PART ONE - IDO ADERALC’était ta première mission Khora. C’était ce que t’attendais depuis des années déjà, c’était pour cet instant que t’avais fait la connerie de partir. C’était pour ce moment de satisfaction que tu t’étais battue. Mais lorsque la souffrance se mêle à la joie, ton cœur ne sait plus pour quoi battre. Parce que t’étais pas prête Khora, malgré tout ce que tu pouvais dire, t’étais pas préparé à voir ce malheur là. Les âmes perdues, les regards vides de tout espoir, les carcasses décharnées. T’as affronté ce qu’il y avait de plus dur dans tout le royaume, en face des plus grands malheurs. Et t’as rien pu faire d’autre que les aider à sortir de là. T’as pas pu leur tendre suffisamment la main pour leur rendre le sourire, parce qu’il avait déjà disparu depuis trop longtemps. Combien vont se donner la mort en sortant des enfers ? Tu ne veux pas savoir Khora, parce que t’arrives pas à supporter de voir autant de douleur et de tristesse. Autant de peine dans les gestes. La liberté offerte ne suffira pas à leur rendre ce qu’ils ont perdu et tu le sais pertinemment. Tu le constates en observant les visages fermés. En découvrant qu’aucun ne te remerciera d’avoir agit pour eux. Mais c’est pour ça que tu te bas. Pour qu’un jour il n’y ait plus besoin de délivrer qui que ce soit. Pour qu’un jour tu ne sois pas obligée de constater que la mort les accompagne à chaque pas depuis trop longtemps déjà. Alors tu reprends ta route avec la détermination vissée au visage. Pour que demain ne soit plus jamais comme ce jour là. Pourtant tu le chéris ce moment. Tu l’apprécies avec le plus grand égoïsme qui soit. Parce que c’est cette mission qui t’a fait découvrir son regard à lui.
Tu te souviens d’avoir trouvé son visage au milieu d’autres têtes. Tu te souviens de ses yeux dont tu n’arrivais pas à te détacher. Tu te souviens de ses mains qui se sont posées sur tes hanches peu de temps plus tard. Tu te souviens Khora, de tout l’amour. Des projets imaginés, des envies inavouées, des rêves impensables. Il était ton plus grand espoir, ton ancre dans un monde qui n’avait plus de sens. Il était l’homme qui rendait une femme heureuse. Celui qui te permettait d’imaginer une vie. Une vie loin de la misère, loin de la dure réalité. Juste parce qu’il était là. Parce qu’il était lui. Et que toi, sans lui, c’était impensable.
T’étais inconsciente que ces instants tu devais les chérir, tu devais les garder en mémoire pour toujours. T’étais insouciante de tous les sentiments qui animaient ton cœur. C’était la première fois que t’aimais Khora. La première fois que tu laissais ton cœur à un autre, à un homme et quel homme. Jamais tu n’oublieras ses instants, jamais tu ne pourras renier ce qu’il s’est passé. Parce que c’est grâce à lui que tu es devenue la femme. Grâce à lui que tu as trouvé le courage de prendre les bonnes décisions. Grâce à lui et lui seul, que tu as appris à aimer un homme.
Il aurait pu devenir un mari, un père, un homme heureux, enfin. Mais tu n’as pas pensé que vos différences feraient de vous des ennemis. Tu n’as pas pensé que te faire passer pour quelqu’un comme lui le rendrait si en colère. Tu ne pensais pas Khora. Parce que tu ne voyais que l’amour. Tu ne voyais que le bonheur d’être à ses côtés et de pouvoir te réfugier entre ses bras. Tu ne croyais qu’en toi et lui, qu’en votre avenir. Mais tout a volé en éclats. L’amour s’est mué en haine. Les doux baisers en disputes incessantes. Et lorsqu’il a fallut faire un choix, c’était l’un sans l’autre. Loin d’un amour qui te dévorait pourtant constamment. Loin d’un homme que tu aurais pu aimer jusqu’à la fin. Loin du seul espoir que tu avais de devenir toi.

