Au cœur du palais de Volastar, il était désormais chez lui. Déambulait avec une aisance particulière. Le menton haut, un petit sourire arrogant plaqué sur les lèvres. Parce qu’après tout, l’inhumain Vasara avait une image à défendre. Témoin de moralité, religieux dévoué, homme de bienveillance, grand ami du peuple. Des titres plus mensongers les uns que les autres. Mais le cruel savait jouait la comédie. Mieux que quiconque. Et rares étaient les yeux qui réussissaient à percer cette carapacé dorée. Parce qu’en réalité, Achille était un monstre, sanguinaire et sauvage. Il n’aimait rien tant que de se vautrer dans le vice et le péché. S’était amouraché de sa propre sœur. Tirait ses bénéfices du commerce humain. Tout était terriblement reprochable. Et il en avait bien conscience. Mais grand maître des ombres et des artifices, le conspirateur savait comment manier les apparences. Savait dissimuler sa véritable personne sous de beaux atours. Roi du mensonge. Enfant du Malin. Pernicieux manipulateur. Les adjectifs déplaisants étaient nombreux pour le qualifier. Et il en avait pleinement conscience. Mais pire que tout, il adorait cela. « Je viens voir Elvira, prévenez-la de mon arrivée, s’il-vous-plaît. » Grand sourire charmeur ses lèvres traîtresses. Air poli sur ses traits altiers, si bien disciplinés à prendre les tours qu’il désirait. Et ce ridicule serviteur qui se pressa pour remplir son devoir. L’enfant de l’air avait un don naturel pour pousser les autres à agir selon sa volonté. D’autant plus lorsqu’il était question de cette horripilante plèbe, si aveugle, si aisément dupée, si peu clairvoyante. Jamais il ne se lasserait de se jouer d’eux. Jamais. Cette activité était bien trop divertissante pour cela.  Mais cette vermine était celle sur laquelle Achille bâtissait son empire. Malheureusement, il ne pouvait s’en passer. Ils étaient les pierres angulaires de ses plans machiavéliques. Cependant, l’immaculé prenait bien garde à ce que leur misère n’arrive pas jusqu’à lui. Voilà pourquoi il portait en permanence des vêtements boutonnés jusqu’au cou. Et, par-dessus tout, ses éternels gants de cuir noir, qui avait l’avantage de protéger ses mains du contact infect de la pauvreté. Mais parce que cela dissimulait également les lignes psychédéliques qui s’étendaient sur ses bras et qui ne montraient que trop bien à quel point Achille était autre que ce qu’il paraissait. Son ingénieux esprit tortueux, capable du pire pour obtenir le meilleur, était habilement caché sous des airs innocents. Mais certaines personnes connaissaient la vérité. Toute la vérité. Rien que la vérité. Et la Déesse à qui l’inhumain allait rendre visite était du nombre. Parce que la Valaeris était sa plus vieille amie. Parce qu’elle était aussi sombre et tourmentée que lui. Peut-être même plus. Parce qu’elle soutenait ses envies de grandeur. Parce qu’ils partageaient la même vision du monde. Dans une autre vie, Elvira et Achille auraient été des âmes sœurs. Mais dans le monde réel, ils se contentaient d’être d’immuables piliers l’un pour l’autre. Parce qu’il avait entièrement confiance en elle. Fait rare et notable. Ils étaient bien trop semblables pour ne pas s’entendre. Terriblement abandonné à des vices et à une perversion sans précédents. Et enfin, le sanguinaire pénétra dans les appartements de la cruelle. De celle qu’il estimait tant. Des ententes de fiançailles avaient été murmurées, entre ces deux-là. Mais finalement, leurs volontés individualistes s’étaient réveillées. Et le Vasara avait préféré jeter son dévolu sur la douce Nevenka. « Elvira. » Sourire sincère. Yeux pétillants. Tous les signes d’un réel plaisir. Faits rares, chez lui. Tout habitué qu’il était à dissimuler ses véritables ressentis. « Je suis ravi de te revoir. » Baise-main galant et terriblement formel. Parce que des yeux les espionnaient perpétuellement. Et ils en avaient parfaitement conscience. Trop rusés pour se laisser avoir par d’aussi stupides tentatives d’espionnage. Après tout, n’étaient-ils pas les maîtres des araignées ? Ceux à qui rien n’échappaient ? Les âmes les plus fourbes d’Aksana ? « Vous pouvez nous laisser, je vous remercie. » Et il attendit patiemment que les petites mains quittent la pièce. Il fit rapidement le tour des appartements de la Valaeris afin de s’assurer qu’ils étaient parfaitement seuls. « J’ai de bonnes nouvelles, ma douce. Avec l’appui d’Eros et de plusieurs membres de différentes nations, nous allons enfin voir tous nos désirs se réaliser. » Et la politesse se transforma rapidement en cruauté sans nom sur son visage. Son véritable visage. « Nous allons pousser vers la sortie cette ennuyeuse reine. Et nous prendrons ce qui nous revient. Parce que nous ne sommes pas faits pour rester dans l’ombre. » Parce que le Vasara avait bien l’intention de créer une véritable révolution. Appuyé par l’entièreté du peuple, de qui il était adoré et aidé des plus belles femmes de la nation, toutes absolument respectables aux yeux des autres. Il n’avait aucun doute sur la réussite de ses projets. « Un Roi de l’air avec autour de lui, des Dirigeants couronnés par mes soins. Tu en retireras tout le bénéfice que tu désires, ma chère. Tu sais à quel point je te suis redevable pour toute l’aide que tu m’apportes. » Très bientôt, ils reprendraient les choses en mains. Et alors, le monde entier se mettrait à trembler devant leur toute puissance. Devant cette inhumanité qui les caractérisait si bien. « Tout se déroule absolument selon nos plans. Si je n’étais pas aussi confiant en nos … talents, je dirais que les choses sont presque trop belles pour être vraies. »

