Greenstall

Le Capitaine de l’armée de Granit était en retard. Il n’aimait pas ça, être en retard, lui il avait des principes, une bonne éducation, ce genre de choses. Et faire attendre ne faisait pas partie de ses habitudes. Mais il ne pouvait pas non plus tout gérer en même temps. S’entretenir avec le Roi sur les dernières avancées, "veiller" sur Adonis, s’occuper de ses hommes, etc… Il était partout, tout le temps, il n’avait jamais de repos. Mais il avait l’habitude de ce genre de train de vie, il s’y était habitué maintenant. Néanmoins, ça ne changeait rien au fait qu’il était en retard à ce qui se tramait aujourd’hui au palais. Un briefing organisé par la famille souveraine, à Greenstall. Ce n’est pas vraiment que sa présence était primordiale, seulement, il se devait d’être là de par ses fonctions. C’était un fait, point. Un événement de ce genre impliquait une sécurité légèrement plus importante, et il avait pour responsabilité de superviser l’organisation, du moins, la partie qui incombait à ses hommes. Il se pressa donc dans les longs couloirs du palais dans lequel il a grandi, n’ayant même plus besoin de réfléchir pour se guider, c’était devenu instinctif. Il se rapprochait de la salle vers laquelle il se dirigeait, sachant qu’il ne restait plus qu’un escalier et quelques mètres entre lui et son objectif. Mais lorsqu’il approcha, il intercepta une conversation. « Les pourritures dans ton genre n’ont rien à faire ici, prostituée. » Il fronça les sourcils, apercevant finalement les deux interlocuteurs face à face. Zarha et sa chevelure de feu qu’il reconnaîtrait entre mille, et un garde. Un de ses gardes, les moins hauts gradés qui se trouvaient sous son autorité. Son visage se ferma, devint dur et froid. Il était heureux de retrouver la jeune femme, mais il se devait de rester sérieux et de ne surtout pas laisser passer ça. Gunnar avait appris le respect et la politesse étant petit, mais apparemment, ce n’était pas le cas de tous. Chacun se comportait comme il le voulait, mais pas sous ses ordres, et pas dans ce palais.

Il s’approcha donc d’un air impérieux, plongeant un regard de fer dans les yeux du garde qu’il surmontait de quelques centimètres. « Je crois avoir mal entendu, garde. » Ce dernier baissa les yeux, ne savait plus vraiment où se mettre sous la phrase plus que ferme de son supérieur. Cependant, le K’han n’était pas là pour l’humilier devant la demoiselle, seulement lui faire comprendre son erreur. Il désigna Zarha de la tête. « Cette demoiselle est autorisée à entrer, n’as-tu donc pas connaissance des ordres précis qui t’ont été donnés ? » Une question rhétorique, qui n’attendait pas vraiment de réponse. Plus un reproche en réalité, une réprimande. Fermeté, discipline, obéissance, les mots d’ordre du Capitaine. « Qui plus est, je ne tolèrerais pas ce genre de comportement une seconde fois. Je te demande de t’excuser, et tout ceci pourra être oublié, ce qui vaudrait mieux pour toi si tu tiens à ton poste, c’est bien entendu ? » Le garde hocha la tête, peu à l’aise. Il devait probablement se maudire sur plusieurs générations. Personne n’en aurait rien su, si Gunnar n’avait pas pointé le bout de son nez. Il finit donc par se confondre en excuses, s’inclinant au passage. Le K’han fit un geste de la tête, mettant fin à ce spectacle qui le mettait encore plus en retard, puis il invita Zarha, d’un geste du bras, à s’avancer dans les escaliers qui leur faisaient face, la suivant au passage. Il s’empressa donc de monter quelques marches, puis finit par lui glisser. « Je suis vraiment désolé pour ce qui vient de passer, ça ne se reproduira plus. » Il n’était pas très à l’aise non plus le K’han, il se doutait bien que ce genre de remarque ne faisait pas plaisir, et ce n’était sûrement pas la première fois qu’elle en faisait l’objet malheureusement. Il lui sourit donc de la manière la plus sincère possible, tout de même satisfait de la revoir ici. « Ce triste malentendu de côté, comment vas-tu Zarha ? Je n’ai pas eu de tes nouvelles depuis fort longtemps, c’est à croire que nos chemins ne semblaient plus se croiser. » Il laissa échapper un soupir, signe du temps qui s’était écoulé depuis la dernière fois qu’il avait croisé la jeune femme. Ils avaient probablement beaucoup de choses à rattraper.