PART TWO - GARETH K'HANTu déambulais dans les couloirs du palais des Griffith ce soir là. Tu partais pour une nuit à dormir sur un lit vétuste, pourtant plus douillet que ceux d’Azi Freinu. Tu t’apprêtais à rêver à d’autres lendemains avant d’entamer une nouvelle journée de labeur. Toi. Esfir Shiroff. L’esclave. La lambda. La blonde qui balaye les miettes et éponge les tâches laissées par les hôtes d’un lieu bien trop grand pour une petite comme toi. Mais il a attrapé ta main cette nuit là. Il t’a fait changer de direction pour t’attirer à lui, dans un coin à l’ombre, où personne ne poserait les yeux sur vos deux corps qui se frôlent. Tu souris Khora, parce qu’il fait battre ton cœur à nouveau. Parce que le mêlé est venu raviver cette flamme qui ne demandait qu’à brûler encore et encore. Tu déposes tes lèvres sur les siennes en un baiser sincère, un baiser qui n’offre que l’amour et la promesse d’un lendemain. Ce soir tu ne dormiras pas dans tes draps. Ce soir tu le laisseras t’enrouler de ses bras et pour la première fois tu t’offriras à lui. Vos mains qui s’emmêlent. Les baisers comme caresses. Et les corps qui s’accrochent, s’embrasent et offrent à l’autre un instant de plaisir. Les sens en éveil, tu entends son souffle en cœur avec le tien. Tu sens sa peau se fondre sur la tienne. Tu gouttes ses lèvres chaque fois que le désir se fait trop fort. Et lorsque tu laisses ton regard dériver de son être, tu découvres le mensonge qui fait de toi une usurpatrice. Mais il s’en moque Gareth K’han. Parce que cet instant, il est à vous et que cette mascarade, il la comprendra et il l’acceptera. Les objets qui se mettent à léviter dans la chambre du mêlé ne font qu’accentuer la notion de plaisir. Ajoutent à la vérité du moment et des sentiments qui éclatent entre deux âmes qui ne savent pas qu’elles sont bien trop liées pour continuer.
Il était une bouffée d’air frais. Une manière de te rendre spéciale, de te rendre différente. Tu n’étais plus l’esclave, tu n’étais plus la gamine têtue de la Ligue. Tu n’étais plus celle qui trahit une cause aux yeux d’un amour perdu. Tu retrouvais l’essence même du verbe aimer. Tu retrouvais le goût de vivre dans les yeux d’un autre. Parce que tu l’aimais, oh oui tu l’aimais. Il devenait évidence jour après jour et l’envie d’être à ses côtés chaque seconde. Le jeu d’un secret gardé précieusement, comme un diamant à polir avec le temps. Peut-être était-ce trop évident. Peut-être était-ce trop simple. Mais lorsque ses yeux se détachent de ta silhouette pour quitter la pièce et ne plus jamais revenir, c’est ton cœur qui se brise, encore. C’est ta vie qui s’effrite et qui te rappelle que tu n’as pas le droit d’être aimée.
Parce que tu pensais qu’il n’y avait plus aucune chance, plus aucune raison de continuer à chercher une âme pour compléter la tienne. Alors t’as pleuré. Pendant des heures. Parce que perdre un amour pour une raison aussi honteuse était trop lourd à encaisser. Parce qu’apprendre que l’homme qu’on chérit le plus au monde est en réalité une part de son propre sang était impensable. Le monde a arrêté de tourner dans ta tête ce soir là Khora. Et lorsque t’as quitté le palais pour prendre l’air et retrouver tes esprits, t’as pas su quoi faire d’autre que vouloir tout perdre. T’as pas su quoi faire d’autre que vouloir tout abandonner. Parce que c’était trop dur de te rendre compte que ton père avait fauté bien avant ta mère.
Le corps penché au dessus de la rambarde, à regarder le vide sous le pont, tu t’es demandée ce qui avait pu se passer. Tu t’es demandée pourquoi tu n’y arrivais pas. Pourquoi est-ce que le monde s’acharne à t’arracher le cœur. Le regard rivé sur le gouffre, tu réfléchis, tu penses à tout ce qui t’as amené ici. Tu penses à tout ce que tu pourrais laisser, en te demandant si ta perte en sera une. Pour qui que ce soit. Parce que le voir partir sans un mot t’as probablement plus blessé que le fait d’être obligée de le quitter. Parce que le voir tourner le dos alors que t’attendais juste de pouvoir lui dire au revoir a certainement tout détruit. Mais il n’était pas seul et tu le savais. C’est pour ça que tu n’as pas sauté ce soir là. C’est pour ça que t’as laissé le vent venir balayer tes cheveux et sécher tes larmes. Parce qu’il y avait tellement d’autres personnes à sauver. Tellement d’autres qui souffrent bien plus que toi. Tu te remémores les visages meurtris, mais surtout les sourires laissés à la Ligue.