Achille et Elvira, comme ces hautes lettres dorés sur lesquelles les enjolivures dans l'ombre se fanent, en proie aux géhennes incommensurables, aux singularités barbares des enfants de l'air qui s'élèvent au plus haut, jouant aux Icares damnés avant même d'avoir heurté les terres viciées. Tel Janus, femme et homme, facettes aux dualités mortifères, compagnon d'armes et saboteurs endimanchés. Pour Achille, Elvira se damnerait sans doute, pour mieux satisfaire leurs intérêts ; parce qu'ils sont communs, ne divergeront sans doute jamais véritablement, et ainsi, ce n'est autre que pour elle même qu'elle absous ses tords et encense ses pêchés. De la même commune manière qu'il le ferait pour elle, égal par delà les âges, des joutes d'enfants aux tergiversations adulte, forcés par les décades de mûrir plus tôt qu'il ne l'aurait fallu, fruits gâtés aux sucs divinement subversifs. L'un et l'autre hantés par des ambitions communes, il n'eut été d'aucune avancée prodigue qu'ils se mettent à faire la guerre, à se déliter lorsque pour atteindre l'impensable, effleurer ce maudit rêve de voyou, il fallait faire front commun. Ce qu'ils avaient choisi de faire en des temps immémoriaux. Croix de bois, croix de fer, querelles princières, lorsqu'en naïade déjà un tantinet trop dépravée, elle dressait les plans des escarmouches qu'ils mèneraient. C'était eux contre le monde, les sales mioches aux visages burinés par des alizées tièdes, les monstres miniatures aux myocardes bougrement éraflés. Envisageables certes, les noces infernales, seulement si elles ne se présageaient pas si meurtrières ; pas que cela les rendent plus condamnables – sans doute simplement trop prospères pour que les éminences grises permettent l'incommensurable, l'avilissement aisé des esprits n'étant plus malléables, déjà si turpides.

De ces vies qui imitent l'art, l'un et l'autre s'étaient retrouvés empêtrés dans des toiles qu'ils avaient trop bien tissées, Arachnes dégénérées rendues amourachées de leurs antithèses, palpitant révoqué aux heures les plus noires pour s'éprendre de l'inconscience bestiale. Des amours cannibales dont elle n'ignorait rien, la réciproque vraie. Pas qu'elle juge – elle aurait su s'y laisser distraire. Pas qu'elle condamne – c'est les bonheurs infimes qu'elle encense, de ces étincelles infinitésimales aptes à réanimer les cœurs atrophiés. Patiente, mais pas assez, lorsqu'elle trépigne en ses quartiers, déjà au fait de la venue de son très cher et plus précieux ami. Irritable, l'euphémisme est gargantuesque, lorsqu'il lui faut paraître, effervescence stéroïdienne. Monstrueuse, à mesure que les Zéphyrs divergent, que le ressacs berce de trop près le bâtard mystifié. Elvira ne cache rien à Achille, nulle mesure nécessaire pour le berner – il sait. Et des manières troubles dont elle redore ses passions tortueuses, elle devine son approbation sentencieuse, parce que les desseins de l'hérésie comprennent toujours Eros et que si la chose fût heureuse par son avènement, c'est un poids supplémentaire sur les psychés absconses, des anathèmes bienvenues dont elle use, arme à son avantage, avec le resquillage retord des mères de la pègre.  

