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La brune passe une main sur sa lèvre inférieure fendue. Le regard mauvais de la jeune femme est planté sur l’abuseur affamé. Obligée de protéger un bourreau. Elle ignore pourquoi elle fut choisie pour accompagner le cerbère. Peut-être qu’ils ont cru qu’elle serait capable d’apprivoiser le monstre, calmer les ardeurs sanguinaires du second fils Swanson. Qu’est-ce qui a bien pu le perturber aujourd’hui ? Les coups mutilent son corps de nymphe peu importe la raison de ses colères. Sa peau blanche est couverte de bleus. Ce n’est un secret pour personne, l’adiutor est malmenée selon les sautes d’humeur de son maître. Enchaînée à cette famille de fous, adorateurs de violence à la réputation terrifiante. L’adolescente avec l’espoir plein les yeux disparaît à chaque coup subi. Jumelée à un monstre, façonnée à son image. Son innonence meurt à petit feu. Sa gentillesse se cristallise. Coincée dans ce lien intime et malsain, quand elle plonge son regard bleu dans le sien, c’est la première fois qu’une envie de meurtre se glisse dans son coeur de glace. Elle se mord l’intérieur de la joue et lui lance un regard rempli d’éclairs. Elle voudrait que son calvaire se termine. Elle voudrait enlacer ses doigts fins autour de sa nuque et le priver de toute bouffée d’oxygen. Mais l’asphyxie serait une fin trop facile voir même clémente. Elle voudrait pouvoir lui rendre tous les coups qu’il lui a un jour donné.

Pulsion de mort, goût de violence dans la gorge, elle sert les poings et essaie de se contrôler. Elle fantasme. Elle rêve des différents scénarios qui pourraient être dignes de sa fin. Une mort grandiose. Malheureusement, elle doit réprimer ses envies de meurtres. Tuer Yoric, ce serait signer sa propre mort. Et elle se révolte des chaînes invisibles qui la relie à lui. Pendant une seconde, elle se permet d’penser que c’est peut-être l’unique solution pour mettre fin à son calvaire. Peut-être doit-elle inviter la Faucheuse à prendre son âme si cela entraîne l’esprit damné du bourreau avec elle. Elle se met à rêver de leur fin commune. Délicieuse idée qu’elle repousse finalement. Hors de question de le laisser gagner. Hors de question de s’avouer vaincue. Alors elle endure. Elle endure quand le blond vient la plaquer au mur violemment, sa main comprimant son cou et l’empêchant de respirer. Elle soutient son regard fou de rage plongé dans le sien. Et quand il la frappe de nouveau, elle n’émet aucun son. Même si elle voudrait pleurer ou même gémir de douleur, son corps endolori ne semble plus être sensible aux coups alors elle a cessé de réagir. Il quitte la pièce et la laisse seule avec ses bleus et ses maux.

« Vous êtes blessée. Laissez-moi y jeter un coup d’oeil. » Encore essoufflée du combat violent, elle recule d'un pas. Vive, tel un animal en cage. Le témoin de sa violence ne semble pas craindre ce qu'elle pourrait faire. À force de recevoir les coups, elle a pris goût à en donner. Échappatoir et exutoire pour ne pas devenir folle. Constamment sur ses gardes, elle ne laisse pas le brun approcher. Sauvageonne, modelée pour ressembler à son maître. Sa victime gît à ses pieds et plutôt que la fuir, l’inconnu semble vouloir l’aider. Elle, la tueuse, le monstre. Il devrait fuir, espérer que l’assassin ne le retrouve pas pour s’assurer qu’aucun témoin puisse l’identifier comme la meurtrière. Elle est devenue experte à jouer la victime, jamais personne n’a vu son vrai visage. Celui de la Vipère. Et personne n’a jamais tendu la main. « J’vais très bien. J’ai pas besoin de votre aide. » qu’elle répond avec arrogance. Mâchoire serrée, corps malmené. Quand on lui dit de tuer, elle ne recule devant rien. Sa cible, aujourd’hui, était beaucoup plus imposante qu’elle. Rhaena, elle avait été obligée de séduire, charmer pour mieux poignarder l’homme dans le dos. Mais il n’était pas tombé sans faire quelques dégâts. La dangereuse créature est effectivement blessée mais elle a appris à endurer la douleur. « Faites-moi confiance. » Elle l'observe de la tête aux pieds, clairement méfiante. Hors de question de baisser sa garde même si l'homme est entouré d'une bienveillance qui n'a plus sa place dans son existence depuis que sa destinée est liée au monstre Swanson. Après un vague moment d'hésitation, elle se laisse convaincre bien qu'elle reste incertaine. Elle le suit, jusqu'au quartier riche et de ses luxueux appartements. Son regard glisse sur les alentours et analyse absolument tout. Routes de sortie, décorations et détails. Elle comprend que l'étranger est un maître. Tous ceux qu'elle connaît, ils sont odieux, mais lui. Il est si différent. Pourquoi lui vient-il en aide ? Il attend quelque chose d'elle... c'est la seule explication. Il l'invite à s'asseoir et aucun coup ne tombe. Aucun dessein caché. Il garde ses distances, respectueux.