   

Greenstall

Gunnar supportait mal l’injustice et les moqueries, surtout lorsqu’elles touchaient quelqu’un qu’il appréciait. Quoi que la jeune femme ait pu faire, quoi qu’elle ait choisi d’exercer au cours de sa vie, jamais il ne l’avait jugée, et jamais il ne le ferait. Pour lui, cela semblait logique, naturel. Il n’avait pas ce degré naturel de méchanceté, de noirceur qu’il avait déjà pu apercevoir chez de nombreuses personnes. Jamais il ne se permettrait de rabaisser quelqu’un. Enfin, ceci n'était pas forcément valable tout le temps. D'abord, lorsqu’il était sur le champ de bataille. En effet, dans ces moments-là, il n’hésitait pas à être sans pitié et à faire couler le sang, sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre. C’est dans ces instants qu’il révélait le démon qui était en lui, la bête qui se démenait sous ce visage inexpressif et qui luttait pour la victoire de sa patrie. Quant à la deuxième situation, c’était lorsque la vie de ses proches était en jeu. Il n’hésiterait pas une seule seconde à user de méchancetés, de machinations pour aider et sauver ceux qu’il aimait. Mais autrement, il n’était pas quelqu’un de foncièrement mauvais. Et il le prouvait encore une fois en épargnant à Zarha de subir les mots violents du garde. Lui vivant, il ne permettrait plus jamais une telle chose.

L’ayant finalement rejointe dans l’escalier, elle secoua la tête en réaction à ses mots. "Ne t'en fais pas pour ça, ce n'est pas la première, ni la dernière sûrement que ça arrivera. Mais j'avoue que ton timing était impeccable, un peu plus et j'aurais tenté de l'attaquer. Peut-être." Bien sûr, il s’en doutait qu’elle avait déjà dû affronter des situations semblables. Une telle constatation le peinait d’ailleurs. Elle ne méritait pas ça, il la connaissait. Et pourtant il ne pouvait pas lutter contre les dires des gens. Il compterait donc, peut-être vainement, sur le bon sens des personnes qu’elle rencontrerait plus loin dans sa vie. En tout cas, tant qu’il était là, elle n’avait rien à craindre à ce sujet. S’il pouvait au moins faire ça pour elle, ça lui faisait bien plaisir. Il fut tout de même soulagé par le petit rire qui sortit de la bouche de son interlocutrice. Bien que la remarque avait dû la blesser, elle avait su passer à autre chose assez rapidement. C’était probablement une des meilleures choses à faire, même si le dire était probablement plus facile que de le faire. Elle continua alors, haussant les épaules. "Ça va, mieux que lorsque je suis arrivée j'avoue mais...je ne peux pas me défaire de certaines choses. Je me concentre sur l'entrainement, les briefings, ça aide un peu." Il hocha la tête à l’écoute de ce qu’elle lui disait. Il était satisfait qu’elle retrouve peu à peu la joie de vivre, bien que tout ne serait pas réglé en un claquement de doigts. En effet, et comme elle le disait, leurs vieux démons étaient toujours là pour leur rappeler qui ils étaient, ce qu'ils avaient fait. Les repousser n’était jamais simple, certains n’y parvenait même pas. Elle posa finalement une main sur son bras, avant de reprendre la parole. "Et toi ? Comment ça va ?"

Il réfléchit un instant, ne sachant pas vraiment pas quoi commencer tant de choses s’étaient passées depuis qu’ils ne s’étaient pas vus. Il n’aurait probablement pas le temps, ni le courage de tout lui raconter maintenant. « Heureux que mon timing soit impeccable pour quelque chose, parce que celui que j’aurais dû respecter pour me rendre à ce briefing est probablement déjà dépassé ! » Il rit, peu inquiété des conséquences. L’événement était important, mais sa présence n’était pas non plus vitale. Ses officiers étaient sûrement déjà sur place. De plus, il n’était pas loin désormais, il pourrait agir plus rapidement si le besoin se faisait sentir. Il finit par afficher un air doux, plongeant son regard dans celui de la demoiselle. « Bien, si ça va mieux, c’est déjà ça. Pour le reste, n’hésite pas à venir me voir si tu as besoin. Tu sais que je serais à ton écoute, et toujours prêt à t’offrir l’aide que tu demanderas. » Évidemment, si elle voulait parler de ces choses qui lui pesaient, qu’elle ressassait, sa porte serait toujours ouverte. Ou même autre chose que des mots, si elle avait besoin de se défouler au cours d’un entraînement, il serait un bon adversaire. En fin de compte, il serait un ami, tout simplement. « Je vais bien, je n’ai pas vraiment à me plaindre. Il y a toujours des petites contrariétés à droite à gauche, mais j’essaye de ne pas m’en préoccuper, j’ai l’habitude. Je me concentre sur l’instant présent, et les choses les plus importantes. » Il sourit, tandis qu’ils arrivèrent en haut de l’escalier. Il prit alors à gauche, empruntant un couloir qui les mènerait à leur destination, plus loin. Mais pour l’instant, il ne pressait pas le pas, préférant discuter avec la jeune femme. On pouvait bien l’attendre encore un petit peu, au point où il en était.