« Achille... »

Murmure-t'elle au contact brûlant de ses lèvres, indifférente aux voyeurs, maîtresse comédienne. Pas que l'infernal duo ne sème d'ombres sur leur passage, à en faire détourner les yeux, présageant mille augures damnables. Des langues qu'elle avait déjà fait couper aux bonnes, tout miel et sucre qu'elle se présentait aux étrangers. Si Elvira parle peu, c'est pour mieux violenter les êtres, qu'elle préfère agenouillés que trop affirmés aux dangereuses diplomaties. A l'évocation de son âme, la commissure de ses lèvres se tord indiciblement, alors que d'une griffe, elle semble protéger l'enfant engendré de ces liaisons. Satisfaction non sans souffrance, celle des maux précédemment infligés, des non-dits continuels, mais avant tout, la victoire tant recherchée, que l'esprit rend primordial par delà les autres ; celle d'un cœur – esclave si longuement martyrisé.  

« Il est vrai que les ombres nous ont assez masqués au reste du monde. Rien n'est plus beau que cela devrait être. C'est ainsi, que tout doit se passer. Nous avons mérités tout ça. Quand les noces auront-elles lieu ? »

C'est aussi les siennes, présagées, qu'il faudra rompre ; à raison. Celles d'Eros qu'il faudra anéantir par le trépas de l'autre, ferveur assassine. Risette accolée aux lippes, elle referme sa seconde pogne sur les doigts du roi qu'elle ambitionne, exerçant d'une pression l'appui féroce qu'elle réitère, à nouveau. Parce qu'elle n'attend plus que ça, voir leur reine décadente disparaître, quitte à ce qu'Achille soit couronné pour elle, puisque, constellations stoïciennes, soliloque perpétuel, c'était Achille et Elvira. Jamais l'un sans l'autre –  régnant ensemble, tels que les minots d'antan l'avaient prédit. Et le sourire en vrac, l’œil carnassier, elle mène ses doigts aux lèvres, en baise les extrémités avec séraphisme avant de murmurer, égrillarde :

« M'autoriserais-tu à couronner notre nouvelle majesté ? C'est un honneur que tu ne peux me refuser. »

