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Spoiler:

Il se retrouve là, devant cette porte, cette toute petite porte. Comment une simple porte peut-elle créer un sentiment de détresse intense vous dîtes ? Ce n'est pas la porte qui plonge Agus dans un désarroi profond, mais bien ce qui se cache derrière. Un monde incertain, une autre vie, lui même ne le sait pas. Il déglutie avant de se rendre compte que sa bouche est telle un désert dépourvu de point d'eau. Pourquoi ? Comment ? Trop de questions qu'il n'arrive pas à appréhender. Il n'y arrive plus. Derrière cette porte en bois se trouvait les effets personnels de sa sœur, lorsqu'elle était encore la compagne du roi, lorsqu'elle avait encore une place d'importance dans cette nation. On l'avait chargé de débarrasser la pièce. Ironie de la vie ou acharnement du sort, il devait y faire face avec le plus de flegme possible. Montrer ne serait-ce qu'une larme, qu'un tremblement de lèvre pouvait lui être fatal. Sa place à lui était discutée, murmurée. On épiait ses réactions, dans l'espoir qu'il trahisse quelque chose. Ou tout du moins c'est ce qu'il pensait. Dans le doute, il valait mieux ne pas se faire avoir. Le garçon jette un regard en biais au garde se trouvant à ses côtés. Il ne pouvait pas le laisser entrer avec lui. Il ne pouvait pas porter ce masque d'indifférence encore très longtemps. « Il vaut mieux que je rentre seul. » Sa voix lui semblait lointaine, comme n'appartenant pas à son être. Il avait été clair et il soutenait le regard impassible du garde. Cet échange lui sembla interminable alors qu'il n'avait duré que quelques secondes avant que le garde impérial ne baisse les yeux. D'un geste incertain il dépose sa main sur la clenche en métal. Froide, comme annonciatrice de ce qu'il allait trouver à l'intérieur. Il pousse la porte et la referme d'un coup sec, trop sec peut-être.


Il ne se souvient plus très bien où se déroule se souvenir. A Céréza ? A Dragondale ? Peu importe. Il entend les rires, les bruits de pas et les visages souriants. Trois enfants en train de jouer dans un jardin qui lui semble immense. Il regarde la scène, comme un observateur, depuis le ciel là ou personne ne peut le voir. Une fille et deux garçons. Alors qu'au premier abords il pensait que les trois enfants jouaient ensemble, à y regarder de plus près ce n'est pas le cas. Le plus petit des trois tient un ballon entre ses mains et semble vouloir attirer l'attention des deux autres. Eux ne lui portent même pas un regard. Ce qu'il avait cru être des sourires étaient en réalité des grimaces de colère. Ils se disputaient. A propos de quoi, il n'en avait aucune idée, bien trop loin pour entendre le son de leurs voix. Il détourne le regard des deux grands pour chercher le plus petit. Il ne le trouve pas tout suite, ayant disparu de la place qu'il tenait quelques minutes auparavant. Il le vit un peu plus loin, au delà des arbustes qui le cachaient désormais de sa sœur et de son frère. Il était assis, le ballon sur les genoux et la tête entre les mains. Il ne pleurait pas et pourtant une aura de tristesse se dégageait de ce petit garçon. Il aurait voulu lui venir en aide, le prendre dans ses bras pour le réconforter. Mais sa vision se brouillait, une brume épaisse commençait à envelopper les jardins, le frère, la sœurs. Les voix se firent plus lointaines encore. Avant que le brouillard n'engloutisse complètement les lieux, il croisa le regard de ce petit garçon, toujours assis, toujours seul. Un regard plein de mélancolie.