Le temps passe et tu regrettes de ne plus sentir sa présence. Tu regrettes de ne plus le voir, de ne plus pouvoir lui parler. Mais il est temps de passer à autre chose. Alors tu t’oublies dans une cause trop grande pour toi. Tu t’oublies en apprenant à d’autres. A des enfants qui ont besoin d’un guide, qui ont besoin d’une épaule sur laquelle se reposer. Et lorsque tu poses ton regard sur eux, sur Yerim Osyris, sur Echo Wickham, et sur d’autres qui n’attendent qu’à devenir plus forts, tu te demandes comment leur avouer que ce monde ne sera surement jamais le leur. Mais il n’y a pas de temps pour baisser les bras. Il n’y a pas de temps pour se morfondre. Alors tu te bats pour eux. Pour que leurs sourires ne soient pas vains. Que leurs espoirs trouvent une lumière capable d’éclairer le royaume.

PART THREE - AARON LUPESCOTu perds foi en l’amour. Tu ne cherches plus la rencontre qui fera basculer ta vie. Tu ne cherches que le contact d’un autre, pour une nuit, peut-être deux. Mais tu rejettes tous ceux qui pourraient s’approcher. Tu fuis. Tu les fais fuir. Tu ne veux plus être aimée. Tu ne veux plus aimer. Parce que ça fait trop mal de perdre. Mais t’es complètement perdue Khora. T’es partie depuis déjà trop longtemps et ça ne fait que continuer. Des années qu’il est parti. Des années que plus rien n’a de sens. Des années que tu ne prends aucun plaisir à partager ton corps. Mais t’as l’impression d’être vivante. Plaire pour qui ? Pour quoi ? Les missions pour la Ligue, l’apprentissage à Azi Freinu, les ordres à Greenstall. Y a plus rien qui te donne la sensation d’exister. Tu n’es plus toi, tu n’es qu’une ombre. Et lorsque la lumière vient caresser ton visage, tu t’effaces. Tu fuis, encore, alors qu’il ne fera jamais ce que les autres ont pu faire. Parce que jamais il ne te touchera comme eux l’ont fait. Et que lui ne partira jamais. Il te regarde différemment. Il te regarde comme s’il devait vivre pour toi. Comme si vos vies n’avaient pas d’importance si elles n’étaient pas vécues à deux. Tu te berces d’illusion Khora. En pensant que votre histoire n’est qu’une amitié. Qu’une sincère amitié qui ne mènera qu’à l’entraide et la complicité. Mais ça crève les yeux. Ça crève les yeux à vous voir sourire ensemble, vous voir échanger des regards et vous effleurer la main comme deux gamins insouciants. Mais tu t’en fous. Parce qu’il te rend humaine.
Et quand t’as enfin le courage de vivre. Quand t’as enfin la rage de vaincre. Tu prends les choses en main. Tu te bas pour eux. Pour la Ligue. Tu deviens celle dont ils avaient besoin. Tu deviens le leader qu’ils n’attendaient pas. Parce que tu penses que t’as pas le choix. Que tu dois vivre pour eux. Plus pour toi. Et il te regarde faire Aaron. Il te regarde t’effondrer sans rien dire. Parce qu’il sait qu’il ne pourra rien dire ou faire pour que tu changes. Parce qu’il sait pertinemment qu’il ne peut qu’attendre que tu t’effondres avec lui pour te rattraper. Parce que personne d’autre que lui ne le fera. Et lorsque tout explose. Lorsque les visages cachés se dévoilent, tu sombres. Tu le savais pourtant. Mais t’arrivais pas à y croire Khora. T’y arrivais pas parce que tu ne pensais pas qu'eux, parmi tous les autres, seraient capables d’une telle trahison. Le petit frère, le presque fils. Et lui. Ido Aderal. Le regard qui vient faire voler toutes tes convictions. Mais il est là Aaron. Il est là et il te prend par la main pour que tu continues d’avancer.
Tu continues. Tu penses que des ruines vous pourrez bâtir une cité bien plus grande que leurs royaumes en cendres. T’avances et pour une fois, tu contemples. Tu prends le temps d’examiner, de comprendre. Tu prends le temps de penser à lui. Et lorsqu’il n’est plus là pour se battre à tes côtés, tu décides de te battre pour lui. Parce que tu l’aimes Khora. Malgré tous les mensonges dont tu te berces. Tu l’aimes. D’un amour doux et léger. Mais quand vos cœurs se mêlent et s’avouent qu’ils s’appartiennent. Quand tu acceptes d’un jour devenir sa femme, tout s’écroule. Il t’abandonne lui aussi. C’est ce que tu pensais. Tu croyais que lui aussi serait parti sans un regard en arrière. Pourtant il t’a laissé tout ce qu’il avait à offrir. Il t’a laissé la vie. Il t’a laissé l’espoir. Il t’a laissé tout ce dont t’avais besoin pour vivre. Pour te battre encore et encore. Parce que le plus grand amour de ta vie réside entre tes entrailles et que rien ni personne ne pourra venir t’arracher cet être-ci.