« Il est vrai que les ombres nous ont assez masqués au reste du monde. » Rictus sardonique sur le visage de celui qui ressemblait, à s’y méprendre, à un ange. Visage délicat, presque taillé dans le marbre. Peau immaculée, yeux doucereux. Mais âme maléfique. Création modelée par les mains enfiévrées du Malin. Et si quelqu’un comprenait le danger, le piège, que représentait le Vasara, c’était bel et bien la terrible Valaeris. Celle dont la beauté pouvait vous faire se damner. Le grand méchant loup à l’apparence de la demoiselle en danger. Douce ironie. Rois des ombres, maîtres des ténèbres, c’était au cœur des abîmes sombres de leurs âmes perverties qu’Achille et Elvira avaient bâti leurs plans chimériques, avaient vu leurs sombres idéaux prendre forme. « Rien n’est plus beau que cela devrait être. C’est ainsi, que tout doit se passer. Nous avons mérité tout ça. » Et alors qu’il déambulait entre les murs du palais de Volastar, le blond hocha la tête. Assentiment total aux paroles du démon. Elle le comprenait mieux que personne. Parce qu’elle était faite du même matériau que lui. Ce matériau qui semblait si délicat mais qui, pourtant, était inaltérable. Invincible. Immortel. Rien ne pouvait les atteindre. Parce qu’ils se trouvaient au-delà des conventions humaines et du système manichéen. Hors d’atteinte du commun du mortel parce que trop profondément enfoncés dans une diablerie sans merci. « Quand les noces auront-elles lieu ? » Elle était accrochée à son bras, souriante. Un modèle de délicatesse. Tandis que lui était cet homme croyant, ce témoin à la moralité exemplaire. Si innocents. Si purs. Si sages. Jolies peintures destinées à dissimuler les tréfonds de leurs esprits pervertis. Ils ressemblaient à deux amis bavardant tranquillement, devisant sur le temps actuel et sur les prochains mariages auxquels ils comptaient participer. Et pourtant, la réalité était tout autre. Terriblement différente. Parce que ces deux inhumains prévoyaient de mettre le monde à feu et à sang. Et ce, seulement pour leur bon vouloir. Parce qu’ils avaient en commun cet amour pour la mesquinerie la plus insaisissable, pour la méchanceté la plus incontrôlable. Parce qu’ils voulaient le monde ou rien. Et qu’ils étaient prêts à tout pour obtenir ce qui, selon leurs dires, leur appartenait de droit. « D’ici quelques semaines, tout au plus. Liza ne pourra pas retarder notre union pendant encore très longtemps. Le peuple commence à s’impatienter. A gronder. C’est incroyable qu’un aussi grand nombre de gens puissent être totalement aveugles. Ils ne se rendent même pas compte qu’ils sont entièrement manipulés. Sous ma coupe. » Ricanement mauvais qui s’exhala d’entre ses lippes rosées. La plèbe était une hydre dont les têtes ne cessaient de se multiplier. Une force à l’état brut. Qui ne demandait qu’à se mettre à la solde d’un leader. Lui, en somme. « Une fois que Nevenka sera officiellement une Vasara, nous devrons nous occuper d’autres noces. De celles qui nous débecquettent. De celles qui doivent être brisées. De cette union impure qui empêche l’un de mes favoris d’être à tes côtés. Hissa et son enfant mourront. Et nous ne les pleurerons pas. » Parce qu’il savait que c’était ce que désirait la démone et qu’il était prêt à le lui offrir. Sur un plateau d’argent. D’autant plus qu’il méprisait ces maîtres de la terre et leurs idéaux. Qu’il les avait proclamé au rang d’ennemi, d’autant plus lorsque cet agaçant cadet avait poussé Eros sur la touche. La revanche appelait à être assouvie. Et Achille n’était pas un homme qui laissait ce genre d’affronts impunis. « M’autoriserais-tu à couronner notre nouvelle majesté ? C’est un honneur que tu ne peux me refuser. » Les inhumains saluaient ces frêles âmes qui passaient près d’eux. Totalement inconscientes qu’elles ne croisaient pas la pureté faite chairs mais bel et bien Hadès et Perséphone. Rois des Enfers. Rois de ce bas-monde, de cette infamie, qu’ils comptaient bien déployer sur terre. Tyrans en devenir, ils désiraient exalter les passions vicieuses de leurs congénères. Pour construire un monde à leur image. Un monde semblable à leurs âmes dévoyées, subornées. « Je n’ai jamais su te dire non, tu le sais bien. » Parce que dès leur plus jeune âge, Achille et Elvira s’étaient trouvés. S’étaient liés. Par des serments inviolables, plus forts que de simples promesses. Parce que chacun possédait l’entièreté des clés qui pouvaient mener l’autre à sa perte. Confiance entière. Parce qu’ils n’avaient pas vraiment le choix. Elle était une diablesse et, lui, un mafieux. Corruptrice et conspirateur. Pernicieuse et mauvais. Faits pour s’entendre. Il avait même été question d’un mariage, entre eux. Mariage au vu et au su de tous, parce que leurs esprits, eux, connaissaient déjà une communion spirituelle qui ne pouvait être égalée. « Et une fois que la couronne d’Aeristin sera à moi, tu en porteras une à ton tour, ma belle. Je ne serais pas le seul à régner sur notre nation. J’ai l’intention de donner du pouvoir à ceux qui m’ont toujours soutenu. Alors, bien entendu, ton nom s’est rapidement imposé. Elvira Valaeris, Seigneure de Blowzestar. » Et le cruel ne comptait pas s’arrêter là. Si sa première visée était Aeristin, une fois était certaine : ce n’était que la première étape dans son plan de conquête. Empereur. Voilà un titre qui seyait à ses oreilles. Et un jour, il offrirait un territoire encore plus vaste à celle qui évoluait dans les mêmes ténèbres que lui. « Une fois que cette fade petite Valaeris sera déchue, tout nous sera permis. Le monde sera à nous. Et nous le bâtirons à notre image. Tremblez, pauvres fous. Les démons sont sortis de l’enfer et ils comptent bien tous vous asservir. »

