Veda était restée malade quelques jours. La brune avait vu tous les maîtres et les mêlés tomber comme des mouches autour d’elle, au manoir de Wolffhart. Elle s’était remise bien plus rapidement, et avait envoyé une lettre à Saeros pour s’enquérir de son état. Le mêlé était son meilleur ami, le seul qui comptait vraiment avec Ido Aderal, un humain qu’elle avait rencontré dans les bas-fond de Launondie et avec qui elle avait bien plus de choses en commun que la plupart des maîtres. Elle aurait aimé le suivre peu importe où il allait, mais l’homme était d’une autre caste, et Veda ne pouvait pas le rejoindre. Aussi fort qu’elle le reniait, Veda était une maître et non pas autre chose. Elle avait longtemps cru au mensonge dans lequel Feyre Mormont l’avait plongée. L’humaine n’en était cependant pas une, et désormais libérée de ses chaînes, elle bénissait presque de ne pas être une maître normale non plus. Car tous les autres, ils étaient liés. Ils avaient un adiutor, et apparemment c’était ça le point commun entre la maladie longue et incurable, et le fait qu’elle n’était elle-même pas touchée comme tout le monde. L’aguarinienne se releva rapidement, elle alla voir ses hôtesses mais elles étaient elles aussi malades, et Veda ne voulait pas les déranger.

Alors, elle compris. Si tout le monde était dans cet état, la fille qui était son dernier contrat juteux du moment l’était aussi. Quelques jours seulement, elle avait été malade, Veda. Quelques jours, et aucun maître lié à un adiutor ne s’était relevé. Amara ne devait donc pas faire exception. La jeune tueuse à gage retourna dans sa chambre. Elle attrapa une dague et la glissa dans sa botte, une autre dague était dans ses cheveux, c’était une fine dague qui lui faisait le chignon qu’elle arborait toujours. Enfin, deux petits couteaux volés sur un cadavre d’une de ses victimes étaient attachés à sa ceinture. Elle passa sa tunique par-dessus, et se rendit vers la chambre octroyée à la résistante. Veda ne frappa pas. La nuit était tombée, et elle voulait être rapide et efficace. Tout le monde dormait dans le manoir, ses pas était silencieux, tout autant que le crochetage de la serrure. La brune ouvrit la porte, doucement, et se faufila à l’intérieur, telle l’ombre d’un chat. Veda tira la dague de son chignon, laissant ses cheveux noirs tomber sur ses épaules. Elle s’approcha de la blonde endormie, telle la princesse d’un rêve oublié. Veda n’observa pas ses traits, elle savait déjà qu’Amara était une créature dessinée par les dieux, faites pour ravir les cœurs des imprudents. L’ange meurtrier posa sa main sur sa bouche, juste au bon endroit pour également bloquer ses narines. Elle glissa sa dague contre la gorge blanchâtre, mais alors qu’elle allait simplement l’égorger, la blonde ouvrit les yeux.

Plongée dans l'obscurité de sa chambre, Amara oscillait entre le sommeil et la semi-conscience. Tout lui semblait flou, comme si elle était plongée dans un rêve qui ne prenait plus fin. La fièvre la faisait délirer, lui provoquant des hallucinations bien trop réelles. Plusieurs fois elle avait cru voir Feyre dans un coin de la pièce, son sourire carnassier et ses prunelles enflammées braqués sur elle. Mais elle n'était pas là, elle ne pouvait pas l'être. C'était impossible. La Graylin frissonnait, tout son corps tremblait sous l'effet du virus. Le chaud, le froid, elle ne savait plus rien discerner. Sa tête semblait prise dans un étau, qui ne cessait de se resserrer davantage. La jeune femme était incapable de savoir combien de jours étaient passés depuis que le virus l'avait contaminé. Trop longtemps à son goût, et pourtant elle sentait que son organisme n'avait pas fini de se battre contre cette maladie. Elle se sentait épuisée, dénuée de toute l'énergie qu'elle puisait d'ordinaire dans sa rage, dans sa haine. Et par-dessus tout ça, elle se sentait vide, comme si une partie d'elle-même lui avait été arrachée. Un néant qu'elle ne savait comment combler, qu'elle ne savait comment interpréter. Les conséquences de virus étaient encore méconnues, mais Amara n'avait pas l'esprit à s'inquiéter de ce genre de choses. Pas encore. Gagnée par un sommeil agité, la blonde ne se réveilla pas lorsque Veda entra dans la pièce. Une sensation étrange gagna la Graylin, comme un poids qui pesait sur sa poitrine, une angoisse qui s'emparait d'elle. Ses paupières s'ouvrirent brusquement. L'obscurité l'empêchait de distinguer quelque chose, mais la sensation d'une main posée sur sa bouche, et d'une lame appuyée contre sa gorge, ne trompaient personne. Rapidement, ses iris s'acclimatèrent au manque de lumière, et une silhouette se dessina dans l'ombre. Une silhouette dont la jeune femme ne pouvait deviner le visage, mais elle reconnaissait ce parfum si particulier qui lui chatouillait les narines. Elle était persuadée de ne pas se tromper lorsqu'elle associait cette odeur à cette brune glaciale qu'elle côtoyait depuis plusieurs semaines désormais. Un fantôme d'une autre époque, qu'Amara n'aurait jamais pensé revoir, surtout pas ici. Veda se tenait là, près de son lit, prête à lui trancher la gorge. La blonde profita des quelques secondes d'inaction de la brune pour mordre la paume de sa main, avec toute la force qu'il lui était possible de rassembler. Une idée stupide, qui ne la sauverait pas. Amara était faible, fiévreuse, anéantie par une maladie dont la jeune femme ne semblait pas souffrir. Elle n'était pas capable de se défendre, pas face à cette ancienne esclave dont elle connaissait les capacités. Son sang se glaça dans ses veines, et la fille de l'air fut prise de frissons incontrôlables alors que la simple pensée de mourir ici, cette nuit, la terrifiait. La simple idée de partir, sans avoir eu le plaisir d'obtenir sa vengeance la rendait folle. La seule satisfaction qu'elle était capable de tirer de cette situation, était la certitude qu'elle emporterait Feyre avec elle dans la tombe. Mais elle aurait tout donné pour lui ôter la vie de ses propres mains, pour mettre en scène sa mort comme la Mêlée le faisait avec sa vie : de façon théâtrale, sans laisser un détail au hasard. Elle voulait quelque chose de grandiose, pouvoir se délecter de la surprise qu'elle lirait dans les yeux de son bourreau. Elle ne voulait pas de ça, pas de cette mort pitoyable, à des kilomètres de celle qu'elle entraînerait dans sa chute. « Je pensais que tu valais mieux que de t'attaquer à quelqu'un qui n'est pas capable de se défendre. » Elle se voulait forte, mais sa voix était faible, un simple murmure qui venait briser le silence qui les enveloppait.