Avec précaution, elle glisse son vêtement par dessus sa tête avec l’aide du bienfaiteur. Elle sent son regard glisser le long de ses formes et sur son dos, marqué par de nombreuses cicatrices et quelques bleus. Le fait d’être dénudée ne la gêne pas, mais elle déteste afficher une quelconque vulnérabilité. Elle tourne les yeux vers lui, et remarque que ses traits sont figés dans une expression de pitié. Agacée, elle se redresse avec l’intention de partir. Elle ne veut pas d’sa pitié. « Hm. Très bien, c’est pas nécessaire finalement. Je vais… Je vais juste y aller. -- Argh. » En tentant de remettre son chandail, elle se plie en deux, transpercée par une vive douleur au niveau de ses côtes. Elle plaque ses mains là où le mal est le plus lancinant et ses jambes l’abandonnent. Mais la poigne de l’homme l’empêche de s’effondrer au sol et il l’aide ensuite à se rasseoir. « Je crois que vous avez des côtes cassées. » Elle peut le sentir, ses os qui craquent et en baissant les yeux, elle remarque sa peau ecchymosée. Les coups de l’adversaire avaient été plus forts qu’elle ne le réalisait. Alors elle laisse le maître appliquer un baume sur ses blessures. Le calme des lieux, la sérénité du jeune homme… Elle a l’impression de mettre les pieds dans un tout autre univers. « Je m’appelle Galahad. » La ténébreuse lui jette un coup d'oeil par dessus son épaule. Un moment de silence, alors qu'elle essaie de supporter les vagues de douleur à chaque fois qu'il applique une pression. « Rhaena. »

Les sangs sur ses mains se mélangent. Celui du fils et des agresseurs couvrent ses vêtements. Des larmes salées s'invitent dans la danse morbide. Elle hurle vers le ciel, secouée de sanglots. Dans sa rage, elle espère que les dieux auxquels elle ne croit même pas l'entendent et remontent le temps. Qu'ils la ramènent à temps pour arriver plus tôt. Mais le temps reste figé dans cet instant. Lucian ressemble à une poupée désarticulée dans ses bras. Des questions se bousculent dans sa tête. Si j'avais été plus rapide, est-ce que j'aurais pu le sauver ? Pourquoi s'en prendre à un innocent ? Juste pour m'atteindre ? Son esprit calculateur tente de comprendre, donner un sens à la mort de l'enfant. Et la brutalité de l'acte... Comment ont-ils pu ? Comment ont-ils pu faire ça ? Poignarder un gamin d'à peine cinq ans à plusieurs reprises. Mutiler un innocent de cette manière. Peu importe les actes de la mère, peu importe sa cruauté. Oh, leurs cadavres sont maintenant étendus tout autour d'elle ; le regard figé d'horreur mais probablement satisfaits de voir leur meurtrière agoniser de chagrin. Et Rhaena pleure. Toutes les larmes de son corps la désertent, elle s’assèche.

Des souvenirs s'invitent à l'esprit tourmenté de la ténébreuse. Elle se remémore les premiers instants de la grossesse. La panique qu'elle avait pu ressentir en se découvrant enceinte mais l'explosion de joie au creux de sa poitrine quand elle avait serré le bambin dans ses bras la premières fois. Il hurlait à la mort, mais la nouvelle mère souriait. Ses premiers mots ; veu--. Il aurait pu lui demander la lune, elle serait allée la cueillir pour lui. Mais elle se souvient de cette journée-là. Il avait voulu du chocolat et elle avait cédé. Des grands yeux pétillants, ceux du père et non les siens, qu'il posait sur elle quand il était heureux et s'amusait dans le parc. Lucian était sa seule raison de vivre, sa seule famille. Sans lui, elle est perdue. Doit-elle se laisser mourir aux côtés de son corps mutilé ? L'envie ne manque pas, mais le gémissement étouffé d'un des brigands sous le corps d'un autre la ramène à la réalité. Une chose est évidente. Cette vermine n'est pas responsable ; ils ne sont que des pions - des mercenaires envoyés pour faire le sale boulot. La tristesse qui la prend à la gorge depuis quelques instants se transforme en rage violente.

La ténébreuse se dresse, ignorant les plaies sanglantes que le combat a laissé sur sa propre chair. Elle trouve le blessé agonisant, repousse le cadavre qui le protège et plonge violemment une dague dans son épaule. L'homme hurle, gémit et pleurniche. « Qui vous a envoyé ! Qui est en charge ! Parle ! » Sans attendre de réponses, la Dryden se met à faire pivoter la lame dans la plaie. Entre quelques hoquets de douleur, l'homme supplie. Ce n'est pas la réponse qu'elle attendait. Alors elle sort la dague et l'enfonce de nouveau en lui, cette fois dans l'épaule opposée. Il hurle à nouveau mais elle reste indifférente. Guidée par la colère, par la peine et son esprit affûté ne lui sert plus à rien. Tout ce qu'elle arrive à tirer du mercenaire est une adresse avant qu'il ne rende son dernier souffle. Et elle reste là, enjambée par dessus son corps inerte. Elle fixe son visage, observe son regard vide en tentant de retrouver sa respiration. Les sanglots la secouent de nouveau. Plus violent, plus douloureux si bien qu'elle peine à respirer. Mais derrière les larmes, l'étincelle de la vengeance s'allume et oscille dangereusement.