Découverte monstrueuse faite par le second ; Athelstan le bienveillant, le nommait les anciens – à tord, eut-il été bienheureux une seule heure depuis que les astres les ont liés. Nouvelle terrible que celle de l'enfant à naître, d'un sang qui n'était certainement pas le sien et qui, pire, était celui de celle qu'on lui avait juré de répudier. Résonnent encore les promesses, celles de ne pas aimer, de ne jamais effleurer ce corps qui se logeait en ses draps la nuit. C'est qu'il a menti, le lâche, a brisé une seconde fois le myocarde originellement déjà bousillé, balayant les songes d'une main comme on se débarrasse d'une poussière sur un long manteau. C'est ça qu'elle est, Elvira, le négligeable au quantitatif, par trop de fois sujette aux pires maux, alors elle les rend, chienne, ne se gêne plus guère pour exprimer – en premier plan à ceux qui l'entourent, soit disant famille qui se déchire de l'intérieur, poudrière catastrophe – l'horreur que lui procure leur simple compagnie. Ils ne comprendront donc jamais, tant occupés à s'observer l'appendice qu'ils en oubliaient que d'autres, dans l'ombre, ne manquaient rien de leurs vices. Et ainsi, lorsqu'il faudrait faire tomber des têtes, elle serait au premier rang pour les réceptionner, caboches mutilées de la portée qu'on aurait génocidée, tout entière, abandonnant la Valaeris pour unique héritière.

« Je sais. »

C'est la seule chose qu'elle accepte de dire, tant l'idée même de l'autre, légitime au yeux du monde alors qu'elle n'est rien qu'une donnée administrative, la débecte, prurit de la nation de la terre dont elle ne veut pas même prononcer le nom, secousses déviant les astres de leur rotation première, chaos contrariant le fatum. Détournant le regard, l'ondine abandonna le contact à son propre épigastre pour porter les doigts à ses lèvres, en malmenant les extrémités tandis que ses plus sombres angoisses ressurgissaient. Qui de mieux placé qu'Achille pour savoir tout ce qu'elle ne disait pas. Il avait l'art des beaux mots et même lui, avait su se faire aimer de la peuplade, jusqu'au dernier des gueux. Bien sûr, ils n'ignoraient rien des enfants Valaeris, mais s'il manipulait les foules avec aisance, il n'était guère le seul, certainement pas le moins doué. D'autres avaient su modeler les psychés jusqu'à pointer du doigt les traîtres à leur sang, rancœur d'anciennes amours, des amitiés scellées au sépulcre. Roi usurpant jusqu'aux positions de sa propre aînée, osant accuser la comparse d'antan des pires maux. Etait-elle coupable ? Sans doute tangible. Etait-il innocent ? Encore moins qu'il n'était coupable à son tour. Doucette qui saisit le bras de son ami en le laissant discourir sur les projets en devenir, ébauche un rictus et presse le membre contre le sien, affection latente, avant de murmurer à nouveau, crécelle impudente :

« Fais donc, Achille, je t'en prie, qu'il ne reste plus le moindre souvenirs de l'usurpatrice et son état. Qu'on montre à la foule qui elle est, qu'on écrive sur son compte et qu'on rende honneur à sa fausse rivale. Que tous sachent que personne n'est tant légitime que je le suis à être aux côtés de leur prince. J'ai besoin de rendre sa pureté au nom qui est le mien, et ce ne sera pas sous la coupe de ces nouveaux rois pathétiques. Il est temps que le peuple gronde, que les ires nous rendent ce qui est nôtre. »

Une pensée cynique pour la jeune Nevenka ; si jeune, si tôt sacrifiée pour une cause qui la dépasse. C'est ainsi l'image qu'elle en a, ne prenant gère la peine de se pencher sur le cas de sa cousine qui, à ses yeux, gagne déjà assez à devenir reine. Curiosité crasse pourtant, que la blonde madone qui se penchant à l'oreille, s'enquiert des amours de son cher compagnon. Elle sait ce qui ronge son cœur, ayant pressenti le scandale aux éveils de l'amour. Confie toi à moi, chante le palpitant, alors que d'un sourire, la gueule s'illumine, empreint de malice. Quel projet infâme a-t'il pour sa doucette ?