 
L’ange divin pose son regard sur elle et le monde s’arrête. Veda plonge ses iris noires comme la nuit dans celles de la blonde sous elle, mais elle n’a pas le temps de la contempler car la blonde est une rose qui pique, et elle vient mordre l’intérieur de sa main avec force. Veda s’éloigne avec un gémissement de douleur, avant de venir frapper le visage angélique du revers de la main, laissant ses ongles griffer sa joue. « Je pensais que tu valais mieux que de t'attaquer à quelqu'un qui n'est pas capable de se défendre. » Veda lâcha un léger ricannement. Elle grimpa sur le lit, une jambe de chaque côté de la blonde. Elle avait lâché sa dague quand elle s’était éloigné, quelque part sur le lit mais au lieu de la rechercher, la brune s’empara de celle qui tenait ses cheveux en un chignon, et tira dessus. La crinière noire tomba sur ses épaules et devant ses yeux, lui donnant un air de démone infernale sortie tout droit des enfers pour semer mort et désolation. Un peu comme la mêlée à laquelle la blonde était liée. Une beauté brûne au regard de chat et à l’esprit machiavélique. L’enfant sauvage se pencha sur la blonde malade et laissa sa dague caresser sa joue. « On dit que vous, les liés, ressentez les douleurs de l’autre. » elle sourit comme une démente, la paria. Elle glisse sa langue sur sa lèvre inférieure, et tente d’oublier que la femme qu’elle a sous elle est Amara, la blonde qui ne l’a jamais rejetée quand elles étaient enfants et qu’elle n’était qu’une esclave. Amara est aussi la maîtresse du démon de sa vie et si sa vie est le prix à payer pour la mort de Feyre, alors Veda est prête à exécuter ce sacrifice. « J’espère que Feyre ressentira tout ce que je t’infligerai avant de mourir. » elle est folle, la brune. Rendue folle par ce démon dont elle parle. Elle a l’esprit abimé, détraqué par le boucher des esprits qu’elle l’orange. La mêlée a massacré son cerveau pour l’obliger à oublier son droit à la liberté, pour l’obliger à croire qu’elle n’était qu’une lambda, alors qu’elle est en réalité une Kimora, une maîtresse des océans et déesse des vagues. Veda s’empare du poignet de la blonde avec force, elle tire dessus, sans laisser à Amara une chance de lui échapper. « J’aurais aimé te tuer rapidement, mais ton adiutor ne mérite pas ça. » Elle commence par planter le bout de sa dague dans le bras de la belle.

