« Vous pouvez m’appeler ma Reine, si vous voulez. » Haussement d’épaule plein de fausse humilité. Et la déesse létale tourna les talons, faisant voleter sa crinière d’ébène derrière elle. Ses ricanements pernicieux emplissant le silence épais qui ne manquait jamais de l’entourer, alors qu’elle se pavanait comme une princesse héritière. Parce qu’elle l’était. Du moins, au fond de son âme dévoyée. Suborneuse maléfique à l’imagination débordante, Feyre avait crée un monde invisible sur lequel elle régnait en tyran invincible. Un monde qui ressemblait, à s’y méprendre, à Aksana. Mais les limites entre réalité et chimères s’effaçaient, dans l’esprit de l’hydre. Parce que son âme était perpétuellement en contact avec celles qui l’entourait. Ses doigts invisibles tendus tout autour d’elle. Brouhaha permanent à l’intérieur. Pour tenter de combler ce vide immense. Ce manque de sentiments, d’humanité, de ressentis. Rien que des vices. Pourriture jusque dans les moindres fibres de son être. Mais l’orange ne s’en plaignait pas. Loin de là. Grande maîtresse des esprits, rien ni personne ne lui résistait. Et elle était au-dessus de tous ces mortels, de toute cette vermine. Pas de sanglots incontrôlables lors de la séparation avec l’être aimé. Pas de cœur au bord du gouffre après la perte d’un être cher. Pas de déception, de contrariétés. Rien qu’une avidité sans bornes et une ambition démesurée. Lunatique, les tracas ne l’accablaient jamais très longtemps. Après tout, la marionnettiste pouvait forcer les autres à l’aimer, à la vénérer. A s’immoler sur l’autel noirci de sa sacro-sainte déité. Elle ne touchait pas terre, perpétuellement juchée sur d’immenses talons, évoluait dans un univers imperceptible à ceux n’étant pas initié. La Mormont imposait sa volonté sans se soucier d’autre chose que de sa petite personne. Egocentrisme fait chair. « Saeko n’est plus reine désormais. Je sens que mon heure arrive. Vous devriez vous préparer, bande d’affreux ! » Et elle riait à s’en décrocher la mâchoire. Complètement abandonnée à cette douce folie qui la caractérisait si bien. Le monstre d’Aksana. Mercenaire la plus crainte parce que la plus imprévisible. D’une cruauté difficile à appréhender, d’une méchanceté impossible à concevoir. Elle déambulait, le menton bien haut, ses yeux noirs provoquant tous ces nobles maîtres. Les défiant de venir la déloger. De venir s’en prendre à elle. Intouchable. Parce qu’ils tremblaient sur son passage. Craignait l’enfant de rien, pauvre petite mêlée dont la présence dans les hautes sphères ne pouvaient désormais plus être contestée. Elle était la Main de Cal, son arme de l’ombre la plus dangereuse. Vous ne pouviez rien lui cacher. Ses talents ténébreux lui permettaient d’extirper les secrets les plus sombres, les plus terribles, les plus honteux. Et elle les revendait à prix d’or, s’en servait pour déclencher des guerres fratricides, pour briser des amours séculaires. Parce que rien ne trouvait grâce à ses yeux, hormis sa propre personne. Rien ne comptait, rien n’avait d’importance. Feyre aurait été prête à immoler son précieux Oshun pour lui voler sa couronner. Prête à faire sauter sa chère Elvira du haut d’une falaise pour gravir une marche supplémentaire dans son ascension vers le pouvoir. Prête à vendre sa belle Merle à ses ennemis pour récupérer tout l’argent qu’elle possédait. « Votre Reine doit retourner dans sa demeure pour récupérer quelques effets. Mais ne vous inquiétez pas, mes chers sujets, je serais très vite de retour ! » Elle parlait à tout le monde et à personne. Rictus mesquin sur son visage félin alors que des regards haineux se posaient sur sa silhouette plus que frêle. Maigre était un terme trop doux pour qualifier son corps. Tas d’os ambulant. Son visage aurait pu être beau s’il n’était pas perpétuellement dissimulé sous des couleurs flamboyantes, outrageusement indécentes. Comme une sorte de clown, avec ses lèvres peintes couleur de sang. La démone redescendait vers les beaux quartiers de Launondie, flairant par ses pouvoirs horrifiques les complots qui se tramaient dans l’ombre, les femmes infidèles, les petits mensonges quotidiens. Une journée comme une autre au cœur de ce qui était autrefois la capitale de tout un Empire. Parce que si l’orange jouissait désormais une chambre dans le palais du roi du feu, elle possédait également un appartement en centre-ville. Son petit cocon de débauche, d’avilissement charnel. Véritable tanière de la louve qu’elle était, dans laquelle elle appâtait de jeunes âmes avec ses charmes extravagants. Avant de refermer ses serres acérées autour d’elles. Et de les entraîner dans une spirale descendante vers le bas-monde sur lequel elle régnait. Sa démarche sautillante la faisait ressembler à une enfant. A une enfant capable de mettre le monde à feu et à sang pour un simple caprice. Fillette, femme fatale, enfant du démon. Une panoplie qu’elle maniait selon ses humeurs et situations. Elle allait récupérer une robe totalement indécente pour participer à une énième union noble afin de jouer de son don pour animer quelque peu la soirée. Mais bien rapidement, son humour insouciante et guillerette disparût. Remplacée par une sorte de perplexité qui lui fit froncer les sourcils. Du sang qui conduisait sur le pas de sa porte. Et au lieu du magnifique tapis brodé de rouge, un corps recroquevillé. Au bord de l’agonie. « Crever devant ma porte n’est pas permis ! » Sa voix s’était enflée d’une colère non-dissimulée. Tout ce qui était moche et/ou pauvre avait le don de prodigieusement l’horripiler. Ses talons claquaient furieusement alors qu’elle finissait de gravir l’escalier. Mais lorsque ses griffes invisibles effleurèrent l’esprit du malheureux … « Non … Nononononon ! » Sans réfléchir, le serpent se laissa tomber à genoux avant de retourner le corps de l’homme. Effroyable réalité qui s’imposa à elle, lorsque ce fût le visage tant aimé qui se présenta à elle. Son Autre. Cet alter-ego chéri. Aussitôt, ses tentacules mentaux captèrent des êtres à proximité, qu’elle réquisitionna pour porter le corps si faible du Thorsten. « Dégagez ! » Et elle se glissa auprès de lui. Toujours plus près. Se moquant pas mal que le sang de Circe macule ses beaux vêtements et sa peau si blanche qu’elle en paraissait presque translucide. « Mon amour ? » Voix chargée d’inquiétude. Une attitude qui ne lui ressemblait que guère. Mais l’orange était son frère, son âme-sœur, ce qu’elle avait de plus cher. Il était l’extension de sa propre personne. Celui qui la comprenait de mieux. Cette présence qu’elle adorait sentir en elle. Parce que l’esprit du jeune homme était le sien, son foyer, l’endroit où elle adorait se nicher. « Je t’interdis de mourir, tu m’entends ? T’as pas le droit ! T’as pas le droit de partir sans moi ! » Comme un feulement rauque. Elle planta ses ongles dans la peau tendre des épaules du mêlé, l’incitant à ouvrir les yeux, à ne pas la quitter. « T’avais promis. Si tu brises ta promesse, je vais être fâchée. Si je suis fâchée, j’irais chercher ta précieuse Helana et je la rendrais complètement folle. Alors, tu vois bien que tu peux pas partir. »