« Fais donc, Achille, je t’en prie, qu’il ne reste plus le moindre souvenir de l’usurpatrice et de son état. Qu’on montre à la foule qui elle est, qu’on écrive sur son compte et qu’on rendre honneur à sa fausse rivale. Que tous sachent que personne n’est tant légitime que je le suis à être aux côtés de leur prince. J’ai besoin de rendre sa pureté au nom qui est le mien et ce ne sera pas sous la coupe de ces nouveaux rois pathétiques. Il est temps que le peuple gronde, que les ires nous rendent ce qui est nôtre. » Sourire carnassier qui étira ses lèvres roses, maintenant qu’ils étaient à l’abri des regards indiscrets. Promenade aux apparences innocentes pour les deux grands prédateurs d’Aeristin. Âmes-sœurs d’un univers parallèle, d’une autre vie dans laquelle Elvira aurait remplacé Scylla dans le cœur dévoyé du corrupteur. Parce que depuis l’enfance, ils avaient cette capacité impressionnante de se comprendre. Parfaitement. Sans avoir besoin de recourir à la parole. Parce qu’ils étaient aussi avilis l’un que l’autre et, surtout, prêts à tout pour prendre un pouvoir qui, selon eux, leur revenait de droit. Réduire à néant l’empire grotesque de cette cousine haïe, de cette souveraine qu’ils méprisaient profondément. Afin d’assoir le mal sur Aeristin, puis Aksana. Laisser leurs démons intérieurs s’exalter jusqu’à devenir incontrôlables. « Nous allons faire tout cela, ma douce et bien plus encore. Tu redoreras le blason des Valaeris, puisque tu en seras la dernière légitime représentante. C’est toi qui sera maîtresse de Volastar. Et enfin, tu pourras diriger cette belle famille ayant chuter dans la déchéance par la faute de notre actuelle reine. » Elizaveta était une parfaite couverture, une silhouette si facile à blâmer. Achille ne cessait de la harceler, par tous les moyens possibles, afin de la faire vaciller sur son trône d’airain. Mises en scène grandioses, mensonges éhontés. Tout était bon pour gagner du terrain. Et le Vasara n’était certainement pas le genre d’homme que la morale ou la bienséance retenaient d’agir. « Nous allons prendre tout ce qui nous revient de droit et bien plus encore. Après tout, nous ne sommes pas vraiment du genre à nous contenter de la demi-mesure, n’est-ce pas ? Nous soulèverons cette plèbe qui nous écœure, cette chair à canon qui nous sera bien utile. L’armée restera fidèle à Liza. Mais nous avons tout le reste pour nous. Et surtout, nous sommes ensembles. » Rictus cruel sur visage aux airs angéliques. Quelle trompeuse apparence, véritable fruit du Malin. Après tout, le Diable n’était-il pas le plus grand tentateur de ce monde ? Le plus bel ange ? Celui capable de faire se damner un saint ? Achille avait visiblement hérité bien des choses de son père spirituel. « Tu serais devenue Ma Reine, s’il n’y avait pas Eros. Mais aussi si tu avais été plus influençable. Je me rappelle encore la gifle magistrale reçue lorsque nous étions jeunes et que j’ai voulu te convaincre d’agir selon ma volonté. Mémorable. » Le conspirateur ne se souvenait pas du temps où l’inquiétante Valaeris ne faisait pas partie de son existence. Connexion malsaine qui s’était immédiatement établie, entre ces deux-là. Et qui perdurerait au-delà de la réalité humaine. Parce que quelque chose de spécial unissait Elvira et Achille. Quelque chose qui allait au-delà des limites du concevable. Alors, bien sûr, lorsqu’il s’était mis en tête de conquérir le trône d’Aeristin, la pernicieuse en avait été la première informée. « Il n’y a que toi en qui je place une entière confiance, Elvira. Même entouré par des sujets qui semblent loyaux, je n’oublie jamais qu’ils vont et viennent au gré du vent. C’est pour cela que tu prendras ma place au sommet, si un quelconque accident venait à s’abattre sur moi. En attendant, peut-être devrions-nous laisser-là d’aussi lourds sujets pour retourner à une préoccupation existentielle : tuer l’agaçante chose qui sert de femme à notre ami commun. »