Le main de Veda heurta son visage, mais elle ne bougea pas, Amara, seule une exclamation de surprise et de douleur échappa de ses lèvres. L'ange de la mort revint à la charge, coinçant le corps de la blonde entre ses jambes. La Graylin sentait l'adrénaline s'emparer d'elle alors que la lame glissait sur sa joue. Cette adrénaline qui la poussait à lutter face à son assaillante, malgré la fièvre, malgré la maladie. Là, au-dessus d'elle, la Kimora avait tout d'un démon de la pire espèce, une ombre menaçante qui lui rappelait beaucoup trop celle dont elle pensait s'être affranchie. Mais Feyre la suivait partout, même ici. Car si Veda était venue la trouver ce soir, c'était pour atteindre son Adiutor. Elle n'était qu'un dommage collatéral, celle que l'on sacrifiait volontiers pour la cause. La blonde s'opposait, se débattant avec le peu de force qu'elle avait réussi à rassembler pour essayer de se défaire de l'emprise de la brune. En vain. La dague se planta dans sa peau, au niveau de son avant-bras. Et si elle souhaitait ne rien montrer, garder sa souffrance pour elle, Amara préféra opter pour une autre stratégie. Elle se mit alors à hurler, s'époumonant jusqu'à perdre son souffle afin d'alarmer n'importe quelle âme vivante dans ce manoir. Elle criait à s'user les cordes vocales, mais qu'importe. Son cri était démesuré face à la douleur qu'elle ressentait, mais il n'était pas destiné à la soulager mais bien à attirer l'attention. Elle n'y croyait pas vraiment à cette démarche, mais elle se devait d'essayer. Car elle n'avait pas l'intention d'être un chien docile, une gentille victime qui se laisserait saigner sans rien dire. Elle en avait assez de subir sa vie. Le pantin qu'elle avait été était mort et enterré depuis plusieurs années désormais. Et même vaincue pour le virus, la Graylin refusait de partir sans un dernier combat. Veda fut rapide à réagir, la gratifiant d'un nouveau coup au visage. Amara serra les dents, et profita de la proximité du visage de la brune pour lui donner un coup de tête. La douleur était presque masquée par l'adrénaline qui lui donnait un second souffle. « Alors c'est ça, t'es vraiment devenue une putain d'assassin? T'y as pris goût, quand je t'ai croisé ce jour là? » Si elle avait su, à ce moment, elle n'aurait probablement pas laissé repartir Veda. Mais la jeune femme avait été naïve, compatissante envers celle qu'elle prenait encore pour une lambda, à l'époque, et qu'elle avait toujours apprécié. Celle qu'elle avait considéré comme une amie, durant son enfance. Celle qui avait toujours mérité mieux qu'une existence d'esclave, les chaînes aux poignets. Et voilà que désormais, elle était celle qui allait lui ôter la vie. Amara s'en voulait à elle-même pour avoir cru, une fois de plus, en la bonté humaine. Une erreur qu'elle ne referait plus dans la tombe. « Tu veux tuer Feyre? Vas-y, fais donc, ça me fera plaisir à moi aussi. Mais ne compte pas sur moi pour crever en silence. »

Le cri de la blonde lui glace le sang, alors qu’il emplit les murs de la demeure de sa tante. Si Veda ne l’arrête pas tout de suite, elle réveillera tout le monde et Veda sera chassée de la demeure pour ce qu’elle est en train de faire. Une traitresse, de tuer une femme qui est censée être dans son camp. Mais ils ne peuvent pas comprendre. La haine de la brune face aux mêlés, aux oranges, à Feyre Mormont vaut bien ça. Et puis c’est Amara, une amie, certes, mais aussi une de ces filles de l’air qu’elle déteste tant. La blonde lance un coup de tête qui aurait presque pu lui casser le nez. Veda sent d’ailleurs la chaleur du liquide vermeil qui s’écoule d’une de ses narines. A moitié sonnée, elle clique des yeux, écoutant à peine Amara. « Alors c'est ça, t'es vraiment devenue une putain d'assassin? T'y as pris goût, quand je t'ai croisé ce jour là? » Elle la hait, de dire ça. Cette fille ne comprend rien. Cette fille qui allait épouser un porc, celui qu’elle a éborgner jusqu’à la mort. Elle allait l’épouser, cet immondice, et si elle allait l’épouser, c’est sans doute parce qu’elle l’aimait lui. Et Veda est en colère, oh oui elle est en colère parce qu’Amara aimait cet homme et pas elle. Une grimace de rage pure déforme ses traits alors qu’elle lance une nouvelle gifle dans la figure de l’ange. « Tais toi ! » Ordonne la maîtresse des flots. « Tu veux tuer Feyre? Vas-y, fais donc, ça me fera plaisir à moi aussi. Mais ne compte pas sur moi pour crever en silence. » Elle lève une main vers son nez et essuie une trace sanglante, s’en étalant plus qu’autre chose sur la joue et le dos de sa main. « Seule ta mort peut l’emporter dans la tombe. Si tu veux qu’elle crève, tu n’as pas d’autre choix, ma belle. » souffle Veda, elle pose le couteau sur la gorge de cette femme qu’elle aimerait bien plus embrasser que frapper, mais elle contient ses pulsions, la brune. « Une dernière volonté ? » Si seulement Veda savait, que la tuer ne résoudrait rien.