avait de cesse de souiller le passé. Le sourire de sa mère s'était éteins lorsqu'il avait rejoins Merle. Saeko se trouvait dieu sait où, mariée à un autre. La main de Diana, ou qu'elle soit, n'était clairement pas à la portée de la sienne. Les yeux obstinément fermés, Hyppolite commença à gesticuler dans son lit, les pensées douloureuses s'entrechoquant avec violence sous ses paupières. Un juron ne tarda pas à franchir la frontière de ses lèvres alors que, pour la énième fois, le sommeil demeurait insaisissable.