Ses yeux mirent du temps à s'habituer à l'obscurité. Il plissait le regard pour essayer d’apercevoir des formes. A tâtons il avance, se cognant au passage contre le coin d'un meuble. Il vise la faible lueurs qu'il pense provenir d'une fenêtre. Il dépose ses mains sur les rideaux épais remplis de poussière et les ouvre en grand. La lumière s'engouffre dans la salle et au fond de ses rétines à la vitesse de l'éclaire. Éblouit, il recule avant de se retrouver étalé sur un fauteuil. Il tousse, se frotte les yeux. La pièce n'avait pas réellement changé depuis sa dernière visite. Petite, rangé, rien ne semblait avoir changé de place. Agus se relève difficilement, une douleur toujours présente dans son genoux droit. Il se frotte machinalement la jambe tout en avançant de nouveau vers la fenêtre. Il n'aime pas vraiment se retrouver dans une pièce close et ce depuis plus longtemps qu'il ne peut s'en rappeler. Il ouvre la fenêtre laissant pénétrer les odeurs du dehors dans la salle renfermée. Après avoir retrouvé à peu près ses esprits, il se met à arpenter la pièce. Il n'ose pas vraiment toucher à quoi que ce soit, de peur de violer l'intimité de sa sœur déchue. Ce n'était pas sa chambre, à Saeko, mais plus une pièce où elle pouvait être elle-même. Un endroit à l’abri des regards où elle pouvait être délivrée de ce poids qui lui pesait sur le corps. Enfin, c'était ce qu'il pensait, il ne savait pas vraiment. Tout lui semblait étranger, dans cette salle. Les robes dans les placards, les coussins sur les sièges, les brosses à cheveux sur la commode. Tout sauf ce petit bracelet en argent. Il s'approche lentement et le saisit avec la plus grande des prudences.


« Tient, c'est pour toi. » Encore une fois il se retrouve à observer la scène à distance, en hauteur, comme flottant dans l'air. Il se voit, lui et sa sœur. L'autre lui, celui du souvenir, sort une petite boite en velours noir de sa poche et la tend fébrilement à Saeko. Elle le regarde, un sourire presque attristé fendant timidement son visage. « Merci tu n'aurais pas dû... » Il la coupe en lui fourrant la boite dans les mains. Autour d'eux les détails se perdent. Le Agus qui flotte, celui qui assiste à la rencontre tel un spectateur, ne peut rien distinguer mis à part lui et sa sœur. « C'est pas tous les jours que tu vas te marier, à un futur empereur qui plus est ! » Sa voix était tremblante, comme si il avait peur de mal faire, que cela ne plaise pas. Il attend, anxieux, que sa sœur découvre son cadeau. La petite boite s'ouvre sur un bracelet fin forgé en argent et le visage de Saeko s'illumine. C'est la dernière chose qu'il voit avant de se faire happer par l'obscurité. Le sourire de sa sœur.


Il caresse le petit bracelet métallique, plein de tendresse, plein de tristesse. Ces larmes qu'il empêchait de couler depuis qu'il avait pénétré cette pièce étaient désormais au bord de ses yeux noirs. Il sert l'objet de toutes ses forces dans sa main, si fort que le motif entremêlé s'imprime au creux de sa paume. Il s'avachit lamentable sur le fauteuil, comme si ses jambes ne voulaient plus le porter. Il n'avait pas envie de bouger, de toute manière. Il voulait rester encore un peu seul, ici, dans cette salle où elle avait passé tellement de temps. Agus ne savait pas quand il pourrait la revoir, cela faisait plusieurs semaines qu'ils ne s'étaient pas parlés. C'était peut-être mieux ainsi, pour ne pas éveiller les soupçons. Sans elle il se sentait terriblement seul, dans ce grand palais. Il y avait Kalei bien sûr, mais ce n'était pas la même chose. Il jouait un double jeu avec son frère, alors qu'il avait toujours pu être lui-même en présence de Saeko. Il était coincé. Coincé entre ce frère trop vindicatif et cette sœur en fugue. Les larmes coulent enfin le long de son visage pâle et il éclate dans un sanglot silencieux qui lui sembla interminable. Lorsqu'il releva la tête de son corps recroquevillé sur l'assise, le soleil commençait à se coucher. Il n'avait plus de temps. D'un geste simple et las il s'essuya les yeux encore mouillés de l'eau salée et se redressa, la main toujours serrée sur le bracelet. Il jeta un dernier regard à cette pièce qu'il ne reverrait jamais, du moins pas comme ça. Dans un soupir il glisse le petit bijou en argent dans sa poche et pousse la porte. Le bruit que cela produisit sembla réveiller le garde qui se mis au garde à vous. « Vous pouvez tout balancer. » Le garde ne bougea pas, le dévisageant encore un peu plus. Un dernier test, pour s'assurer de sa fidélité à l'empereur du feu. « Ma sœur n'est plus, ça ne sert à rien de se raccrocher à quelques objets. » Il prononça cette dernière phrase en s’éloignant d'un pas assuré, la main toujours enfouie dans sa poche, serrant le bracelet.